Aujourd’hui, la Wallonie a presque tout: de bons ingénieurs, des idées, de très nombreux doctorants, la compréhension du monde, les fonds de capital-risque, des prêts à l’innovation, les incubateurs et accélérateurs, etc.
Son écosystème du capital-risque rattrape, petit à petit, son homologue flamand en valeur – même s’il est encore loin de le rattraper en nombre d’opérations réalisées (les start-ups technologiques wallonnes ont levé 54 millions d’euros en 2016, tandis que leurs pairs flamandes en ont levé plus de 200 millions). Bref, la Wallonie a coché énormément de cases et dispose maintenant de nombreux atouts pour faire émerger des champions mondiaux numériques, mais il reste encore du chemin à faire…
Bien sûr, il manque plusieurs choses, à commencer par des femmes, qui ne sont pas assez nombreuses dans le numérique (et encore moins dans le capital-risque). Il manque aussi aux Belges francophones de l’ambition, cette volonté de puissance qu’ont les Anglo-Saxons. Or, à l’échelle de la guerre mondiale qui se joue, nous ne pouvons plus nous payer le luxe de ne pas être ambitieux.
Et puis, il n’y a pas assez de transfert de technologies entre le monde académique, les universités, les hôpitaux, le FNRS (fonds national de la recherche scientifique) et les entreprises. Il est d’ailleurs symptomatique qu’en région(s) francophone(s), le système des spin-offs, c’est-à-dire les start-ups issues de l’enseignement supérieur ou universitaire, ne fonctionne pas bien. Voir note 1 en fin d’article.
“A l’échelle de la guerre mondiale qui se joue, nous ne pouvons plus nous payer le luxe de ne pas être ambitieux.”
La Belgique est parmi les grands pays au monde en matière de recherche (nos trois régions y contribuent de manière équivalente, toutes proportions gardées) si l’on tient compte du nombre de doctorants par rapport à sa population universitaire. Les trois régions du pays constituent un royaume de technologies, mais ces dernières ne percolent pas assez dans le tissu économique. Et quand cela se fait, c’est beaucoup trop long, notamment dans le tissu économique wallon.
Des fonds trop passifs
Autre caractéristique, l’attitude foncièrement passive des fonds belges de capital-risque. Ils sont essentiellement en attente de recevoir des dossiers. De l’aveu même de leurs gestionnaires, ils ne cherchent les projets ni très activement, ni de manière agressive. Donc, évidemment, la future star wallonne qui ne les a pas spontanément sollicités passe sous leur radar et, concomitamment, permet aux gestionnaires interviewés de clamer haut et fort qu’il n’existe pas, dans telle ou telle région, de potentiels champions du numérique.
Les venture capitalists anglo-saxons (en tout cas les plus agressifs), eux, n’attendent pas le flux. Ils créent leur deal flow, en multipliant leurs partenariats dans de nombreux cercles où circulent des projets susceptibles de les intéresser.
Par ailleurs, les capitaux-risqueurs belges se plaignent souvent dans les médias que le flux de projets numériques n’est pas assez qualitatif. Eh bien, c’est révélateur d’un comportement biaisé et de l’impérieuse nécessité de changer de paradigme : les investisseurs institutionnels doivent apprendre à se libérer du rationnel pour aller davantage vers la prise de risque !
Comment faire évoluer l’écosystème wallon du capital-risque?
D’abord, en plongeant les jeunes entrepreneurs wallons dans le bain californien, bostonien ou new-yorkais (au choix !) pour les dés-inhiber !
C’est ce que les Français font avec leur programme Impact USA, que la banque publique d’investissement Bpifrance mène avec Business France. Voilà une mission qui aurait pu être confiée à la pathétique Caisse d’investissement de Wallonie (CIW) (voir note 2 en fin d’article).
Il suffit de dix semaines dans la Silicon Valley ou à New York pour changer des entrepreneurs compétents en entrepreneurs conquérants, leur donner l’ambition mondiale et leur faire sentir qu’ils sont prêts. Cela suppose de financer sur place l’une ou l’autre structure d’accompagnement dédiée, à l’aune de The Refiners, l’accélérateur de start-ups françaises basé à San Francisco.
“Les investisseurs institutionnels doivent apprendre à se libérer du rationnel pour aller davantage vers la prise de risque.”
Ensuite, en faisant en sorte que les fonds publics wallons (et bruxellois) de capital-risque multiplient les relations et les partenariats avec des correspondants aux USA. Par exemple avec des fonds américains de capital-risque proactifs, des magazines spécialisés (du type, Red Herring, focalisé sur les nouvelles technologies, qui publie annuellement une liste des 100 start-ups européennes à suivre), des plates-formes Internet originales (du type Product Hunt, un site qui classe les nouveaux produits techs selon le vote du public et qui accroît fortement la notoriété de ceux qui y sont mis en avant…).
Enfin, il serait bon de rénover l’administration des structures publiques d’aide à la création et au financement d’entreprises.
Prenons l’exemple de la CIW, une s.a. de droit public avec une mission d’intérêt général. A savoir: mobiliser l’épargne des citoyens en vue d’un renforcement stratégique et significatif de l’économie durable en Wallonie par le biais de prises de participation dans des projets d’investissement de PME wallonnes.
Son rôle est donc de révéler des jeunes entreprises, de les faire décoller rapidement, puis d’accompagner dans la durée de belles aventures industrielles wallonnes. Mais quel bilan tirer de ses huit ans d’existence ? Surtout, en comparaison de celui de Bpifrance qui existe depuis seulement quatre ans…
La CIW est-elle seulement en mesure d’avoir une conscience forte de ses défaites industrielles? Pour y répondre, il suffit de regarder la composition de son Conseil d’administration: tous des administrateurs provenant de différents organismes publics classiques, opérant généralement dans le même secteur. Remarquons d’ailleurs qu’aucun de ces organismes n’a jusqu’ici osé faire évaluer, par un cabinet d’expertise indépendant, la performance de sa politique de dynamisation du tissu entrepreneurial wallon.
Bref, souvent en Wallonie, on prend les mêmes, qui recommencent à faire la même chose mais dans un autre “bidule”. C’est à chaque fois le serpent qui se mord la queue !
Est-ce une fatalité, ou une malédiction, que les fonds publics wallons soient toujours administrés par des administrateurs habituels dont les compétences et la connaissance du marché du capital-risque sont auto-proclamées mais n’ont jamais été objectivement démontrées ou évaluées ?
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(1) Ce thème est familier à Carl-Alexandre Robyn. Dès 2014, il avait publié un article dans l’Echo, intitulé “Le jour où les business angels seront vraiment incités à investir dans les spin-offs” [ Retour au texte ]
(2) L’avis de décès de la Caisse d’investissement de Wallonie (CIW). Le gouvernement wallon a en effet décidé d’arrêter son fonctionnement, par manque de rentabilité, en 2019. Elle aura vécu 10 ans. Elle avait été créée en 2009, dans la foulée de la crise financière de 2008, afin de “coaliser” investissement public et économies des particuliers au profit du financement des PME. [ Retour au texte ]
Carl-Alexandre Robyn
Start-up Financial Architect
Associé-fondateur du Cabinet Valoro
Dans la deuxième partie de cette analyse, Carl-Alexandre Robyn abordera la question de l’attrait et de l’implication de fonds d’investissement venus d’outre-frontières. Une nécessité à ses yeux. Et pas uniquement pour des questions purement financières…
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