Le mal de nos start-ups (2) – Diagnostics ineptes et solutions indigentes

Tribune
Par Carl-Alexandre Robyn (Valoro) · 18/01/2018

La confusion des termes, ou la maîtrise lacunaire des concepts (relire l’introduction de cet article de Carl-Alexandre Robyn), et les constats erronés posés par de soi-disant “experts” ne peuvent que conduire à une interprétation compliquée de la réalité et par conséquent à des erreurs de diagnostic.

Et ces dernières rendent laborieuse toute tentative de faire avancer le “schmilblick”, de rendre l’écosystème start-up plus performant en apportant des solutions plus pertinentes.

 

La Belgique n’a pas (encore) de licornes. Pourquoi ? 

Premier exemple de diagnostic bancal: “la mentalité [est] conservatrice” ; “le niveau d’ambition reste problématique. Les Belges sont par nature conservateurs et sont réticents à l’idée de prendre des risques.

Mince alors, en voilà une explication originale ! Qui n’a pas déjà entendu des centaines de fois cette même argumentation appliquée aux entreprises en général, puis aux PME, puis aux TPE et maintenant aux start-ups. Depuis des décennies, on ânonne sans cesse ce lieu commun. C’est une insulte à tous ceux et celles qui ont pourtant pris des risques en se lançant dans les affaires, sur notre territoire et, encore plus dangereusement, à l’étranger, puisqu’ils ou elles se sont coupés encore plus de leur zone de confort.

Certes, nous sommes un petit pays mais pas forcément avec un petit esprit. Élargissons l’horizon de nos souvenirs et songeons aux peintres flamands de la Renaissance, aux explorateurs belges (cartographes, ingénieurs, médecins et scientifiques partis à l’étranger, découvrir, étudier, et créer), aux expatriés qui continuent à enrichir la réputation des Belges, aux anciens “coloniaux” qui ont jadis quitté une vie bien réglée pour l’inconnu, etc.

Dans la patrie du surréalisme qu’est notre royaume, les artistes ont toujours su prendre des risques, d’ailleurs un tout récent documentaire français “Les Belges ça ose tout !” consacre cette idée. Et puis, de tout temps, les Belges ont pris des risques: contre les légions de Jules César, contre la fine fleur de la chevalerie française à la bataille des “éperons d’or”, contre les armées du Kaiser…

Le Belge n’est pas plus réticent qu’un autre citoyen européen à prendre des risques. La “mentalité conservatrice” n’est pas le vrai problème. Le Belge est confronté à une difficulté d’un autre ordre, sous-estimée, dissimulée et aux conséquences indécelables… jusqu’à ce qu’il soit trop tard !

Le réel problème du Belge en général, et plus spécifiquement de l’entrepreneur belge, est… son manque de culture financière ! Cette lacune fait le délice des banques, des assurances et de tous les types d’intermédiaires financiers.

De prime abord, cette lacune n’est pas (trop) grave puisque des prestataires spécialisés (banquiers, assureurs, avocats, réviseurs, notaires…) de confiance sont au service des citoyens-entrepreneurs. Mais elle a pourtant une conséquence sournoise: le manque de connaissances engendre non seulement une méconnaissance des options disponibles mais procrée également des préjugés qui, à leur tour, font prendre de mauvaises décisions.

L’écosystème, tête de turc?

Deuxième exemple de diagnostic bancroche: “Le retard dans l’essor des « scalers » belges a une deuxième origine: l’absence d’écosystème véritablement propice à la croissance des start-ups.

En réalité, tous les éléments d’un écosystème favorable aux start-ups sont bien là. De ce point de vue, la Belgique s’apparente même à une “petite Californie” tant les dispositifs, publics et privés, de soutien à la création et au financement d’entreprises sont nombreux et variés (les pouvoirs publics ont fait leur job !). A tel point que cela en est devenu un maquis touffu.

Le problème de l’écosystème belge de start-ups n’est donc pas sa pauvreté mais son défaut d’efficience. Les demandeurs de conseils et de capitaux ne sont pas correctement mis en rapport avec les apporteurs de ceux-ci. En fait, l’intermédiation ne se déroule pas de manière suffisamment efficace.

Puisqu’il y a foison d’outils, de programmes, de structures d’accompagnement et de financement, il devient primordial pour les porteurs de projet de pouvoir disposer d’un “fil d’Ariane” pour les aider à choisir qui les conseillera et les financera le mieux possible. Malheureusement nous manquons de bons aiguilleurs.

Par conséquent, un chantier intéressant pour faire émerger nos entreprises consiste à repenser le métier d’accompagnateur de start-ups. L’écosystème belge de l’accompagnement start-uppeurial se caractérise par:

  1. son manque de visibilité et d’informations (la bonne information au bon moment : pertinence et rapidité)
  2. l’inadéquation de la répartition des ressources publiques (trop de ressources allouées dans l’accompagnement des entrepreneurs “par nécessité” et gaspillées dans des parcours trop longs d’accompagnement personnalisés)
  3. une chétive légitimité des accompagnants.

Carl-Alexandre Robyn: “L’intermédiation ne se déroule pas de manière suffisamment efficace.”

Il faut repenser le rôle, le positionnement, le recrutement, la formation et la rémunération des accompagnants. Tout comme il est utile de redéfinir les besoins fondamentaux des porteurs de projet, par exemple, en reconsidérant les facteurs-clés de succès et en établissant un référentiel des compétences permettant l’évaluation des aspirants entrepreneurs. En outre, les praticiens de l’accompagnement doivent concevoir de meilleurs outils pour jauger l’efficacité de leur accompagnement et sonder plus objectivement la satisfaction des accompagnés.

Il est également nécessaire de mieux gouverner les acteurs des réseaux d’accompagnement à la création d’entreprises. La gouvernance actuelle est objectivement déficiente. Il y a d’abord le paradoxe de l’abondance des structures de soutien et, en même temps, un désert statistique concernant leurs réalisations.

De plus, il est urgent que les opérateurs du réseau partagent enfin un référentiel de compétences pour le métier d’accompagnateur de start-ups, afin de pallier aux carences de gestion des compétences des accompagnants et pour renforcer la légitimité de ceux-ci en les professionnalisant davantage.

Et surtout, il faut évaluer plus objectivement et plus fréquemment les structures d’appui aux start-ups. Mettre fin à la culture d’auto-évaluation et à l’habitude d’autosatisfaction des opérateurs du réseau. La performance des incubateurs de start-ups doit être mesurée par des tiers mandatés par les autorités de contrôle prudentiel des structures d’accompagnement aux entreprises.

Où sont les “poches profondes”?

Troisième exemple de diagnostic boiteux: “Les entreprises belges sont également confrontées à une limite en termes d’accès aux capitauxNous avons un certain nombre de fonds mais ils sont trop petits pour donner un coup de pouce à nos scale-ups.”

Cette assertion s’est vérifiée pendant longtemps, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le problème n’est plus le nombre de venture capitalists opérant sur le marché belge ni le volume des fonds dont ils disposent. Des fonds et des sociétés de capital-risque belges investissent elles-mêmes dans des bien plus gros fonds de capital-risque étrangers (français, américains et anglais) qui, en retour, sont prêts à financer de gros projets émanant d’entreprises belges.

Des gros fonds d’investissement étrangers ont, sur notre territoire, des éclaireurs pour déceler de futures pépites internationales dans lesquelles investir directement ou en collaboration avec des établissements financiers belges, et peu importe à ces géants financiers que l’entreprise maintienne ou non son siège d’exploitation et/ou son siège social sur notre territoire.

Le problème est plutôt d’accéder à ces fonds aux poches si profondes. Les incubateurs et accélérateurs de start-ups ne les connaissent pas bien (déficience d’aiguillage) et ne savent pas non plus comment les aborder et comment préparer leurs accompagnés à solliciter des colosses de l’investissement (sans que les fondateurs y perdent toutes leurs plumes !). D’ailleurs on ne monte pas le même type d’argumentaire pour une scale-up que pour une start-up, qui est le seul domaine de soi-disant “expertise” des structures d’accompagnement.

Pullulement de “spécialistes”, aveuglement des pouvoirs publics

L’écosystème de start-ups fourmille de soi-disant “experts” en création et financement d’entreprises qui, plutôt qu’éclairer la communauté, la gavent de lapalissades tandis que les pouvoirs publics, sans repères, abondent dans leur sens et les couvent de subventions.

Apparemment, les pouvoirs publics n’ont pas la capacité de reconnaître les bons profils pour mener à bien leurs politiques en matière de création d’entreprise. C’est un exemple de leur manque de perspicacité en la matière. D’ailleurs, ne voient-ils pas que l’impact macro-économique du dispositif public d’aide à la création et au financement d’entreprises est plutôt chétif ?

En effet, le taux de création d’entreprises (part des nouvelles entreprises dans le total des entreprises actives) en Belgique est le plus fluet des pays de l’Union européenne: il avoisine les 3,5% (contre 9,5% en France, 10,5% aux Pays-Bas, 7,8% étant la moyenne européenne – chiffres Eurostat 2015). Et, selon les études de McKinsey, le taux de création d’entreprises en Belgique continue de chuter. Dixit Jacques Bughin, Senior Partner, directeur du McKinsey Global Institute, dans le magazine Trends du 4 janvier 2018.

Un tas de structures d’accompagnement, de programmes d’éveil, de formation et de financement à la création d’entreprises éclosent, financés par des tombereaux d’argent du contribuable, en procurant des jobs peinards où une pléthore d’administrateurs et de cadres peuvent être incompétents sans crainte puisqu’ils n’ont de compte à rendre à personne. En effet, personne ne lit les comptes-rendus d’activité des structures et programmes de soutien aux start-ups et TPE: les pouvoirs publics n’ont ni les moyens (pas assez de conseillers spécialisés dans ces matières dans les cabinets ministériels), ni peut-être l’envie de faire une analyse critique des politiques menées par toutes ces structures d’accompagnement, de se pencher sur la pertinence et le bien-fondé de tout ce qui est organisé dans ce domaine. Dès lors, pourquoi s’inquiéter que le dispositif public d’accompagnement aux start-ups soit performant, ou non ?

 

A suivre: Manque de culture financière et excès de préjugés

Carl-Alexandre Robyn

Start-up Financial Architect / Associé-fondateur

Cabinet Valoro