Apparemment il y a encore un énorme effort de réflexion à fournir par les recruteurs d’entreprises numériques pour attirer et retenir des talents!
Impact, salaires, flexibilité, qualité de vie… Les arguments des entreprises émergentes pour séduire les profils les plus convoités sont logiques mais peu pertinents. En effet, ce sont des motivations insuffisantes pour gagner la véritable guerre des talents numériques qui sévit actuellement au sein des start-ups et des scale-ups européennes.
La scale-up française Mirakl (e-commerce) est passée de 350 employés à 600 en six mois et, depuis sa toute dernière levée de fonds, compte embaucher 1.700 personnes en trois ans, dont 350 développeurs! Même si sa visibilité aide, elle n’empêche pas ses dirigeants de se préoccuper des difficultés de recrutement.
De l’avis-même de bon nombre d’entreprises digitales, le marché est ultra tendu et il faut redoubler d’efforts pour attirer les profils recherchés, comme les développeurs, data scientists, ou même les commerciaux. Il y a tellement de postes à pourvoir. Et pratiquement toutes les TPME tech sont confrontées à une problématique autour de l’embauche et/ou concernant les compétences numériques.
Les difficultés de recrutement sont d’ailleurs un problème éminemment ignoré dans les business plans. Cette sous-estimation chronique fausse généralement les prévisions financières. En effet, le recrutement des talents essentiels au développement de toute jeune pousse prend presque toujours plus de temps qu’escompté et coûte plus cher que prévu.
Un argument dévalorisé
L’argument le plus évident pour attirer les talents semble reposer sur le salaire proposé par les entreprises émergentes. C’est certes un argument de poids mais qui perd, à l’usure, de son efficacité parce qu’il est mal compris et qu’il est souvent, dans les faits, sans lien logique, voire en contradiction, avec les deux autres facettes du triptyque d’attraction: rémunérations – transparence – équité.
En outre, on présume que le salaire est seulement comparé à ce qui se pratique à l’extérieur pour des fonctions équivalentes. Sans réaliser que l’employé talentueux finira plus que probablement par le comparer à ce qui se fait au sein de sa société en fonction des titres, tâches, responsabilités et récompenses de chacun.
Payer, par exemple, 30% de plus que ce qui se pratique ailleurs sur le marché est un coup dans l’eau si ce supplément de rémunération n’est pas au diapason d’une limpidité et d’une juste proportionnalité clairement affichées par l’entreprise émergente. Dans le sens où une rémunération équitable se jauge à l’aune d’une répartition proportionnelle de la richesse produite collectivement selon des critères clairs: par exemple, en fonction de contributions matérielles, intellectuelles (nombre de tâches remplies, importance relative de celles-ci et responsabilités assumées), et/ou financières de chacun à la start-up.
D’ailleurs, les chiffres donnent raison à cette tendance à gonfler les rémunérations. D’après le rapport “Salary Budget Planning – 2021”, publié par Willis Towers Watson, les entreprises de la tech prévoient une augmentation des rémunérations de 2,6% en 2022.
Une rémunération équitable se jauge à l’aune d’une répartition proportionnelle de la richesse produite collectivement selon des critères clairs.
Les jeunes pousses moins opulentes actionnent un argumentaire d’attraction des talents reposant sur la culture, la confiance, la liberté et l’autonomie des collaborateurs, l’argument social et la qualité de vie: la flexibilité du télétravail, la mobilité (mutations internes), les opportunités de carrière, la possibilité pour les collaborateurs de garder des contrats freelance à côté de leur activité au sein de la start-up, etc.
Une histoire d’herbe verte
Miser sur la valeur sociale ou les matériels technologiques (argument technique) pour grandir, pourquoi pas? Mais ce sera insuffisant pour empêcher les talents d’aller voir ailleurs si l’herbe y est plus verte.
Les jeunes ingénieurs, analystes ou techniciens ne se laisseront pas longtemps bercer de mots et d’illusions tant les concepts de culture, de valeurs, de confiance, de liberté et d’autonomie sont galvaudés, mal interprétés, et généralement évanescents. La liberté et l’autonomie annoncées par l’employeur sont rarement équipollentes à celles perçues par les employés. La confiance et la mobilité invoquées par l’entreprise sont souvent inférieures aux attentes des talents recrutés…
Pour les green tech, climate tech et consorts, l’argument écologique, la nature du projet (reforestation, sauver les océans en nourrissant les poissons avec des insectes plutôt qu’avec d’autres poissons…) et le degré d’authenticité de la démarche initiale d’engagement environnemental sont également des vecteurs d’attirance.
Ne pas se laisser bercer de mots et d’illusions tant les concepts de culture, de valeurs, de confiance, de liberté et d’autonomie sont galvaudés et généralement évanescents.
Mobiliser les talents sur un projet stimulant et challengeant, les attirer sur une aventure entrepreneuriale géniale avec un impact colossal, c’est bien, mais que restera-t-il de cette mobilisation lorsque les employés talentueux se rendront compte que le partage des fruits de leur travail collectif n’est pas réparti proportionnellement aux efforts et contributions consentis par chacun?
Notamment, lorsque les salaires, les gratifications et autres libéralités et les différentes formes d’intéressements et de participations au capital sont maladroitement disproportionnels par rapport aux tâches et responsabilités cumulées de chacun.
Par exemple, le directeur marketing, le directeur administratif et financier, le directeur juridique d’une start-up ont le même type de responsabilité directoriale mais n’ont pas le même nombre de tâches principales à remplir et l’importance de celles-ci est éminemment subjective. Rémunérer, gratifier, intéresser ces trois directeurs au même barème est injuste. Frustration de l’un ou l’autre directeur.
Un expert technique a trois fois moins de tâches à remplir que le directeur marketing et pourtant cet employé-clé atteint trois-quarts de la rémunération du directeur marketing. Frustration de ce dernier.
Un autre talent numérique, bien que gagnant nettement plus que ce à quoi il aurait pu prétendre dans une société ayant pignon sur rue, se rend compte qu’il est à seulement à 50% de la rémunération globale du directeur juridique qui remplit autant de tâches que lui. Frustration de l’employé-clé. Etc. etc.
La juste valeur est ailleurs
Les start-ups et scale-ups numériques ont bien compris que les jeunes veulent s’éclater dans ce qu’ils font, veulent du bien-être en entreprise et sont beaucoup plus exigeants que les générations passées. Elles se disent à juste titre que répondre à ces exigences est un atout et dope l’engagement des collaborateurs. Mais réalisent-elles que ces exigences exacerbées sont d’un tout autre ordre?
En effet, les jeunes talents, notamment ceux et celles aux compétences numériques pointues, sont plus exigeants en matière de sincérité de leurs employeurs et de leur impartialité dans la reconnaissance et le respect du mérite de chacun: chacun ayant la possibilité d’apprécier à sa juste valeur ce qui lui est dû.
C’est à l’aune de ces valeurs (bien plus que l’argent, l’impact social et environnemental ou la toute relative liberté) qu’ils jaugent la considération et le respect qu’on leur accorde.
Le sujet n’a pas fini d’animer la startup-sphère européenne. D’après l’association Numéum (nouveau nom choisi par le Syndicat français du numérique, après la fusion intervenue entre le Syntec numérique et Tech In France), il manque déjà 10.000 ingénieurs informatiques sur le marché français [voir cet article du Monde] – et 1.800 sur le marché belge – pour répondre aux besoins des entreprises du secteur.
Carl-Alexandre Robyn
Consultant spécialisé en stratégie et
architecture financière pour start-ups
Cabinet de consultance Valoro
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