Une appli de vidéoconsultation supportée par deux mutuelles. Tendance à suivre?

Pratique
Par · 08/04/2022

Deux mutuelles – la Mutualité chrétienne et Solidaris, mutualité socialiste – ont récemment annoncé leur intention de promouvoir l’application de vidéoconsultation Doktr lancée par Proximus l’année dernière auprès de leurs affiliés.

Dans sa communication officielle, la Mutualité chrétienne met en avant l’évolution des mentalités et des habitudes, bousculées par la crise sanitaire. La MC ne veut donc pas rater le train de l’essor des vidéoconsultations. Solidaris, de son côté, estime que “le projet Doktr a le potentiel de faire évoluer le cadre des remboursements des vidéoconsultations […] et est également susceptible de permettre le développement d’autres services, telles que les consultations des médecins-conseils et l’assistance à l’étranger”. 

Pierre Cools, secrétaire général adjoint de Solidaris, s’en explique: “Nous nous étions lancé, depuis quelque temps, dans une analyse de marché pour trouver une solution de vidéoconsultation. Pour deux raisons. D’une part, nous cherchions une solution pour des cas de consultations par des médecins conseil de notre mutualité et pour la médecine d’assistance à l’étranger. Par ailleurs, on a pu constater, pendant la crise du Covid, un recours accru aux téléconsultations, surtout du côté des patients chroniques, même si la courbe s’est affaissée depuis la fin des confinements.

Nous nous trouvons encore aujourd’hui dans une période mouvante, avec des comportements qui vont encore évoluer. Il faut se donner du temps. Mais un partenariat avec une société comme Proximus était intéressante, en raison du potentiel de sa solution et des ressources dont dispose la société. Nombre d’innovations sont encore possibles.”

Même écho du côté de la Mutualité Chrétienne où Luc Van Gorp, son président, explique la démarche comme suit: “Nous l’avons constaté avec la crise sanitaire, les téléconsultations ont joué un rôle capital en permettant aux patients de continuer à consulter un médecin, notamment pendant le confinement. Même après la pandémie, les télé-/visioconsultations ne disparaîtront plus.

Les bons soins, curatifs ou préventifs, au bon moment, par le bon canal, seront l’un des défis pour le futur proche. Nous évoluons vers un monde hybride, où les gens passeront constamment d’un canal à l’autre. La recherche de la bonne forme et du bon canal sera un voyage d’exploration.

Nous devrons tester, nous devrons être vigilants, nous devrons constamment vérifier si nous allons toujours dans la bonne direction et comment nous pouvons corriger le cap. Pour ce faire, nous, mutualité santé, voulons participer à ce voyage d’exploration et convaincre les autres acteurs de se remettre en question, tout comme nous.”

 

Luc Van Gorp (Mutualité Chrétienne): “Nous devrons tester, nous devrons être vigilants, nous devrons constamment vérifier si nous allons toujours dans la bonne direction et comment nous pouvons corriger le cap.”

 

Préserver les bonnes pratiques de base

Pour marquer leur soutien à l’application de Proximus, les deux mutualités disent avoir non pas posé leurs conditions mais à tout le moins poussé Proximus à revoir quelque peu sa copie. Ainsi a-t-on insisté du côté de Solidaris pour que l’appli permette, voire privilégie, la relation entre patient et son médecin traitant attitré – ce qui n’était pas l’optique de départ prise par l’opérateur. Dans son scénario initial, l’idée était plutôt de permettre à tout patient de trouver et de s’adresser à n’importe quel praticien généraliste (et spécialiste dans un second temps), qu’il y ait ou non déjà relation thérapeutique entre eux.

 

Pierre Cools (Solidaris): “Nous estimons et les travaux du groupe de travail [fédéral] Téléconsultation vont dans ce sens, que s’il y a une relation patient-médecin traitant attitré, il faut la privilégier.”

 

Pierre Cools: “Nous avons souligné auprès de Proximus qu’il ne servait à rien de venir avec une approche disruptive dans la mesure où le Belge préfère largement interagir avec le médecin avec lequel il a une relation privilégiée. Plus de 80% des patients belges disposent d’un DMG (dossier médical global) auprès de leur médecin traitant habituel.

Au début, l’optique prise par Proximus était de permettre à tout patient d’accéder à n’importe quel médecin. Ce n’est pas dans l’esprit des pratiques en Belgique. Nous avons donc insisté pour que l’application favorise la relation privilégiée. C’est là une condition essentielle, notamment dans l’optique d’un mécanisme de remboursement pour des vidéoconsultations, qui est actuellement en discussion au sein d’un groupe de travail en vue de la définition d’un cadre pérenne.”

Les mutualités ont obtenu raison puisque Proximus a effectué quelques modifications au sein de son application pour mettre en avant cette mise en relation avec le médecin traitant habituel. Le principal défi restant évidemment désormais d’attirer les médecins vers l’appli – et pas uniquement les plus avant-gardistes qui, par principe, furent les premiers attirés par la solution…

Même si la préférence va à la relation avec le médecin traitant attitré, les mutualités identifient d’autres cas d’usage intéressants pour l’appli de vidéoconsultation. On a déjà vu les deux “cibles” identifiées en priorité par Solidaris – les médecins conseil et la médecine d’assistance à l’étranger. Pierre Cools y ajoute encore d’autres cas: “la vidéoconsultation peut être importante pour la médecine de garde ou dans des communes ou territoires qui sont en pénurie de médecins généralistes.

Par ailleurs, il est parfois difficile, pour une première consultation, de trouver un médecin. En particulier en région bruxelloise. La solution Doktr permet alors d’établir un premier contact et, potentiellement, de passer ensuite au stade du DMG.”

Un complément, pas un remplacement

Pas question, aux yeux des deux mutualités concernées, de bouleverser en profondeur les pratiques. Au contraire, comme on l’a vu plus haut. L’optique est davantage celle d’une visioconsultation pouvant venir s’ajouter à la panoplie de pratiques actuelles, pour y suppléer, voire les dépoussiérer.

Aux yeux de Luc Van Gorp, le partenariat avec Proximus – sans connotation commerciale côté mutuelles, insistent les deux mutualités – se définit surtout en termes d’encadrement et de guidance : “Il s’agit plutôt pour nous d’encadrer ce type de soins parce que nous sommes convaincus que les soins à distance sont l’une des forces de changement dans la transformation de l’organisation des soins. La télésurveillance, la téléconsultation et les soins à faire soi-même – applis, outils, suivi – offrent tellement de possibilités, tant du point de vue du patient que de celui du prestataire de soins, qu’ils provoqueront une vague de changement imparable.

Mais la technologie n’est jamais une fin en soi, qui fait passer au second plan d’autres aspects des soins tels que le contact humain. Bien au contraire. Les soins ne deviennent intelligents que lorsque la technologie améliore l’attention personnelle au lieu de la remplacer.

Cette vague numérique exercera une pression encore plus forte sur les points sensibles du système, et ce, beaucoup plus rapidement que nous ne le pensons, nous obligeant, dans le respect du passé, à abandonner les anciens paradigmes dans notre façon de travailler, afin de poser de nouvelles bases à partir de cette vision large de la santé.

Des soins adéquats se concentrent sur la qualité de vie. La santé ne se résume pas à une simple composante physique. La santé, c’est aussi le bien-être mental, trouver du sens à ce qui nous entoure, le fonctionnement quotidien et la capacité à participer à la société. Cette approche exige une vision différente, plus large, des soins de santé et au-delà. Et surtout, une participation plus active du patient lui-même dans la détermination de ce qui est nécessaire et souhaitable. La technologie peut y contribuer, pour autant qu’il y ait une valeur ajoutée avérée pour la qualité de vie et la qualité des soins. Les nouvelles formes de soins créent de nouvelles opportunités.

En même temps, nous sommes effectivement très attentifs aux dérives que peuvent provoquer certaines avancées technologiques. Les nouvelles technologies doivent être un moyen d’améliorer la qualité de vie des prestataires de soins et les soins prodigués aux patients en facilitant notamment l’accès aux soins de santé. Mais elles ne doivent en aucun cas être la porte ouverte à des dérives d’un point de vue éthique, juridique, marchandisation des soins, etc.”