Dans 7 mois, la Rtbf devrait avoir finalisé la migration de sa plate-forme de production vers un système entièrement adapté à l’ère du numérique, apte à distribuer le contenu, quel qu’il soit (actu, reportage, magazine, retransmission sportive…) sur toutes les plates-formes (télévision, radio, Internet, mobiles…).
Un système à la fois global et modulaire, pouvant intégrer des outils venant d’éditeurs et équipementiers divers (certes pré-validés par le maître d’oeuvre de la solution, à savoir IBM). Un système, aussi, tient à souligner Benoît Balon-Perin, “digital workflow manager” à la direction Technologies et Exploitation de la Rtbf, qui sera capable de s’adapter à de nouvelles technologies dont on n’imagine peut-être pas encore les contours. “Après tout, lorsque nous avons initié ce projet de migration vers le tout-numérique en 2009, les tablettes numériques n’étaient pas encore nées. Qui sait ce que nous réserve l’avenir?”
Le nouveau système de production devait par ailleurs pouvoir correspondre plus étroitement aux spécificités de chacun des sites de production: Bruxelles (essentiellement responsable de la production des actualités et contenus sportifs), Liège (et sa spécialisation en divertissement avec des programmes tels The Voice), Charleroi (magazines), Mons (surtout dédié à la radio), Namur (orienté notamment prime time, avec par exemple l’émission On n’est pas des pigeons). Côté radios, tous les sites sont concernés, notamment pour les décrochages régionaux.
La phase de tests et de “proof of concept” a été bouclée en 3 mois (entre mai et début septembre 2014). Une cinquantaine de tests, de “use cases” ont été définis et validés pour vérifier l’efficacité de la chaîne complète de processus- depuis l’acquisition du contenu (enregistrement audio et/ou vidéo jusqu’à l’archivage). Chaque test a été mené à la fois par les ingénieurs et techniciens et par les utilisateurs finaux.
Désormais, c’est la phase de réalisation et de déploiement sur tous les sites qui démarre, pour une durée de 7 mois. Il s’agira aussi de former les utilisateurs. A savoir, la “majorité” des quelque 300 journalistes de la maison, les techniciens, les quelque 80 monteurs…
La “multi-disciplinarité” de la nouvelle plate-forme de production ne se définit pas uniquement en raison du besoin de pouvoir décliner tous les contenus sur toutes les plates-formes – du téléviseur jusqu’au smartphone – mais aussi en raison de la mixité croissante qui s’installe au coeur de chaque “canal” traditionnel. A l’avenir, souligne par exemple Benoît Balon-Perin, “la radio deviendra encore plus visuelle.” Une tendance qui se manifeste déjà par la présence de caméras, pour une diffusion sur la télé et le Web ou, à contrario, pour alimenter le studio en images”.
Maître d’oeuvre de la migration et de la nouvelle solution: IBM. Préféré à trois autres candidats (l’américain Avid, la société franco-israélienne Dalet, et l’intégrateur belge StudioTech), il joue à la fois les fournisseurs (logiciels de gestion, serveurs, systèmes de stockage, éléments réseau), les conseillers et les intégrateurs (tant avec les solutions existantes au sein de la Rtbf, au niveau du réseau notamment, qu’entre les divers logiciels du système de production – acquisition de contenu, montage…).
Destination: tout-numérique et… changement des métiers
Le pourquoi de cette migration est assez évident: moderniser l’outil, le rendre utilisable par un “public” d’utilisateurs plus large (et non plus par les seuls techniciens spécialisés), propulser les divers sites de production et départements du radiotélédiffuseur dans l’ère du tout-numérique. Un projet qui, soit dit en passant, a été initié dès 2009 mais qui, tenté dans un premier temps en s’appuyant uniquement sur des ressources et compétences internes, n’avait pas abouti pour diverses raisons: catalogue de solutions et outils encore disparate, équipe chargée des développements manquant de moyens, “périmètre” du projet n’englobant pas l’univers de la radio ni, surtout, celui du Web [diffusion sur les supports numériques], un terrain sur lequel la maison du boulevard Reyers avait pris du retard…
En 2012, la décision fut dès lors prise de repartir sur de nouvelles bases. “C’était l’occasion de repenser l’ensemble du système afin de le rendre plus simple, plus robuste, davantage “monitoré” et plus rapide”, souligne Benoît Balon-Perin.
Autre raison de la migration: autoriser une évolution des métiers du côté des utilisateurs (et les journalistes sont les premiers visés), simplifier et accélérer les processus de production et, au passage, réaliser quelques économies.
Passons tout cela en revue.
Dans la suite de cet article – réservée à nos abonnés – la manière dont le numérique mais aussi les contraintes économiques font des outils (numériques) de production un instrument de changement des profils et métiers pour les collaborateurs de la Rtbf. Nous détaillons aussi la manière dont les nouvelles solutions de production “multi-cibles” (télévision, Internet, mobiles…) sont l’occasion pour la Rtbf de revoir la puissance de son réseau (pour les transferts d’information entre sites de production) et de réorganiser le stockage de l’information.
Des métiers en mutation
L’une des contraintes posées par la Rtbf était de mettre en oeuvre un système de production “multi-cible” qui soit flexible et, surtout, que toutes les catégories de personnel puissent aisément maîtriser, selon leurs besoins. En ligne de mire, notamment, les journalistes, désormais appelés à ajouter quelques cordes de production (montage, diffusion) à leur arc.
On le verra plus loin dans cet article, les outils de montage choisis doivent par exemple permettre aux journalistes ne disposant pas forcément de compétences poussées de monter eux-mêmes leurs sujets. Eventuellement sur le terrain. C’est pourquoi on retrouve désormais, comme élément de la solution globale, le logiciel Adobe Première. “Le travail de montage, surtout dans le contexte Actualité, ne requiert pas forcément les capacités artistiques ou techniques d’un monteur professionnel”, déclare Benoît Balon-Perin. “Un journaliste peut parfaitement assurer lui-même le montage de 3 ou 4 plans de 20 secondes. Il en va évidemment autrement d’un sujet complet ou d’un documentaire.”
Benoît Balon-Perin: “La nouvelle solution permettra d’entamer le débat sur les métiers. On verra jusqu’où nous irons en la matière…”
On se trouve, admet-il, à un tournant pour ce qui est des job descriptions, de la segmentation des métiers. Les choses devront évoluer dans la mesure où la segmentation historique entre métiers ne peut plus être préservée en l’état “au vu de la diffusion des contenus sur divers supports” et par un besoin accru de souplesse.
A cet égard, le choix effectué en faveur d’IBM et de sa plate-forme Arema ouvre la voie à l’adjonction d’outils “plus légers”, moins complexes. “La solution technique permettra d’entamer le débat sur les métiers. On verra jusqu’où nous irons en la matière…”
Si nombre de personnes devront donc acquérir de nouvelles compétences et habitudes, la spécialisation ne disparaîtra pas pour autant. “Tout dépendra du type de production. Pour les “produits rapides” [du genre Actualités], on se rapprochera sans doute toujours davantage d’outils grand public, avec moins d’achats de matériels professionnels très onéreux. Certains de ces outils de grande consommation sont d’ailleurs très performants, parfois plus que les autres. Mais, sur les différents sites de production, nous aurons toujours besoin d’infrastructures plus lourdes. Notamment pour la production de documentaires, de retransmissions sportives, d’émissions et contenus plus “prestigieux”, pour tout ce qui touche au coeur de métier d’un broadcaster…”
Accélérer le processus de production
Ce que la Rtbf attendait aussi du nouveau système est qu’il garantisse un “monitoring” plus efficace, plus précis et plus abordable pour les usagers. “Auparavant, il n’était pas possible d’effectuer le suivi de chaque fichier média créé, de vérifier son cheminement dans le processus de production. Cela pouvait être source de stress, par exemple, lorsqu’il s’agissait d’un reportage sur une actualité ‘chaude’… Notre exigence est que l’utilisateur puisse suivre l’évolution de ‘sa’ production et que le support soit davantage garanti. Histoire de permettre aux responsables de la production de mieux anticiper les éventuels incidents. Par le passé, c’était l’utilisateur [lisez: parfois le journaliste] qui détectait le souci”… quand il était trop tard.
Un système de production tout-numérique plus convivial, moins complexe pour les utilisateurs.
Autre objectif: se doter d’outils de production qui permettent de gagner du temps – en acquisition des contenus (images, enregistrements…) et en manipulation, traitement et transfert de ces contenus. “Les temps de mise à disposition des images en live pourront être divisés par deux. Le volume de matières à transférer et à transcoder sera aussi sensiblement réduit grâce au passage au tout numérique et au principe de stockage décentralisé.” A l’heure actuelle, nombre d’émissions sont encore enregistrées sur cassettes et transportées entre sites.
On gagnera ainsi du temps en montage.
Il faudra aussi orchestrer et optimiser les transferts. “Le trafic sera régulé pour éviter la surcharge.” Par exemple, on évitera de faire transiter des contenus de magazines lorsque le réseau doit relayer l’actualité. Les émissions longues et les gros fichiers voyageront donc en heures creuses, voire la nuit. L’actu ou encore les sports auront, eux, droit aux flux tendus.”
Une hiérarchisation identique sera appliquée au stockage des contenus. Haute disponibilité et flux tendus pour l’actu et le sport, recours à des supports near on-line, avec disponibilité moins haute, pour les contenus qui se produisent sur de plus longues périodes ou qu’il faut encore compléter ou peaufiner.
La numérisation des archives de la Rtbf se poursuit. Celles couvrant les années depuis la création de la télévision jusqu’en 2008 sont confiées à la Sonuma. Après la numérisation du Betamax, celle des films est actuellement en cours.
Le reste des archives (2008-2014) sont actuellement stockées sur bandes LTO. Volume total: 1 péta-octet. Signalons qu’une migration est en cours, au niveau LTO, pour dissocier le stockage des archives et de leur back-up.
Quant à l’archivage, il se fera selon deux niveaux: sur bande LTO, pour le court ou moyen terme, et archives Sonuma pour l’historique (ce dernier s’arrête pour l’instant à 2008).
Autre avantage attendu: l’amélioration dles “performances” des utilisateurs et notamment des journalistes, grâce à une collaboration plus fluide entre personnes travaillant pour la télé, la radio et le Web. Une même personne pourra publier plus aisément sur l’ensemble de ces plates-formes en quelques clics. Chose qui n’est pas possible actuellement.”
Mise à niveau du réseau
Il faudra bien entendu effectuer une mise à niveau du réseau qui relie les différents sites afin de pouvoir supporter efficacement les flux, en ce compris en temps réel. “Compte tenu des nouvelles définitions, le réseau actuel ne suffit pas. La nouvelle infrastructure permettra de passer en full HD.”
Pas question toutefois d’investir lourdement dans une démultiplication de la bande passante. Débit actuel entre sites: 1 Giga/sec. Pas question de pousser à 10 Giga. “Le cahier de charges était clair”, commente Arnaud Hay, spécialiste Media & Entertainment Industries chez IBM Global Business Services. “Nous nous adapterons au réseau tel qu’il existe. Nous avons pris en compte les limitations existantes et on travaillera à l’optimisation des performances. La solution GPFS (General Parallel File System) permettra de les améliorer en préservant le réseau. Les schémas de stockage, eux aussi, participent à minimiser l’effort au niveau du réseau.”
“Une réflexion est en cours pour la mise à niveau de notre réseau”, indique pour sa part Benoît Balon-Perin. “Le concept-même de cette mise à niveau avait été signalé dans le cahier des charges mais sans précision. Nous voulions en effet d’abord savoir quel serait le prestataire et, dès lors, la solution proposée avant d’aller plus loin dans la réflexion.”
Du côté technique
Le système de production tout-numérique mis en oeuvre se compose à la fois de solutions puisées dans le catalogue IBM (serveurs, systèmes de stockage, équipements réseau, logiciels de gestion et d’orchestration) et de composants spécialisés fournis par des éditeurs tiers, pré-validés par Big Blue.
Un nouveau NRCS (newsroom content system) que les journalistes devront apprendre à maîtriser
C’est ainsi qu’on trouve un nouveau NRCS (NewsRoom Content System), en l’occurrence la solution Open Media de l’allemand Annova, qui vient remplacer la solution Dalet (française) préexistante. Le MAM (media asset management) est lui aussi d’origine allemande, venant d’Arvato Systems. “Leur VPMS (Video Production Management System) nous procure un catalogue complet de fonctionnalités: gestion des fichiers vidéo, référencement, recherche et gestion d’‘objets’…”
Ces deux solutions ne sont en rien des inconnues. Ni pour IBM, qui a déjà recouru à ces fournisseurs pour d’autres projets broadcasting à l’étranger, ni pour la Rtbf: “la quasi totalité des chaînes de télévision allemandes utilisent ces solutions qui ont par ailleurs l’avantage d’être bien intégrées entre elles…”
S’y ajoutent encore quelques solutions dédiées au montage. Notamment Adobe Première qui boute dehors la solution Media Composer d’Avid. “Son inconvénient était de reposer sur des formats spécifiques et d’exiger un stockage propriétaire. Adobe Première, par contre, peut opérer avec tout type de stockage et est en outre plus aisé à gérer par l’utilisateur”. Ce dernier, rappelons-le, pouvant être aussi bien un monteur professionnel qu’un ‘simple’ journaliste.
La gestion globale des processus, l’“orchestration” des flux de contenus est assurée par la solution Arema d’IBM (Arema est l’acronyme d’Archive and Essence Manager; le terme étonnant d’“essence” désignant le concept de média haute résolution”).
Cet outil gère les processus de stockage et de distribution des contenus vers les divers systèmes et solutions de création et de diffusion utilisés. A la manoeuvre, en coulisses, le GPFS (General Parallel File System) d’IBM qui gère les flux serveurs, stockage et réseau.
Si chaque site de production dispose de systèmes de stockage, selon des capacités dépendant du type de contenus et programmes produits (magazines, actualités, divertissement…), la gestion du stockage est centralisée, l’ensemble des dispositifs étant vus comme un seul système. Un stockage qui est placé sous le signe de la haute disponibilité et organisé, comme on l’a vu plus haut, en plusieurs niveaux.
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