Les outils de calcul d’empreinte pullulent sur le Web. Les entreprises, de plus en plus, calculent leur empreinte. Les citoyens se font – ou se disent – plus attentifs. Mais les choses ne semblent guère évoluer.
Qu’en tirer comme conclusion? Les calculateurs en ligne sont-ils utiles ou non? “A notre avis oui”, indique Olivier Vergeynst, directeur de l’Institut belge du Numérique Responsable. Du moins à deux conditions: “si leur objectif n’est pas principalement commercial, s’ils sont transparents sur les algorithmes, les facteurs d’impacts utilisés et les incertitudes, et s’ils encouragent à réduire ses émissions plutôt qu’à les compenser.
Bien entendu, de tels outils peuvent se révéler contre-productifs si le consommateur se limite à un ou deux calculateurs mal ficelés qui focalisent l’action sur des sources d’émissions assez faibles (par exemple, effacer ses vieux e-mails). Un autre problème est le nombre de sites et d’applis simplistes, qui prétendent calculer votre bilan carbone en quelques clics sans aucune transparence sur leurs sources, leurs méthodes de calcul, leur financement ou leur objectif commercial.
Mais cela est vrai dans tous les domaines: il est nécessaire de s’informer auprès de plusieurs sources et de se former au moins un peu si l’on veut agir efficacement et ne pas se faire berner. On peut aussi espérer qu’une certaine standardisation viendra mettre de l’ordre et harmoniser les méthodologies, pour que ces outils deviennent fiables et engendrent un maximum d’actions de réduction des émissions de GES.
Car si l’on parle de plus en plus de réchauffement climatique, la prise de conscience et l’action pour réduire ses émissions reste limitée à une petite frange de la population. Sensibiliser le plus grand nombre à cette problématique, aux ordres de grandeur à connaître, les aider à identifier les actions à prendre en priorité est essentiel.
De nombreux outils parient sur leur aspect ludique, la gamification, pour toucher un maximum de personnes et les encourager à agir. Fait-il pour autant les dénigrer? Nous pensons que non: pour le grand public, la comptabilité carbone est encore un outil naissant et imparfait, mais il faut bien commencer quelque part.”
Olivier Vergeynst (ISIT, Institut belge du Numérique Responsable): “Pour le grand public, la comptabilité carbone est encore un outil naissant et imparfait, mais il faut bien commencer quelque part.”
Et du côté des entreprises?
Pour les entreprises, la situation est nettement plus complexe et les solutions ou services existants parfois déficitaires – parce que faisant l’impasse sur un volet majeur des causes d’impact environnemental. Comme l’explique Olivier Vergeynst dans cet article où il replace le sujet dans le contexte plus large de la prise de conscience et des actions déjà menées (ou non) par les entreprises et les divers secteurs économiques.
Car, pour utiliser de tels calculateurs d’empreinte carbone et pour juger de leur efficacité ou de leur pertinence, il faut avant tout avoir jeté les bases d’une stratégie et d’un changement.
A lire dès lors, son analyse de la situation et des enjeux, un regard critique sur certains ressorts du “greenwashing” ainsi que des pistes d’amélioration possibles.
Les calculateurs d’empreinte carbone: arnaque ou outils utiles?
“Les dirigeants du monde entier ont exprimé leurs préoccupations face aux indications d’un possible changement climatique à long terme. (…) Le secrétaire d’État Kissinger propose que ce problème fasse immédiatement l’objet d’investigations.”
Ce télégramme date du 8 mai 1974. En 1971 déjà, à Stockholm, 30 scientifiques de haut niveau provenant de 14 pays ont exprimé un risque de “changement global climatique rapide et grave causé par les humains”. La première conférence mondiale sur le climat remonte à 1979, première d’une longue série des fameuses COP, et le GIEC dont on parle tant a été créé en 1988. Malgré ces nombreux cris d’alarme régulièrement lancés depuis près de 50 ans, l’urgence climatique et environnementale n’est devenue qu’assez récemment un sujet d’importance pour les médias mainstream. Plus grave : bien peu de citoyens, d’entreprises ou d’organisations ont changé fondamentalement leur mode de vie ou de fonctionnement avec l’objectif de réduire leurs impacts environnementaux.
Pourtant, de nombreuses grandes organisations calculent annuellement leur empreinte carbone, c’est même devenu obligatoire en France depuis 2016 pour les entreprises de plus de 500 employés. Pour ce faire, il est nécessaire d’utiliser une méthodologie reconnue et basée sur des standards, de façon à mesurer des choses comparables. Par exemple, le « Bilan Carbone » français existe depuis 2002. Celui-ci comprend à la fois des règles méthodologiques et compatibles avec la norme ISO 14064, et un outil comprenant une base de facteurs d’émission et des tableurs prêts à l’emploi, accessibles aux personnes ayant suivi une formation dispensée par l’ADEME et par l’Institut de formation carbone (IFC). Idem pour la méthode “GHG Protocole”, plus répandue hors de France. N’est pas auditeur GHG Protocol ou Bilan Carbone qui veut, il est nécessaire de se former.
Alors, s’il existe des méthodologies, formations et outils reconnus, si les entreprises calculent leur empreinte, pourquoi les choses ne changent-elles pas de façon à réellement réduire leurs émissions de gaz à effet de serre [GES] directes et indirectes? D’autre part, pourquoi les outils de calcul d’empreinte pullulent-ils sur le web, et que valent-ils, que ce soit pour calculer son empreinte personnelle globale, ou plus particulièrement quand il s’agit de calculer l’empreinte du numérique?
Pour les entreprises, agir réellement ou tomber dans le greenwashing
Peut-être faut-il d’abord se demander pourquoi les entreprises changeraient. La résistance au changement étant fréquente au sein des organisations, il faut qu’une force s’y oppose pour que les choses bougent.
Dans le cas des entreprises, cette force amenant au changement peut principalement venir soit d’un avantage économique, soit de nouvelles obligations dues à de nouvelles lois et régulations, soit d’actions nécessaires pour réduire un risque important.
Concernant l’empreinte carbone, le prix de la tonne était et, malgré une augmentation récente, reste tellement faible qu’il n’y a pas d’avantage économique suffisant pour encourager la plupart des entreprises à diminuer leurs émissions (hormis dans des secteurs particulièrement émetteurs comme la sidérurgie, les cimentiers ou les constructeurs automobiles). De même, en dehors de quelques secteurs comme l’automobile, la législation et les taxes ne les forcent pas à s’améliorer drastiquement, car ces lois et taxes sont le résultat de politiques dont la croissance du PIB reste l’objectif premier. Viennent alors les risques, de trois types.
Premier risque: le client et, dans une moindre mesure peut-être, l’employé. Récemment, le nombre d’utilisateurs faisant attention à l’impact de leurs achats augmente rapidement, et ils peuvent se détourner de leurs fournisseurs si ceux-ci n’agissent pas en faveur de l’environnement. De même, de plus en plus de collaborateurs se posent la question du sens de leur travail et de l’impact de leur entreprise ; recruter et garder les employés devient un vrai challenge dans de nombreux pays.
Deuxième risque: le climat et l’environnement. Les changements en cours sont tellement drastiques et inéluctables pour les générations à venir que la survie-même de beaucoup d’entreprises est en danger, à moyen terme voire déjà à court terme pour certaines d’entre elles.
Troisième risque: le cadre légal. Les pouvoirs publics prennent eux aussi conscience de l’urgence climatique et il y a fort à parier que les législations évolueront de plus en plus rapidement, pouvant mener les entreprises qui ne s’y préparent pas à de sérieux problèmes.
Face à ces risques, de plus en plus d’organisations décident d’agir.
Agir, oui mais comment?
La Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE)
Pour montrer qu’elle agit, l’entreprise doit communiquer sur sa politique RSE. Concernant l’environnement, elle communique parfois sur des actions dont le but est réellement de réduire ses émissions. Parfois sur des gains environnementaux liés à des efforts qui n’avaient rien à voir – par exemple, diminuer pour raisons purement économiques le budget des voitures de société ou des voyages d’affaires, et rapporter cela comme une réduction d’émissions de GES dont ce n’était absolument pas le but recherché – ou sur de petits gestes qui, mis à l’échelle de l’entreprise, sont en réalité totalement dérisoires.
Olivier Vergeynst (ISIT): “Soit l’entreprise instrumentalise sa RSE à des fins de profit économique, soit la RSE entre au cœur de la stratégie de l’entreprise et elle va alors participer à son développement économique.”
Ici débute le greenwashing, avant même de maquiller des faits pour vendre ses produits et services.
L’orientation de la RSE dépend avant tout de la stratégie d’entreprise et de son management, parfois aussi des collaborateurs, plus ou moins engagés pour le climat. Soit l’entreprise instrumentalise sa RSE à des fins de profit économique, soit la RSE entre au cœur de la stratégie de l’entreprise et elle va alors participer à son développement économique. Il est frappant de voir à quel point la RSE n’est que très rarement prise en compte dans les décisions quotidiennes de la gestion d’entreprise: idéalement, chaque décision un tant soit peu importante devrait être basée sur une estimation des impacts environnementaux et sociétaux qu’elle aura, tout comme on tient compte des impacts financiers ou en termes de ressources humaines.
De l’action spontanée à une stratégie coordonnée
Si l’organisation ne met pas en place une politique RSE structurée, dans laquelle ses collaborateurs se reconnaissent et qu’ils soutiennent activement, de nombreuses initiatives isolées peuvent apparaître, donnant naissance à tous types d’actions souvent désordonnées, de durées et d’impact variables.
Par contre, lorsqu’elle décide d’agir de façon structurée et organisée, elle peut fédérer les collaborateurs et réaliser de petits miracles.
Pour savoir où elles doivent agir en priorité, les organisations commencent en général par mesurer la situation actuelle afin de déterminer les sources principales d’impact, d’identifier les actions possibles et simuler les gains attendus pour chaque action. Après, elles sélectionnent les actions ayant le meilleur rapport coût/bénéfice, le bénéfice prioritaire étant cette fois la réduction d’impact environnemental.
Olivier Vergeynst (ISIT): “Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain: il vaut mieux s’attaquer aux émissions de GES que ne pas agir du tout.”
Très souvent, elles choisissent de mesurer et d’agir en premier sur leurs émissions de GES en occultant de nombreux autres impacts environnementaux (par exemple, dans le cas des équipements numériques, l’épuisement des ressources abiotiques ou la pollution de l’eau, de l’air et des sols qui est liée à leur fabrication et à leur fin de vie). Cela est sans doute dû au fait que seul le reporting GES est imposé à de nombreuses entreprises, et aussi à un effet de mode: on parle beaucoup plus de GES et de climat que d’effondrement de la biodiversité ou d’épuisement des ressources naturelles. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain: il vaut mieux s’attaquer aux émissions de GES que ne pas agir du tout, d’autant que certaines actions permettent de lutter simultanément contre plusieurs types de pollution.
Des obstacles subsistent
Premier problème: l’accompagnement et son coût. Les entreprises offrant des services de qualité, pour mesurer l’empreinte carbone ou environnementale des organisations, ne sont pas légion et leurs services sont loin d’être gratuits. De plus, leur couverture des composants des systèmes d’information (SI) est souvent parcellaire voire quasi inexistante, ce qui est un problème supplémentaire pour les organisations qui souhaitent s’attaquer à l’empreinte du numérique.
Néanmoins, les enjeux climatiques sont d’une telle importance qu’il est devenu essentiel que toutes les organisations commencent à se soucier réellement de leurs émissions GES et de comment les réduire, sans se limiter à de la compensation comme c’est trop souvent le cas. Être accompagné par un expert qui couvrira les axes plus connus et maîtrisés, comme le transport des collaborateurs ou le chauffage des bâtiments, et rejoindre une communauté d’acteurs engagés pour des domaines plus complexes comme le numérique, est sans doute une bonne façon de progresser plus rapidement et à moindre coût.
Deuxième problème: le choix du périmètre de calcul des émissions de GES. Le prix de ce calcul et le niveau d’estimation dépendent du périmètre de l’étude demandée.
Scope 1: les émissions qui ont lieu directement sur place, où se trouve l’entreprise (exemples: chauffage au gaz, pétrole brulé dans les voitures de fonction des collaborateurs, fuites de gaz réfrigérant pour la climatisation etc).
Scope 2: les émissions indirectement liées à l’énergie consommée (exemple: émissions au niveau des centrales à gaz qui alimentent le site de l’entreprise en électricité).
Scope 3: tout le reste des émissions indirectement liées à l’activité de l’entreprise (exemples: émissions générées par les produits fabriqués).
Voir aussi le Bilan des émissions de gaz à effet de serre (document Wikipedia).
Veut-on mesurer le scope 1, 2 ou 3? Il est important de préciser que les calculs peuvent être très fiables lorsqu’il s’agit d’émissions de scope 1, moins fiables pour les émissions de scope 2, et ce n’est que lorsqu’il s’agit d’émissions de scope 3 que nous entrons dans une véritable zone grise en étant forcés de faire de nombreuses hypothèses, si possible en chiffrant les incertitudes qui y sont liées.
Et pourtant, l’objectif devrait être de mesurer un scope 3 le plus complet possible, puisque c’est en général là que l’essentiel des externalités d’une entreprise vont se concentrer. Au point que, pour certaines d’entre elles, supporter les coûts environnementaux de ces externalités les forceraient à mettre la clé sous le paillasson, ou à tout le moins à changer drastiquement de modèle économique.
Au-delà de la difficulté et du coût de mesurer le scope 3, peut-être est-il trop risqué pour une entreprise de connaître l’impact des externalités réelles qu’elle génère: elle ne peut alors plus dire qu’elle ne savait pas. Espérons que la législation forcera rapidement toutes les organisations à mesurer leurs impacts aussi largement que possible.
Troisième problème: la disponibilité des données. Ce problème concerne sans doute de nombreux domaines, et certainement celui du numérique : pour calculer l’empreinte environnementale du numérique, les données nécessaires (les “facteurs d’impact”) manquent cruellement, que ce soit par manque de transparence des fournisseurs, fabricants et de leurs sous-traitants, ou par souci de monétiser au maximum ces informations pour celles et ceux qui les détiennent et en font un business.
Les organisations qui veulent s’attaquer à l’empreinte environnementale de leur système d’information doivent donc payer une petite fortune, ou s’en remettre à des estimations grossières en utilisant les informations (souvent peu fiables) disponibles sur internet. Pour permettre de s’attaquer à l’empreinte du numérique dans les organisations, l’Institut du Numérique Responsable a décidé d’agir, en mettant le WeNR, un outil gratuit et ouvert, à disposition de toutes les organisations – de la PME à la multinationale en passant par les associations et les administrations. Le but est que chacune puisse calculer les émissions GES de leur système d’information, comme 75 d’entre elles l’ont fait en 2021. Les données utilisées sont publiques, les marges d’erreur qu’elles contiennent le sont aussi.
Olivier Vergeynst (ISIT): “L’Institut du Numérique Responsable a décidé d’agir, en mettant le WeNR, un outil gratuit et ouvert, à disposition de toutes les organisations”.
Pour l’heure, l’outil se focalise sur les facteurs les plus précis que nous ayons à disposition, en l’occurrence, les facteurs d’émissions de GES. Au fur et à mesure que d’autres indicateurs environnementaux fiables seront mis à disposition du public par des organismes comme l’ADEME, ceux-ci seront intégrés dans l’outil pour qu’il devienne multi-critères, au-delà des seuls GES.
Les mesures effectuées, bien que parfois imprécises, permettent d’identifier les axes principaux sur lesquels les organisations peuvent agir pour réduire leurs émissions. Car ce qui est important, c’est avant tout de connaître les ordres de grandeur, pour s’attaquer aux vrais problèmes relativement simples à résoudre ou réduire (par exemple, les équipements informatiques) avant de se focaliser sur des problématiques ayant un impact nettement plus limité et en réalité plus coûteux à réduire (par exemple, les e-mails).
Pour les particuliers, les outils gratuits
Une part croissante de la population se soucie de ses impacts environnementaux. Celles et ceux qui s’y intéressent se demandent comment les réduire. Et, comme pour les organisations, le premier réflexe à avoir est d’évaluer ses émissions pour savoir sur quoi agir en priorité. Mais la plupart des particuliers ne sont pas prêts à acheter de tels services. Et c’est là qu’interviennent les calculateurs gratuits mis à disposition sur Internet.
Plusieurs de ces calculateurs sont financés par des agences gouvernementales (par exemple “Nos gestes Climat” de l’ADEME) ou par des associations renommées (telles que MyCO2.fr ou le WWF). Les indices de fiabilité de ces outils sont la transparence sur leurs sources et méthodes de calcul, et leur exhaustivité en termes d’éléments considérés. A nouveau, l’intérêt de tels calculateurs repose avant tout sur l’estimation d’ordres de grandeur, plus que sur leur précision absolue, afin de nous sensibiliser et mieux orienter nos choix de consommation.
Cependant, d’autres organisations proposent également ce genre de calculateurs, et il convient alors de comprendre ce qu’elles recherchent. Certaines s’intéressent plus à vos données personnelles (“si c’est gratuit, c’est vous le produit”), à faire du simple placement de publicité en attirant un maximum de trafic sans trop se soucier de la qualité des algorithmes proposés, voire à vous recommander des produits pratiquant un greenwashing plus ou moins évident. D’autres cherchent avant tout à vous vendre de la compensation carbone sur laquelle elles touchent une commission.
Le vrai piège: la compensation carbone sans réelle réduction des émissions
Le piège est le même pour les entreprises et pour les particuliers, surtout avec un prix de compensation carbone aussi bas: il est beaucoup plus facile de payer quelques dizaines ou centaines d’euros par an (ou milliers pour les entreprises) pour des actions telles que planter des arbres localement ou à l’autre bout du monde, que de changer de mode de fonctionnement pour vraiment réduire ses émissions directes et indirectes (à lire, ce document du Think tank Pour la solidarité “Compensation carbone, fausse bonne idée?”).
Pour une entreprise, se déclarer neutre en carbone parce qu’elle compense ses émissions de GES mesurées en scope 1 et 2 sans se soucier de son scope 3 est du greenwashing pur et dur, dénoncé entre autres par l’ADEME.
“En tant qu’entreprise, se limiter à compenser son empreinte carbone sans réduire ses émissions revient à forcer tous les autres à réduire d’autant plus leurs émissions.”
Mais quand bien même une entreprise compenserait toutes ses émissions en scope 1, 2 et 3 sans chercher d’abord à les réduire, cela ne résoudrait pas grand-chose: il n’y a tout simplement pas assez de puits de carbone pour que tout le monde puisse compenser ses émissions en même temps.
“Compenser” son empreinte. Une vraie fausse bonne idée?
En tant qu’entreprise, se limiter à compenser son empreinte carbone sans réduire ses émissions revient à forcer tous les autres à réduire d’autant plus leurs émissions. De plus, en se déculpabilisant par rapport aux émissions de GES, cette logique de compensation pousse l’entreprise à émettre toujours plus. Proposer à ses clients de compenser les émissions carbone liées à leurs achats, c’est une stratégie commerciale pour permettre aux consommateurs sensibilisés de continuer d’acheter sans renier leurs valeurs écologiques, c’est encore du greenwashing.
La compensation reste utile
Néanmoins, la compensation reste un outil utile: si le particulier ou l’entreprise entreprend réellement des actions pour réduire ses émissions directes et indirectes, certaines émissions restent incompressibles et certaines actions demandent du temps pour porter leurs effets. Dans ce cas, compenser les émissions restantes permet de financer des projets de captation de GES, ce qui est l’action ultime d’une stratégie bas carbone digne de ce nom. Malheureusement, il n’est pas facile de savoir si le projet que l’on finance par la compensation est réellement efficace.
Selon l’ADEME, pour être efficace, le mécanisme de compensation doit répondre à quatre principaux critères:
– validation de l’unicité des projets: chaque crédit carbone doit être affecté à un seul projet et non vendu plusieurs fois ;
– pérennité des projets dans le temps et validation (remise d’un rapport écrit par l’opérateur ou l’ONG/association) de la réalité des gains en CO2 ;
– vérification et traçabilité des financements aux opérateurs de compensation ;
– additionnalité des projets: les réductions d’émission générées par les projets n’auraient pas eu lieu autrement.
Pour aider les particuliers et les entreprises à choisir une association, il existe des certifications et des labels de qualité pour la compensation carbone.
Conclusion
Mais alors, les calculateurs en ligne sont-ils utiles ou non? A notre avis oui, si leur objectif n’est pas principalement commercial, s’ils sont transparents sur les algorithmes, les facteurs d’impacts utilisés et les incertitudes, et s’ils encouragent à réduire ses émissions plutôt qu’à les compenser.
Bien entendu, de tels outils peuvent se révéler contre-productifs si le consommateur se limite à un ou deux calculateurs mal ficelés qui focalisent l’action sur des sources d’émissions assez faibles (par exemple, effacer ses vieux e-mails). Un autre problème est le nombre de sites et d’apps simplistes, qui prétendent calculer votre bilan carbone en quelques clics sans aucune transparence sur leurs sources, leurs méthodes de calcul, leur financement ou leur objectif commercial.
Mais cela est vrai dans tous les domaines: il est nécessaire de s’informer auprès de plusieurs sources et de se former au moins un peu si l’on veut agir efficacement et ne pas se faire berner. On peut aussi espérer qu’une certaine standardisation viendra mettre de l’ordre et harmoniser les méthodologies, pour que ces outils deviennent fiables et engendrent un maximum d’actions de réduction des émissions de GES.
Car si l’on parle de plus en plus de réchauffement climatique, la prise de conscience et l’action pour réduire ses émissions reste limitée à une petite frange de la population. Sensibiliser le plus grand nombre à cette problématique, aux ordres de grandeur à connaitre, les aider à identifier les actions à prendre en priorité est essentiel.
De nombreux outils parient sur leur aspect ludique, la gamification, pour toucher un maximum de personnes et les encourager à agir. Fait-il pour autant les dénigrer? Nous pensons que non : pour le grand public, la comptabilité carbone est encore un outil naissant et imparfait, mais il faut bien commencer quelque part.
Olivier Vergeynst
Directeur de l’Institut Belge
du Numérique Responsable asbl
(ISIT-BE) – info@isit-be.org
Merci à David Bol, Guillaume Bourgeois, Vincent Courboulay, Jules Delcon, Benjamin Duthil, Louis Golard, Xavier Marichal, Rémy Marrone et Thibault Pirson pour leur aimable collaboration.
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