Parmi les neuf projets retenus par le jury du programme Tremplin IA wallon (1), il s’en trouve un qui intéresse potentiellement différents secteurs – le médical, le spatial, l’industriel. Dans le cadre précis de l’étude de faisabilité (POC) qui démarre aujourd’hui, le focus sera mis sur le premier mais les retombées et extrapolations pourraient toucher d’autres secteurs.
Nom du projet: CIIL-AI, pour Cosmetic Inspection for Intraocular Lens with AI.
Porté par la société Lambda-X, aidé pour l’occasion par B12 Consulting, le projet vise à mettre l’intelligence artificielle au service de la “détection et classification de défauts cosmétiques d’une lentille intraoculaire”.
Un domaine que connaît bien Lambda-X, basée à Nivelles, qui en a fait l’une de ses spécialités, comptant de nombreux fabricants de ce genre de dispositif médical parmi ses clients. La société est en effet spécialisée dans les instruments optiques de métrologie et les solutions d’analyse d’images et s’adresse à des clients opérant à la fois dans le domaine médical (producteurs de lentilles, de verres de lunettes, d’implants intraoculaires), dans le secteur spatial (spectromètres…) ou dans l’industrie.
Sus aux défauts
Pourquoi se tourner vers l’intelligence artificielle dans le cadre de la production de lentilles ophtalmiques? “En ophtalmologie, nos instruments sont utilisés pour la vérification et le contrôle de qualité de quasiment toutes les lentilles intraoculaires”, souligne Philippe Antoine, directeur technique chez Lambda-X, en charge de la recherche.
“Les propriétés et l’adéquation de correction optique et les paramètres de tout ce qui est lentilles de contact et lentilles intraoculaires font déjà l’objet de contrôles actuellement, notamment – et de manière plus particulière – pour l’implantation de lentilles utilisées par exemple pour remplacer le cristallin chez des personnes souffrant de cataracte. Le contrôle est essentiel pour vérifier que la lentille produite correspond parfaitement aux spécifications et pour veiller à ce qu’elle soit implantée selon la bonne orientation”.
Philippe Antoine (Lambda-X): “En ophtalmologie, nos instruments sont utilisés pour la vérification et le contrôle de qualité de quasiment toutes les lentilles intraoculaires”.
“Mais l’opération ne permet pas encore de contrôler automatiquement la présence éventuelle de ce qu’on appelle des défauts cosmétiques, tels que micro-griffes, poussières, traces laissées par la manipulation de la lentille, micro-défaut imprimé pour la presse lors du moulage de mise en forme, points de collage… C’est encore le contrôle visuel [lisez: humain] qui prévaut.”
Avec tous les aléas que cela peut comporter: repérage parfois incertain, non vérification sous toutes les conditions d’éclairage…
Le but du projet est donc de déboucher sur un produit (tant en termes logiciels que matériels) permettant d’analyser et de contrôler automatiquement la présence éventuelle de ces défauts “cosmétiques” au niveau des lentilles intraoculaires.
“Avec possibilité de transposer et d’étendre le potentiel à d’autres produits et outils de détection de défauts, dans des secteurs tels que l’industrie et le spatial.”
Double objectif
L’opportunité de recourir à l’intelligence artificielle sera étudiée et évaluée pour deux finalités spécifiques.
D’une part, la détection et la classification automatique des défauts: taille, forme et type de défaut, détection et évaluation d’impact en raison de l’endroit où se situe le défaut sur la lentille, mais aussi origine du défaut – “ce dernier élément étant particulièrement utile dans la mesure où, en fonction de l’origine qui aura été identifiée, par exemple une particule incluse dans la lentille, on pourra en identifier la cause de contamination et la corriger, évitant que la chaîne de production n’en souffre”.
D’autre part, l’IA sera également évaluée pour la détection automatique des marques qui sont systématiquement gravées à même les lentilles lors de leur fabrication [par exemple pour la correction de l’astigmatisme]. Ces marques (des traits, points ou autres types de repères) permettent au chirurgien d’orienter correctement la lentille lors de l’opération.
Des logiciels de détection de ces marques existent déjà mais, souligne Philippe Antoine, “il s’agit de librairies propriétaires, payantes, auxquelles nous devons avoir recours pour les intégrer dans nos propres logiciels. Outre le fait qu’elles sont payantes, elles posent par exemple un problème lorsqu’un fabricant de lentilles vient avec un nouveau type de marque ou modifie celles qu’il utilise habituellement. Les librairies existantes ne sont alors pas toujours compatibles et doivent être adaptées. Ce qui implique que, là encore, nous soyons tributaires de leurs éditeurs.
Le but est donc de développer notre propre logiciel de détection et de rendre nos logiciels de traitement d’image entièrement indépendants et autonomes.”
Une base de données à alimenter
Pour développer son logiciel et entraîner efficacement l’algorithme, Lambda-X et B12 Consulting ont bien entendu besoin d’une base de données, à la fois fiable et d’ampleur suffisante.
Les données proviendront de deux sources: d’une part, les caractéristiques des différents types de marques (repères) que Lambda-X documentera elle-même en s’appuyant sur les références des lentilles qu’elle a elle-même contribué à produire au fil du temps ; d’autre part, une base d’images de défauts, fournie par un fabricant de lentilles intraoculaires (client de Lambda-X). Ces images préalablement labellisées (c’est-à-dire commentées et caractérisées par des intervenants humains) serviront de références pour l’entraînement de l’algorithme.
La base de données de départ ne comportant qu’une centaine d’images, elle sera complétée par des images synthétiques, créées par le duo Lambda-X/B12 Consulting. Autrement dit, des images créées artificiellement pour enrichir la base de données de défauts par de nouveaux exemples factices mais hyper-réalistes. Autre mécanisme utilisé pour enrichir la base de données de départ: le recours à des GAN (réseaux neuronaux antagonistes génératifs).
A souligner qu’un mini proof of concept a déjà été effectué afin de démontrer l’efficacité de détection de marques sur bases des données synthétiques produites.
Répartition des rôles
Dans le cadre du projet CIIL-AI, Lambda-X se charge de générer et d’alimenter la base de données d’images tandis que B12 Consulting intervient pour la conception et l’analyse IA, en ce compris le développement du logiciel proprement dit qui, à terme, viendra s’imbriquer et compléter les solutions logicielles et les équipements de métrologie et d’analyse d’images de Lambda-X.
De part et d’autre, trois personnes seront affectées au projet CIIL-AI. A l’issue du projet, la propriété intellectuelle de même que les compétences seront transférées vers Lambda-X. “Nous avons en effet besoin de disposer, chez nous, d’experts IA qui puissent valider les algorithmes et comprendre leur fonctionnement ou encore les points qui pourraient poser problème”, souligne Philippe Antoine. “Nous en avons besoin aussi pour discuter de la pertinence des solutions proposées par B12 Consulting. On ne sera pertinent que si l’on sait ce que l’on veut trouver…
Les relations entre les deux équipes relèvent du partenariat afin de pouvoir améliorer nos compétences qui, en matière d’IA, sont encore somme toute limitées. Le projet va donc aussi nous servir à acquérir des compétences. Elles nous seront utiles par la suite pour utiliser ce type d’approche pour d’autres types d’applications: lunettes, verres plats dans le secteur industriel, réseaux de spectromètres… Les applications potentielles sont nombreuses, même si on limite le champ au cadre de notre coeur de métier.”
Un premier pas
Compte tenu de la durée limitée et de l’enveloppe budgétaire du projet POC Tremplin IA (6 mois – voir l’agenda en encadré ci-dessous), le logiciel de détection et de classification, piloté par IA, qui sera développé n’ambitionne pas d’être efficace, dès le départ, sur tous les défauts possibles et imaginables.
Le projet CIIL-AI durera six mois. Selon un calendrier structuré comme suit: un mois de préparation de la base de données ; quatre mois d’analyse ; un mois de validation et essais.
“Le but est d’avoir un logiciel qui prouve son efficacité et ses performances, son aptitude à effectuer un contrôle efficace, tant en quantité qu’en qualité. Notamment pour dissocier marques et défauts mais aussi pour identifier et classifier efficacement les types de défauts.
Plus tard, nous continuerons à l’étoffer en vue d’une intégration dans les logiciels et les équipements existants de Lambda-X. Le module logiciel développé viendra donc se greffer sur l’existant et pourra trouver des applications dans d’autres domaines, pour des clients tant existants que nouveaux.”
Les porteurs du projet se disent confiants de l’aptitude à mener ce POC à bien. “La base de défauts dont nous avons besoin pour prouver l’efficacité du logiciel est limitée, en ce sens que la variété de défauts potentiels est relativement réduite”, indique Michel Herquet, associé directeur chez B12 Consulting. “Ce dont nous disposons, ou les images synthétiques que nous ajoutons, sont donc suffisantes.
Bien entendu, la solution qui en découlera ne sera pas généralisable. Par la suite, pour viser d’autres domaines que le contrôle de lentilles intraoculaires, lLe nombre et le type de défauts devront être étoffés afin de constituer une base de données qui soit représentative et de pouvoir réentraîner utilement l’algorithme.”
(1) Pour rappel, “Tremplin IA” est l’un des axes d’un programme initié par la Région wallonne, destiné à réaliser une série d’études de faisabilités et proof-of-concepts mettant en oeuvre l’intelligence artificielle pour imaginer de nouveaux produits, services oui processus au service des entreprises wallonnes, dans différents secteurs d’activités. Relire notre article exposant les objectifs du programme Digital Wallonia 4 AI.
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