La marche vers la transformation numérique de ses processus administratifs en vue de “fluidifier” et de rendre plus efficaces processus internes et services à la population s’annonce comme un chemin encore long pour la Ville de Charleroi.
La volonté, en tout cas, y est.
En 2018, un diagnostic préalable a été confié à SBS (Smart Belgium Services), filiale de Belfius. Son “smart city scan” a balayé les différentes thématiques sous-jacentes d’une “smartisation” municipale: environnement, énergie, mobilité, santé, éducation, développement urbain, économie circulaire…
Le rapport remis à la Ville lui permettra d’élaborer une “feuille de route concrète” (dans le cadre plus large du PST- programme stratégique transversal), avec identification des priorités et de l’agenda. Pour boucler son analyse de la situation et surtout des attentes des citoyens, usagers et entreprises locales, la Ville a également organisé, en juin, une journée en mode “Etats généraux”, sollicitant les apports et commentaires des acteurs de terrain.
Aux termes de l’exercice d’évaluation, le “smart city scan” de SBS a livré quelques conclusions et recommandations. Au fil des entretiens et questionnaires, quatre domaines sont apparus comme prioritaires et présentant l’avantage de produire plus aisément des gains tangibles. Il s’agit en l’occurrence de la mise en oeuvre de “smart services”, de la mobilité, du développement urbain et de l’éducation. Libre désormais à la Ville de faire ses propres choix, en tenant compte notamment d’impératifs budgétaires.
“L’audit Smart city scan, complété par les idées collectées lors des Etats généraux, nous permet de baliser le terrain, d’éviter de disperser nos projets ou encore de nous lancer dans des solutions gadget”, déclare Eric Goffart, échevin du développement numérique. “L’essentiel est d’améliorer et de renouveler les processus administratifs, le confort des fonctionnaires, l’accueil aux citoyens, en conservant une base d’effectifs [municipaux] constants.”
Le “smart city scan” a par ailleurs permis d’identifier les points forts (ou atouts) et les lacunes de la situation actuelle.
Eric Goffart, échevin Développement numérique à Charleroi: “Les actions et projets futurs se structurent en trois axes: l’amélioration des services publics, par le biais de l’introduction d’outils et de processus numériques ; le numérique comme vecteur de développement économique ; et le numérique comme opportunité pour l’éducation, la créativité, le développement professionnel.”
Au rayon “indicateurs encourageants”, SBS pointe la désignation, voici quelques mois, d’un échevin du développement numérique – Eric Goffart -, “chose nécessaire pour porter les ambitions, donner les impulsions nécessaires et jouer les relais” – ou encore le processus de création d’un maillage actif plus efficace entre différents acteurs (infrastructure, financement…), permettant de concrétiser une réelle stratégie.
Le rapport de SBS pointe également quelques points faibles qu’il faudra corriger. Telle que l’absence de réflexion et d’action transversale, par-delà les “silos administratifs”, ou encore une certaine “faiblesse dans l’exécution des projets. Il est important”, soulignait Gaëtan Richard, directeur de SBS, à l’occasion des Etats généraux du numérique, qu’une cellule Projets soit constituée et s’appuie sur des chefs de projet ayant autorité.”
Repenser et décloisonner l’administration
Long cheminement, disions-nous, en préambule de cet article. Le fait est que la Ville se donne cinq ans par exemple pour parvenir à une dématérialisation totale de ses procédures. Pour l’heure, le nombre de formulaires en-ligne que l’on peut trouver via le site Internet (qui a fait peau neuve cet été) est encore fort limité (par exemple, pour demander un acte de naissance, s’inscrire à un conseil de participation de quartier). Et il s’agit encore de formulaires statiques auxquels le citoyen-internaute peut désormais accéder via l’onglet Mes démarches.
L’un des deux premiers projets identifiés (voir ci-dessous) sera d’ailleurs l’occasion de repenser le cheminement d’un dossier, d’amener tous les services à travailler davantage en harmonie et de gommer ce que SBS qualifie dans son rapport de “parcours erratique, trop long et opaque pour le citoyen.”
Ce que SBS n’a pas fait, par contre, c’est diagnostiquer et formuler des propositions concrètes de modernisation et simplification des processus administratifs, de modification fonctionnelle ou opérationnelle. “Ils ont procédé à un état des lieux général et à une réflexion au sens large”, indique Eric Goffart.
Or, le chantier semble tout aussi costaud en termes de processus (administratifs) internes à dépoussiérer, moderniser, harmoniser et interconnecter. “L’administration travaille encore beaucoup trop en silos”, admet Eric Goffart. “Nous disposons certes de solutions [Ndlr: logiciels de gestion des bâtiments, des stocks, de la planification, du suivi des travaux… – solutions venues d’IMIO, de Civadis…] mais elles sont assez disparates et non intégrées. Il faudra décloisonner. Ce sera l’un des rôles du Smart City Manager: formuler une lecture globale de l’existant, faire évoluer vers une gestion transversale entre services.” Le processus de recrutement se profile pour la rentrée. Non que Charleroi n’ait pas déjà eu un Smart City Manager mais Carina Basile qui occupait ce poste s’en est allée, en 2017, prendre de nouvelles fonctions du côté du… Smart City Institute, à Liège.
Autres missions qui incomberont au futur Smart City Manager: “accompagner, définir les besoins, mission par mission, jouer les traits d’union avec les conseillers et fournisseurs…”
Premiers pas
En matière de simplification et de transformation administratives, deux premières “initiatives prioritaires” ont été identifiées.
La Ville a décidé d’initier la conception d’un formulaire en-ligne “intelligent” devant simplifier la gestion des événements organisés par sur son territoire par des citoyens ou des organismes divers (optimisation du trajet d’autorisation, suppression des documents papier, suivi temps réel…) ainsi que le développement d’une application de gestion de l’occupation privative du domaine public (travaux, marchés, placement de containers…).
Pourquoi avoir décidé de prendre le chantier global – et au long cours – de la transformation numérique par ces bouts-là? D’une part, parce qu’il s’agit de services de base, sur lesquels SBS a recommandé que la Ville se concentre (population, gestion du domaine public) et, d’autre part, parce qu’ils présentent plusieurs avantages: la visibilité immédiate qu’aura le résultat pour le citoyen et, de manière plus fondamentale, le fait d’impliquer toute une série de services municipaux qui, pour l’instant, ne collaborent pas vraiment efficacement pour ce genre de dossier.
Voici ce que dit SBS, à l’issue de son “scan”, du processus actuel d’autorisation d’un événement organisé par un citoyen ou une association: “Le citoyen doit trouver puis télécharger le formulaire de demande, remplir ensuite 30 pages à la main, qu’il s’agisse d’un événement de 10 ou de 1.000 personnes. Le formulaire passe ensuite par divers services pour être, au final, présenté au Collège. La décision est alors notifiée au demandeur.”
Lourd, lent (“plus de 20 jours”), peu efficace, voire “archaïque”. La solution dématérialisée permettra à l’organisateur de formuler et de valider sa demande en-ligne. Le document parviendra ensuite automatiquement aux services concernés, avec visibilité sur l’évolution du dossier et génération de statistiques.
Equilibre coût-potentiel…
D’une manière générale, l’un des facteurs de décision dont tient compte la Ville pour déterminer si un thème ou un projet vaut la peine de lui accorder la priorité est celui du rapport coût-potentiel. La mobilité, par exemple, aurait pu être un thème prioritaire. Elle fut d’ailleurs à l’origine d’un projet Smart City que la ville avait déposé dans le cadre du (premier) appel à projets Smart City Wallonia. Nous y avons fait allusion dans notre récent article consacré au projet Charl-E-District.
Ce projet n’a pas vu le jour et, avec le recul du temps, le raisonnement que tient désormais l’échevin Eric Goffart est plus circonspect: “On pourrait imaginer, en effet, déployer des capteurs dans l’infrastructure routière à l’occasion de travaux de voirie. Cela nous fournirait davantage de données et la possibilité d’améliorer le service à la population mais ce n’est pas la panacée. Une source déjà utile est celle du chiffrage ponctuel par la police ou lors d’événements bien définis.
Il n’y a pas réellement de garantie de valeur ajoutée de ce genre de big data, du moins sans coût exorbitant. Les avancées sont douteuses en termes de service public. Il nous faut avant tout pouvoir démontrer la plus-value afin de justifier une dépense au yeux de la population” (sans parler des autorités régionales).
… en ce compris pour l’open data
De manière plus large, la Ville dit vouloir s’engager dans une démarche open data, s’appuyer sur un smart city manager et veiller à ce que les citoyens carolo aient la faculté de mieux s’approprier les outils numériques (une collaboration plus poussée avec le Fab lab est par exemple à l’ordre du jour).
Eric Goffart (Ville de Charleroi): “Nous ne voulons pas tomber dans le superflu, le bling bling, l’anecdotique.”
En matière d’open data, les responsables municipaux doivent encore définir une réelle stratégie – objectifs, moyens, ressources et modalités compris. “Nous devons encore mener une réflexion collective en la matière, notamment parce que nous n’avons pas encore clairement déterminé le type de données qu’il serait intéressant d’ouvrir. L’un des critères majeurs dont on tiendra compte sera toutefois la création d’une plus-value.”
La Ville dit également croire dans l’intérêt qu’il y a à favoriser la participation citoyenne au travers de nouveaux outils. Un budget a été prévu (160.000 euros) mais là encore, la réflexion doit encore se faire sur le type de participation ou de thèmes et projets soumis à “co-création”. Et donc de solution – numérique ou “phygitale” – à mettre en oeuvre.
A la manoeuvre pour ce dossier, l’échevine Julie Patte qui, outre l’éducation, a hérité du maroquin de la participation citoyenne à l’issue des dernières élections. “Nous procéderons par petits pas, en commençant par des quartiers et des publics-cible clairement identifiés”, souligne son collègue Eric Goffart.
La participation citoyenne, en tout cas dans un premier temps, serait donc encadrée, balisée. Pas d’ouverture du robinet à l’expression libre des doléances et suggestions mais plutôt la proposition faite aux citoyens de donner leur avis sur une liste de sujets, de piocher leurs préférences parmi une liste pré-établie de projets qu’envisagerait la ville… “C’est plus facile si on veut avoir un réel impact. Il n’est par ailleurs pas possible de garantir un accompagnement pour chaque quartier…”
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