L’Intelligence Artificielle dans les hôpitaux belges? Perception, attentes et volontés encore assez floues

Pratique
Par · 11/05/2021

Début du mois, AI4Belgium, EY Consulting et le magazine Le Spécialiste qui avaient fait cause commune pour réaliser une étude baptisée “Baromètre de l’AI dans les hôpitaux belges” (voir la méthodologie en fin d’article) dévoilaient ses résultats définitifs.

Le but de l’étude était de dresser un premier tableau (qu’il faudra affiner et, bien entendu, suivre dans le temps) de l’Intelligence Artificielle dans le monde hospitalier belge. Une IA aux accents potentiellement cliniques (visant les soins de santé proprement dit) mais aussi para-cliniques (gestion hospitalière administrative, opérationnelle…).

L’intention des auteurs de l’étude était de déterminer, quels sont, au stade actuel, le taux et la forme de l’adoption de l’IA dans les processus hospitaliers (médicaux ou administratifs) en Belgique. Quel impact a-t-elle sur les pratiques, sur les processus. Ou quel impact les professionnels des soins et les responsables des hôpitaux belges estiment qu’elle aura ou pourrait avoir sur ces pratiques et processus.

En préambule à la présentation des résultats de l’étude, Loïc Chabanier, associé chez EY Consulting, et responsable de l’étude, énumérait quelques-uns des aspects dans lesquels l’IA est perçue (ou présentée) comme porteuse de promesses de progrès pour les soins de santé: “médecine préventive, aide au diagnostic, simplification du parcours patient, prédiction des flux, optimisations des coûts et ressources, recherche clinique…”. La liste est longue et non exhaustive…

Constats génériques
Les auteurs de l’étude dégagent deux grands constats génériques:
– une perception très limitée de cas d’usages très concrets dans l’enceinte de l’hôpital (une minorité de répondants ont connaissance d’un projet en cours, d’une utilisation effective, et la toute grande majorité ne savent tout simplement pas si l’IA a déjà posé un pied dans leurs murs)
– un “manque de repères et une difficulté à comprendre leur propre implication dans la dynamique” qui se dessine avec l’arrivée de l’IA dans le milieu hospitalier.

Les chiffres

L’IA, un enjeu important “au coeur des enjeux stratégiques des hôpitaux”? La réponse des participants à l’étudeest positive à 95% (96% même côté flamand et 93% côté francophone).

Perception positive de l’arrivée de l’IA? Oui, et ici encore à plus de 90% (95% en Flandre, 89% en Belgique francophone).

Impact majeur à prévoir au cours des 5 prochaines années? En Flandre, 89% en sont convaincu(e)s. Un peu moins côté francophone: 81%.

“Il y a une attente forte que l’IA ait un impact positif sur les pratiques professionnelles”, soulignait Loïc Chabanier, associé chez EY Consulting, responsable de l’étude. 93% des professionnels de santé (hospitaliers) flamands se disent en effet convaincus que l’impact sera positif sur les conditions d’exercice de leur profession, contre seulement 75% de leurs collègues francophones.

Mais perception n’est pas action. L’IA n’est pas encore considérée comme une priorité. Toutefois, une majorité confortable de personnes ayant participé à l’étude [97% en Flandre, 82% côté francophone] y voient une lacune “à combler rapidement”. Et cela devra passer par la définition d’une stratégie et d’objectifs clairs pour et par l’hôpital.

En termes de gouvernance et de responsabilité pour la définition d’un cadre, de pratiques et de démarches, le souhait est généralement que les hôpitaux prennent eux-mêmes les rênes en main – “en autonomie ou en co-pilotage avec les autorités publiques (régionales ou fédérales)”.

Si les hôpitaux doivent être à la barre, qui devrait se charger d’élaborer la stratégie, de réfléchir et/ou de piloter l’implémentation de l’IA? 

es réponses, souligne Loïc Chabanier, sont très disparates. Aucune direction (médicale, administrative, informatique, recherche) ne se dégage réellement. Certainement pas la direction de l’IT, d’ailleurs, “qui apparaît donc comme peu légitime” [en tout cas aux yeux des répondants – tous profils confondus] pour assumer ce rôle…

 

Loïc Chabanier (EY Consulting): “La création d’une communauté d’experts en IA dans les hôpitaux est très largement plébiscitée. Elle atteint 90% du côté francophone et 97% en Flandre. Le but espéré est de la fertilisation croisée, des échanges de pair à pair, des démarches pragmatiques. D’autant plus en l’absence de visibilité et d’informations sur la formulation d’une réponse stratégique et organisationnelle organisée.”

 

Comment financer l’IA hospitalière

La situation financière des hôpitaux étant ce qu’elle est et compte tenu de la manière dont ils sont financés, comment investir dans l’IA? La question figurait dans le questionnaire fourni aux hôpitaux. Un premier constat se dégage des réponses: “obtenir de l’argent à l’extérieur est très populaire parmi les répondants!”

Sous quelle forme? Voici les réponses, réparties par communauté linguistique:
– partenariats public-privé: 46% du côté francophone, 45% du côté néerlandophone (une quasi unanimité de perception que l’on ne retrouve pas dans les autres formules évoquées…)
– financement par les pouvoirs publics, sans modification de la tarification: 40% ; 33%
– majoration des tarifs des traitements en fonction de l’IA: 35% ; 23%
– création d’un fonds d’amorçage: 27% ; 23%.

Défis identifiés?

Pour ouvrir les portes de l’hôpital et e ses pratiques à l’IT, quels défis devront-ils être relevés? Par ordre décroissant d’importance, les répondants ont cité les défis suivants:

  • identifier précisément les domaines où l’IA apporte le plus de bénéfices
  • accompagner l’IA là où elle a un bénéfice maximal
  • anticiper la mutation des métiers et la nécessaire montée en compétences ou transformation des compétences
  • anticiper la (nouvelle) organisation du travail et répartition des tâches.

Ce dernier paramètre n’apparaît toutefois pas comme majeur, récoltant moins de 50% des suffrages. Serait-ce le signe que l’IA est moins crainte dans le secteur médical, par rapport à l’impact sur le travail, que dans d’autres secteurs, ou que la prise de conscience nécessaire n’a pas encore fait son chemin? L’étude ne permet pas de le déterminer mais cela semble être là un point essentiel qu’il faudra élucider…

 

 

Il est également à noter que les réponses données démontrent un flou encore très présent dans la perception qu’ont les professionnels hospitaliers – qu’ils soient des professionnels de soins ou des profils plus administratifs ou informatiques – sur l’impact qu’aura potentiellement l’IA sur l’organisation du travail et la structure des pratiques (répartition des tâches, transformation des protocoles, évolution des fonctions de support, spécialisation médicale, gestion des flux…). “Il y a un manque de visibilité flagrant sur les changements à anticiper”, estime Loïc Chabanier.

Avantages majeurs (attendus)

Qu’attendent, qu’espèrent les responsables et acteurs des hôpitaux belges de l’Intelligence Artificielle?

À noter ici que les résultats définitifs s’écartent parfois beaucoup des résultats intermédiaires qui avaient été communiqués, de manière globale (sans analyse par région du pays – voir notre précédent article) A noter aussi les différences de perception parfois sensibles entre les deux parties du pays.

  • augmentation de la rapidité et de la fiabilité de la prise de décision : 68% (Belgique francophone et néerlandophone)
  • réduction des risques d’erreurs: 62% en Belgique francophone ; 49% en Flandre
  • gain de temps pour des tâches à plus haute valeur ajoutée: 51% ; 57%
  • amélioration du suivi du patient, plus personnalisé et mieux adapté: 51% ; 47%
  • amélioration des performances économiques de l’hôpital : 28%; 36%
  • amélioration de la santé et de la qualité de vie au travail: 28%; 10% (des pourcentages étonnants si on les compare à l’un des chiffres cités auparavant. A savoir que “93% des professionnels de santé (hospitaliers) flamands se disent convaincus que l’effet sera positif sur les conditions d’exercice de leur profession”.

 

Loïc Chabanier (EY Consulting): “La perception de l’importance de l’IA et de ses impacts futurs sur l’organisation semble forte mais son intégration dans les priorités et ses applications concrètes dans les établissements ne sont pas encore des acquis.”

 

Risques perçus

Ces avantages, perçus, attendus ou espérés, sont toutefois tempérés par une certaine dose de craintes et inquiétudes. En effet, les professionnels hospitaliers évoquent nombre de risques:

– déshumanisation du travail et perte de liens sociaux: 59% en Belgique francophone ; 58% en Flandre
– nouveaux risques psychosociaux: 33% ; 23%
– altération de la fiabilité et risque d’erreur: 27% ; 20%
– dégradation du niveau d’emploi: 27% ; 23%

Méthodologie de l’étude

>> Période de l’étude: février-mars 2021

>> Personnes interrogées: médecins, directeurs d’hôpitaux, directeurs informatiques hospitaliers

>> Etablissements hospitaliers de tous types et tailles, dans tous les régions du pays.

Tous les hôpitaux du pays ont été sollicités pour les besoins de l’étude. Taux de participation? 241 réponses. Un nombre jugé suffisant pour permettre dans tirer de premières conclusions fiables ou relativement représentatives mais nombre dont les responsables de l’étude conviennent qu’il est trop modeste. Ce qui leur fait dire: “Ce baromètre, issu des réponses d’une minorité impliquée ou davantage concernée, constitue une base solide pour orienter une démarche stratégique et établir un plan de travail pertinent.”

Une analyse plus affinée des résultats de l’étude doit en outre encore avoir lieu. Notamment pour tirer des conclusions utiles des chiffres parfois différents entre les établissements néerlandophones et francophones. Mais il faudra aussi affiner l’analyse à un autre égard – et là, le nombre réduit de réponses fait obstacle : analyser objectivement et rationnellement les réponses selon le profil des répondants (médecins, directeurs d’hôpitaux, directeurs informatiques, directeurs médicaux…) ; étendre potentiellement le panel de profils à d’autres métiers ; analyser les réponses par type et/ou taille d’hôpital… Somme toute, les résultats obtenus doivent être pris avec toutes les précautions d’usage…