“Industrie 4.0:” entre perceptions et aspirations. Une étude AdN-PwC

Pratique
Par · 24/06/2020

L’AdN (Agence du Numérique) et le ministre wallon de l’Economie avaient donné pour mission à PwC de réaliser une étude sur la situation, les perspectives et les spécificités de l’“industrie 4.0” en Wallonie.

Son intitulé: “Quels sont les facteurs de réussite déterminants pour devenir une “industrie du futur”?”. Autrement dit, quels sont les éléments “moteurs de réussite”, les avantages et enjeux majeurs?

L’étude a évalué une série de paramètres dans différentes “dimensions” de ce qui fait ou peut transformer une société industrielle (tous secteurs confondus) en un acteur ancré dans le “4.0” – autrement dit, la numérisation des processus: dimensions commerciale, technologique, organisationnelle, formation, compétences et accompagnement à la transition…

Pour effectuer cette étude, PwC a soumis une série de questions à 26 entreprises manufacturières wallonnes issues de 6 secteurs (voir encadré ci-contre pour plus de détails). Les questions étaient regroupées en 4 grands thèmes:
– stratégie globale de transformation numérique
– utilisation des nouvelles technologies et objectifs de transformation définis
– facteurs organisationnels, place de l’humain
– étapes futures envisagées ou planifiées.

L’étude PwC/AdN

Parmi les objectifs poursuivis par l’étude “Facteurs de réussite de l’industrie du futur”, citons ceux-ci:

Source: PwC

– “identifier les facteurs de réussite déterminants pour devenir une industrie du futur”
– “déterminer les forces de l’écosystème wallon en termes de réseau”
– “promouvoir l’innovation wallonne et son secteur industriel.”

Méthodologie: 26 entreprises interrogées, opérant dans six secteurs “stratégiques” identifiés comme tels dans le cadre de la stratégie de “dynamisation industrielle wallonne”, à savoir: agroalimentaire ; pharmaceutique et biotechnologies ; chimie, caoutchouc et plastique ; aéronautique, espace et drone ; construction ; développement de technologies et fabrication de machines.

35% des sociétés interrogées disent s’être embarquées dans des processus de transformation depuis 7 ans. 26% l’ont fait plus récemment (de trois mois ou six ans).

 

Les enseignements

Pourquoi ces sociétés se sont-elles lancées dans des processus de transformation ou d’optimisation numérique?

Majoritairement, les raisons essentielles évoquées correspondent à des facteurs extérieurs à la société:
– nécessité de faire face à la pression sur les coûts (de production, de main d’oeuvre…) et donc espoir que la transformation numérique rendra la société plus compétitive – ce facteur arrive largement en tête, recueillant un score de 73%
– nécessité de faire face à des exigences, demandes ou attentes accrues des clients (notamment en termes d’amélioration de la qualité des produits ou services, d’offre de produits personnalités…): 54%
Par contre, d’autres facteurs tout aussi “extérieurs” ne semblent pas peser (très) lourd dans la balance. Deux exemples… Menace de délocalisation: seulement 4%. Arrivée de nouveaux concurrents: 19%.

De la même manière, la perception des “enjeux” de l’industrie 4.0 qu’ont les entreprises interrogées met essentiellement en exergue le prisme de la production (92%) et des coûts (88%, à égalité avec la qualité).

Côté production et produits, il s’agit surtout d’améliorer les délais, les processus, l’efficacité des processus de contrôle et de suivi, d’optimiser des produits existants…

Satisfaction clientèle et prise de décisions (en se basant davantage sur l’analyse des données) sont également considérées comme des enjeux majeurs (85%).

Quels sont les principaux freins et obstacles – réels ou perçus – qui font encore barrage ou ralentissent le lancement de projets “4.0”?

Dans l’ensemble, l’étude de PwC semble surtout mettre en avant une série de facteurs relevant de l’humain, comme le montre le graphique ci-dessous (les facteurs liés à l’humain sont indiqués en orange clair).

 

A noter qu’il s’agit bien ici de “perception”, donc de craintes ou d’impressions, ne correspondant pas forcément à la réalité. Ce qui laisse supposer un gros besoin d’explication, de démonstration, de travail de conviction, d’encadrement et de formation.

Pointons par exemple le score de 38% recueilli par le paramètre “manque de talent”. Ce paramètre se rapporte à la fois au recrutement et au fait de réussir à fidéliser et préserver les ressources humaines qualifiées nécessaires.

Les résultats sont-ils au rendez-vous?

On a vu plus haut quelles étaient les attentes ou, en tout cas, les raisons qui poussaient les entreprises interrogées à se lancer dans des processus de transformation ou d’optimisation basés sur des solutions numériques. Avec de grosses motivations côté production et coûts.

Les entreprises qui se sont engagées dans ce genre de transformation voient-elles leurs attentes se concrétiser?

– 58% des sociétés interrogées cochent la case “gain d’efficacité en production et maintenance”
– 46% relèvent une “diminution des coûts de production”
– 31% déclarent avoir enregistré un “gain en qualité de produit”.

Trois “lauréats” Usine du futur 2020

Trois nouvelles entreprises wallonnes ont décroché le statut d’“Usine du futur”. A savoir:
Jumo Automation (Eupen): producteur de capteurs industriels et de solutions d’automatisation
Alstom Belgium (Gosselies): concepteur et fournisseur de solutions de signalisation ferroviaire numérique et de systèmes de traction et de convertisseurs auxiliaires
– et Valeo (Ghislenghien): équipementier automobile, plus spécifiquement spécialisé dans le montage de systèmes d’éclairage polyvalent à haute valeur ajoutée pour le secteur automobile.

Pour rappel, ce label récompense des sociétés qui ont implémenté des projets et optimisé leurs procédures en progressant dans les sept “dimensions” ou types de transformations que définit la méthodologie Made Different en matière d’industrialisation 4.0. A savoir: advanced manufacturing, integrated engineering, digital factory, human centered organisation, networked factory, eco factory, et smart manufacturing.

Une autre société – Thales Alenia Space – est élevée au statut d’“Ambassadeur” industrie 4.0, un label qui valide le fait que la société en question est désormais considérée comme étant “en pointe sur au moins une des sept transformations”.

Dans ce domaine des résultats concrets retirés de projets de transformation numérique industrielle, Bruno Radermacher, directeur général de la société Jumo Automation, peut témoigner de l’impact que cela a eu pour sa société.

Jumo, producteur de capteurs industriels et de solutions d’automatisation, vient de décrocher le label “Usine du Futur”, au terme d’une sélection annuelle effectuée dans le cadre du programme “Made Different Wallonia”.

Son directeur explique que la société, dans un premier temps, s’est lancée dans des projets de transformation numérique, pour renforcer sa position et sa pertinence au sein-même du groupe Jumo, pour ne pas se laisser disqualifier par les autres entités du groupe. “Nous avons décidé de nous spécialiser en misant largement sur une plate-forme numérique afin d’améliorer la gestion, la planification et le suivi de la production, en améliorer la fiabilité et réduire les délais de livraison. Désormais, la production n’est plus une boîte noire. Nous pouvons effectuer un suivi précis, depuis l’entrée de la commande jusqu’à l’envoi du produit et mieux tracer nos processus.

Nous avons également noté, ces derniers temps, un effet positif à l’heure du Covid dans la mesure où nous avons été en mesure d’opérer une planification précise de la production, poste par poste, avec un lien entre le taux d’occupation de chaque poste et le respect des délais.

Notre objectif, pour les deux ans à venir, est d’augmenter notre productivité de 20 à 25%, à taux d’emploi préservé, chose qui serait impossible sans le numérique.”

Mais quelles sont dons les (nouvelles) technologies qui ont la cote?

Un graphique valant mieux qu’un long discours, voici, ci-dessous, le graphique illustrant les technologies dans lesquelles les 26 sociétés industrielles wallonnes interrogées par PwC disent investir aujourd’hui (en orange-brun) ou à l’avenir (en orange clair).

 

On remarquera que plusieurs de ces technologies devraient monter en puissance à l’avenir: analyse de données, Intelligence artificielle, véhicules et dispositifs autonomes, réalité augmentée…

Par contre, les techniques de “digital twin” (par exemple, double virtuel d’un environnent de production servant de matière à simulation) et l’impression 3D semblent devoir régresser en importance. Désillusion, pic atteint?

La blockchain, encore totalement absente du catalogue des 26 sociétés interrogées, devrait faire un début très modeste à l’avenir (4%).

Autre mise en contexte utile: le taux d’utilisation et de déploiement de ces technologies par les 26 sociétés interrogées n’est pas représentatif de la situation globale dans l’industrie wallonne. Loin s’en faut. Preuve en est ce petit comparatif réalisé par PwC et l’AdN sur les trois technologies aujourd’hui les plus utilisées par le panel de 26:
– robotisation: 85% des 26 l’utilisent ; alors que le pourcentage n’est que de 8% sur la totalité de l’échantillon qui constitue le “Baromètre” wallon, traditionnellement élaboré par l’AdN
– Internet des Objets (capteurs & co.): 73% d’un côté, 6% de l’autre
– impression 3D: 63% contre 7%.

Quid des compétences?

Les responsables de l’étude PwC notent, dans certains cas, un “manque d’alignement entre la stratégie appliquée aux ressources humaines et le plan stratégique et opérationnel, ou la feuille de route 4.0, des entreprises industrielles engagées dans la transformation numérique”.

Globalement, sur une échelle de 10, le “taux d’alignement” n’est que de 6,56.

 

PwC: “Il est impératif de créer un environnement favorable à la culture numérique : tous les salariés devront penser et agir comme des digital natives, prêts à expérimenter de nouvelles technologies et apprendre de nouvelles façons de fonctionner.”

 

Quels remèdes ou solutions PwC préconise-t-elle pour améliorer ce score? “Les départements RH doivent monter davantage à bord du bateau de la transformation numérique”, estime Maxime Boucquiaux, directeur Opérations & Industry 4.0 chez PwC. “Il s’agit aussi d’impliquer étroitement le personnel dès le départ”. Autrement dit, ne pas le mettre devant le fait accompli de projets déjà décidés et démarrés.

“Cinq éléments sont essentiels pour assurer le succès et l’acceptation des projets de transformation numérique: la recherche de talents, l’implication de la direction qui doit en faire une affaire personnelle, le développement de compétences, une bonne interaction homme-technologie – ce qui suppose une utilisabilité optimale et aussi une bonne communication et compréhension des impacts positifs de la transformation -, et un support efficace tant par des acteurs internes qu’externes à l’entreprise.” Au rang de ces “acteurs externes”, Maxime Boucquiaux cite notamment l’accompagnement par les Centres de compétence et Pôles de compétitivité wallons mais aussi la nécessité de “créer des collaborations ou partenariats avec des fournisseurs de technologies, des intégrateurs et des prestataires de services.”