En matière de protonthérapie comme dans bien d’autres matières et secteurs, le moindre gain en précision, efficacité et performance peut faire toute la différence non seulement par rapport à la concurrence mais aussi pour la pertinence-même d’une société. C’est pour se ménager ces quelques pour-cents d’amélioration et d’efficience supplémentaire qu’IBA s’est lancé, de concert avec l’UCLouvain, dans un projet baptisé BiDMed où l’intelligence artificielle joue un rôle-clé à la fois pour optimiser le processus de calibration des installations de protonthérapie et rendre plus efficace le traitement de chaque patient à chaque séance.
Optimiser le facteur temps
L’adéquation des doses de protonthérapie, tant en dosage qu’en précision, qui sont délivrées au patient est évidemment essentielle. Le projet BidMed doit permettre de réaliser différentes avancées, tant en termes d’adéquation des séances que de “productivité”. Le but est à la fois de réduire les temps de calibration et d’accélérer le processus d’alignement optimal du patient. “Si le temps d’exposition à la radiation n’est que d’une minute, le processus d’installation, lui, peut durer jusqu’à 15 minutes”, explique Vincent Collignon, directeur R&D pour l’unité Beam Transport & Delivery. “Si on peut réduire ce temps de préparation, cela permettra de traiter davantage de patients.”
Projet BiDMed
“BiDMed”… comme dans “big data for medicine”.
Objet du projet: développement de compétences en big data, tant chez IBA qu’à l’UCLouvain, visant à optimiser la valeur clinique des solutions de protonthérapie et à les rendre plus abordables.
Le projet implique à la fois de la recherche et la mise en oeuvre de techniques d’apprentissage automatique, d’études statistiques, d’analyse de schémas répétitifs et de modèles prédictifs.
Triple objectif: calibration automatique des équipements, maintenance à distance et automatisée, optimisation des opérations de traitement par protonthérapie.
Autre aspect des choses: la réduction des temps nécessaires pour la mise en service d’un centre de protonthérapie (mono- ou multi-salles), un processus long, très long, qui requiert d’importantes ressources. Face à la demande, IBA voudrait accélérer le mouvement. La société a pour l’instant vendu une cinquantaine de centres dans le monde dont 30 sont en activités. Les autres sont en phase de construction ou de validation.
“Nous avons atteint un stade où nous vendons jusqu’à 20 centres par an. Ce qui suppose une mise à disposition non négligeable de ressources humaines et de réserves de compétences ciblées, nécessaires pour installer et calibrer les installations et les équipements. L’installation d’un site multi-salles (les Proteus Plus) peut exiger jusqu’à trois ans. Nous voudrions ramener ce délai à six mois”, souligne Vincent Collignon.
Le seul processus de calibration des salles et des différents systèmes et composants (jusqu’au niveau de l’aimant, par exemple) peut prendre “deux à trois mois”. En s’appuyant sur l’intelligence artificielle, ce délai pourrait être ramené à… quelques jours, avec intervention à distance.
Par ailleurs, tout au long du contrat (pouvant courir sur une période de 20 ou 30 ans), une équipe de support technique et de maintenance – en moyenne, 12 personnes – est présente en permanence sur le site.
Cela a bien entendu un coût, tant pour IBA que pour le client. Ici encore, le projet de recherche en intelligence artificielle vise à optimiser les choses en minimisant la présence nécessaire sur site. “En recourant à des modèles prédictifs pour éviter ou anticiper les pannes, il ne sera plus nécessaire de disposer d’une équipe 24 h sur 24 sur le site. En fonctionnant en mode prédiction, il sera possible de n’envoyer une équipe que de manière ponctuelle, lorsqu’un risque de panne survient.”
Les améliorations et gains qu’escompte tirer IBA de l’intelligence artificielle sont globalement minimes, mais comme on l’a vu, la moindre amélioration vaudra son pesant d’or.
Objectifs de base visés par la société? “Réduire d’un mois le temps d’installation des salles et systèmes, améliorer le taux de disponibilité de la salle de 1,5% par mois (l’uptime est actuellement de 95 à 97%) et pouvoir traiter une personne en plus par salle et par jour (la moyenne actuelle – toutefois sujette à d’importantes variations en fonction des types de tumeurs – est de 20 à 30 patients par jour et par salle).
Volet clinique
L’un des “work package” du projet de recherche se concentre sur des finalités cliniques. En l’occurrence, l’apport d’outils d’aide aux cliniciens et l’optimisation du “flux” de patients.
L’imagerie 3D est déjà abondamment utilisée pour les séances de traitement par protonthérapie. Mais l’IA devrait encore améliorer le processus et l’analyse des données, et ce, en temps réel.
L’imagerie 3D et l’analyse temps réel permettent de surveiller le bon positionnement du corps et de détecter le moindre “mouvement”, qu’il s’agisse du corps dans son ensemble ou des organes traités. Un organe peut en effet “bouger”, notamment sous l’effet de la respiration.
Par ailleurs, au fil des séances, les paramètres morphologiques évoluent, à mesure que la tumeur change de taille et se résorbe. Il est donc utile d’en tenir compte pour cibler de manière optimale les zones à cibler. A l’heure actuelle, la procédure d’analyse d’images, exclusivement confiée à l’intervenant humain, prend trop de temps. Les adaptations du système sont donc loin d’être quotidiennes ou systématiques.
A terme, l’un des buts est de confier à des algorithmes le soin de “contourer” la tumeur sur les images prises par le système d’imagerie intégré et d’adapter automatiquement l’alignement des faisceaux et le ciblage. “Le but n’est pas de remplacer le médecin mais de lui donner les moyens de valider la nouvelle configuration du système de traitement et de procurer un traitement de plus grande qualité”, souligne Vincent Collignon.
Cela implique plusieurs développements. Notamment celui d’algorithmes et leur entraînement à reconnaître divers types de tumeurs et nodules ou encore celui d’un système de surveillance de la “mobilité” d’une tumeur, via recours à des modèles prédictifs permettant par exemple de prévoir les mouvements respiratoires.
Petit détail qui a son importance: les données qui servent de référence pour ces développements demeurent dans les murs des hôpitaux partenaires (pour des raisons de respect de la confidentialité des données). Les modèles développés par les équipes IBA/UCLouvain sont donc “entraînés” intra muros. Une fois finalisés, ils quitteront l’enceinte de l’hôpital, sans que les données n’aient subi de délocalisation potentiellement suspecte…
Volet maintenance
Le volet du projet consacré à l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins de maintenance prédictive implique la collecte, l’analyse, le traitement et le stockage (dans le cloud – sur une infrastructure Microsoft Azure, dans le cas d’IBA) des importants volumes de données qui concernent le fonctionnement des équipements et de leurs moindres composants. Volume généré et stocké chaque jour? De l’ordre de 30 Go.
L’installation, le calibrage et la maintenance d’une installation de protonthérapie sont des processus encore très “human intensive”.
Le projet consiste à développer des algorithmes IA aptes à détecter des “patterns” (schémas répétitifs, signaux significatifs…) permettant d’anticiper une panne ou un problème. Les données étant collectées sur tous les sites et centralisées dans un espace cloud, IBA sera en mesure de comparer des problèmes, schémas et signaux entre les différents sites équipés de ses accélérateurs de protons.
“Le fait de détecter des corrélations entre divers signaux, types de configurations et problèmes autorise d’évoluer vers une maintenance prédictive pertinente pour l’ensemble des sites.”
A l’avenir, la société pourrait même confier un rôle de signalement à des bots qui, en liaison constante avec des ingénieurs, seraient à même de procurer des informations et des indications aux cliniciens. Ce projet n’en est encore qu’à la phase exploratoire mais un doctorant de l’UCLouvain planche ainsi sur la mise au point d’une base d’expertise exploitant des mécanismes de traitement du langage (sur base de contenus divers – en ce compris, des courriels ou des échanges oraux via Skype). “Le travail en cours porte sur la classification des données et le marquage des éléments utiles au sein des divers types de documents.”
Trois partenaires
Le partenaire majeur d’IBA dans le cadre de ce projet BidMed (projet d’innovation relevant du Pôle de Compétitivité BioWin) est l’UCLouvain. Autres partenaires: Telemis et la Skandionkliniken d’Uppsala (en Suède).
Durée du projet: trois ans (il a débuté voici deux ans).
Hauteur de l’investissement, côté wallon: 4 millions d’euros. Répartis comme suit: IBA: 1,9 million (financé à hauteur de 40% par la Région wallonne); UCL: 1,2 million (totalement pris en charge par la Région); Telemis: 900.000 euros (couverts à 60% par la Région).
Importante marge de progression
Si IBA mise notamment sur l’IA pour améliorer différents paramètres d’efficacité, ce n’est pas uniquement pour ses besoins propres. Vincent Collignon tient en effet à souligner combien le domaine de la protonthérapie est encore loin de répondre à la demande. “C’est encore un marché de niche, souvent encore réservé à ceux qui ont les moyens de financer ce genre de traitement.
Seulement 1% des patients bénéficient de traitements par protonthérapie alors que 20% devraient en bénéficier et que 45% des professionnels les recommandent en raison d’absence d’effets secondaires.
Dans le monde, sur un total de 4 millions de patients ayant besoin de radiothérapie et de 14 millions de cas de tumeurs, on compte quelque 800.000 cas qui requièrent un traitement par protonthérapie. Il faudrait dès lors pouvoir s’appuyer sur un parc de 2.500 salles alors que seulement 250 sont actuellement en activité…”
En Belgique, le nombre de spécialistes IA, dans le secteur de la recherche ou de la mise en oeuvre, est très limité et peut être considéré comme un obstacle majeur si l’on veut tirer parti de ce nouveau “filon” pour l’essor de l’économie et des activités dans de multiples secteurs. Vincent Collignon, toutefois, se veut optimiste: “La pénurie n’est pas un problème en soi dans la mesure où l’IA jouit d’un réel engouement.” Autrement dit, son attractivité ne peut, selon lui, que susciter des vocations – et attirer des compétences venues d’autres pays.
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