Née à Bruxelles, en tant que spin-off de l’ULB en 2019 (incubée au WSL), HeartKinetics a choisi d’être “incorporée” à Gosselies parce qu’ayant trouvé un substrat de développement plus porteur côté wallon. La société se positionne sur le terrain des medical devices et, plus particulièrement, des solutions de surveillance et d’aide au diagnostic de l’activité cardiaque à distance.
Tout a pris forme dans le cadre de recherches menées par celui qui est aujourd’hui son directeur général – Pierre-François Migeotte -, par ailleurs chercheur au LPHYS, le labo de recherche en physique et physiologie du service de cardiologie de l’hôpital Erasme qu’il a créé en 2013..
Dans le cadre de ses travaux de recherches, Pierre-François Migeotte a tout d’abord déposé un brevet sur un dispositif d’analyse des fonctions mécaniques du coeur, dispositif basé sur les principes de fonctionnement des accéléromètres et gyroscopes, instruments qui, à l’époque, avaient trouvé une utilité et une pertinence toutes spéciales dans le secteur spatial. Les recherches de Pierre-François Migeotte ont en effet reçu le soutien de BelSpo, de l’ESA et de la NASA. Dès 2009, son projet de télésurveillance des fonctions cardiaques des astronautes embarqués dans l’ISS visait à surveiller leur pression artérielle, “fonction vitale et qui subit les contraintes de l’apesanteur, avec ralentissement du rythme cardiaque, affaiblissement de la fonction cardiaque et, après le retour sur terre, des risques de faiblesse, de chutes…”, explique-t-il.
Le projet visait à mettre en oeuvre une solution de télémesure complète de la fréquence cardiaque, sans instrument cardiologique classique (ECG et échocardiogramme). “Un dispositif d’ECG portable existait certes au sein de la station spatiale internationale mais il était volumineux et exigeait de quiconque l’utilisait de savoir pratiquer un examen cardiaque et analyser les résultats.” D’où la raison d’être de son “Kinocardiographe” qui procède par “mesure de l’énergie cinétique qu’émet le corps à chaque éjection du sang et mouvement du sang”.
Du dispositif ISS au smartphone
Grâce aux progrès récents réalisés au niveau des éléments constitutifs d’un smartphone (accéléromètres, gyroscopes….), en termes de puissance de calcul et de précision, cet objet du quotidien est apparu comme une solution adéquate pour pallier à certaines carences des techniques utilisées jusque là pour réaliser la télésurveillance des signaux cardiaques. La séismographe (mouvements thoraciques) et la balistocardiographie (étude du mouvement global de recul du corps) n’opéraient que dans une seule dimension, selon l’axe vertical du corps [la direction de l’aorte].
OKcardio, l’appli mobile de balistocardiographie 3D, sur smartphone: pour une télésurveillance de l’insuffisance cardiaque – au plus près du quotidien des patients…
Or, lors des tests réalisés en vol parabolique, nous avons collecté des résultats qui n’étaient pas explicables. On s’est ainsi aperçu que la balistocardiographie devait en fait être réalisée en 3D pour capter et analyser d’autres degrés de liberté. En effet, le coeur opère un mouvement de rotation à chaque contraction, entraînant le même effet au niveau du corps. Il fallait en outre pouvoir calibrer l’énergie cinétique émise, variant d’une personne à l’autre…”
Tous potentiels que l’on retrouve aujourd’hui dans les smartphones. A condition de disposer d’une solution d’analyse efficace des signaux collectés.
C’est là qu’interviennent les travaux de la société HeartKinetics, qui a recours au développement d’algorithmes et à l’apprentissage automatique (machine learning) pour doter le smartphone de l’“intelligence cardiologique” nécessaire. Cible: le marché de la téléconsultation cardiologique et l’aide au diagnostic, en permettant à l’individu souffrant d’insuffisance cardiaque
de mesurer, dans son environnement quotidien, et de relayer ses constantes qui seront analysées et interprétées par l’analytique développé par la société ainsi que par les professionnels (médecins généralistes ou cardiologues) attitrés, pour lesquels la version Pro de HeartKinetics procurera toutes les données nécessaires sur un portail dédié.
Les algorithmes développés ont été entraînés notamment sur base des données collectées auprès des astronautes et ensuite auprès de cohortes de patients… terrestres. Objectif: reconnaître les différentes pathologies. Un travail qui est donc mené depuis près de dix ans.
Nouveau “boost” en 2021-2022
L’application mobile développée par HeartKinetics analyse et décortique les signaux émis par le coeur et les micro-vibrations ou mouvements qu’induit le fonctionnement du muscle cardiaque, analysant le rythme, la fréquence, la force cardiaque et l’hémodynamique.
Des tests cliniques ont été et continuent d’être réalisés – à l’hôpital Erasme, dont est issu Pierre-François Migeotte, au CHU Brugmann mais aussi à Mons (Ambroise Paré), à La Louvière (CHU Tivoli), au Máxima MC d’Eindhoven, à l’UMC d’Amsterdam. Objectif: obtenir la validation clinique pour l’algorithme de recommandation de diagnostic.
“Les études menées à l’hôpital Erasme et à Brugmann (projet “Heartemis”) auprès d’une cohorte de plus de 150 patients ont démontré les performances qu’atteignent nos algorithmes et modèles pour l’aide au diagnostic d’insuffisance cardiaque: plus de 95% en termes de niveau de sensibilité et plus de 85% en précision”, indique Pierre-François Migeotte. “Ce qui est supérieur aux résultats obtenus avec des tests sanguins traditionnels réalisés pour détecter les insuffisances cardiaques.”
Pour poursuivre ses travaux de développement, engager de nouveaux collaborateurs (5 ou 6, en principe aux profils essentiellement informatiques – développement full stack, Devops, mobile, cloud) et préparer le lancement commercial, la société a récemment bénéficié d’un apport de capitaux à hauteur de quasi trois millions d’euros. Manne financière qui se répartit comme suit:
– 1,3 million en capital, apporté par SambrInvest (300.000 euros), la société SafeTech.io (voir plus loin les raisons de cet apport), le réseau de capital-risque américain Plug and Play Ventures, et des business angels locaux (réseau BeAngels)
– 1,4 million sous forme d’avance récupérable mis sur la table par la Région wallonne
– plus quelques dizaines de milliers d’euros en fonds bancaires.
Kino.core: la plate-forme cloud d’analytique et de présentation de résultats que HeartKinetics compte mettre à disposition, en mode “scaleable” d’ici quelques mois…
A noter que, jusque là, la spin-off s’était contentée d’un financement minimal: 6.000 euros lors de sa création en 2019 et 120.000 euros collectés en 2021 auprès de connaissances, amis et membres de la famille. Sans oublier le soutien de ULB-Dev’, entité de l’ULB qui se donne pour mission de favoriser le “développement économique des activités de recherche issues de l’ULB et le développement des interactions entre l’université et l’écosystème entrepreneurial régional”.
La spin-off mettra ces nouveaux moyens et cette année 2022 à profit pour poursuivre les développements côté infrastructure et fonctionnalités. “Nos premiers modèles d’apprentissage automatique ont été testés off-line. Il s’agit désormais de rendre la solution évolutive, “scalable”, c’est-à-dire capable de traiter les milliers de requêtes d’analyse quotidiennes qui lui seront adressées”. Et cela passe par l’échelon cloud. Pas de préférence concrète à ce jour, même si jusqu’ici HeartKinetics s’est plutôt tourné vers des mécanismes Google. Mais Microsoft Azure, pour ne citer que lui, est aussi sur la liste “cloudification”.
Du smartphone au dispositif médical
Par ailleurs, HeartKinetics s’est d’ores et déjà lancé dans le développement d’une solution de télésurveillance cardiaque qui sera utilisable non plus dans le cadre de vie quotidien d’un patient mais en milieu hospitalier. Là où le smartphone n’est pas forcément l’idéal voire est objet non grata. Un dispositif connecté est en cours de genèse, avec l’aide du bureau d’études en électronique et logiciels embarqués Altaneos, situé à Saint-Georges-sur-Meuse.
Lancement effectif en 2023
La commercialisation de la solution pour smartphone devrait intervenir début 2023, voire un cran plus tôt, si la demande de certification et de marquage auprès de l’AFMPS et d’autorités similaires d’autres pays aboutit en une autorisation de mise sur le marché (le dossier technique a été introduit auprès des autorités compétentes).
Au fil du temps et de ses réflexions, HeartKinetics a envisagé différents modèles d’affaires: qui faire payer? Aujourd’hui, la spin-off voit se dessiner un avenir en deux temps.
A terme, l’intention est d’obtenir une homologation autorisant le remboursement par l’assurance-santé “qu’elle soit publique ou privée”, indique Pierre-François Migeotte. Ce principe est déjà acté dans certains pays – notamment en France, ou aux Etats-Unis – “le télémonitoring cardiaque ayant déjà su prouver sa valeur. La prévention secondaire, sur patients connus, permet de diminuer la fréquence des admissions à l’hôpital, problème largement documenté tant on constate que des patients souffrent de décompensations, avant le prochain rendez-vous planifié, soit parce que le traitement est inadapté, soit parce qu’il est mal suivi.
Avec une moyenne de retours à l’hôpital de cinq par an, le coût, selon les pays, peut être de 100 à 200.000 euros par an et par patient. Un suivi efficace peut donc réduire ce taux de retour. Et bénéficier à la sécurité sociale.”
Pierre-François Migeotte (ici au centre, flanqué de ses 2 co-fondateurs – Amin Hossein à g. et Damien Gorlier à dr.): “Le télémonitoring cardiaque a déjà su prouver sa valeur. La prévention secondaire, sur patients connus, permet de diminuer la fréquence des admissions à l’hôpital, un problème largement documenté.”
Mais avant que ce principe du remboursement ne soit (largement) adopté et appliqué, Pierre-François Migeotte estime qu’il faudra sans doute en passer par d’autres étapes en termes de financement et monétisation de la solution. Et là encore, il fait valoir des arguments: “Au-delà des réadmissions traditionnelles, en période Covid et pour cause de restrictions sanitaires, on a remarqué une réduction drastique du nombre de visites cardio à l’hôpital, parce que les patients ont peur d’une contamination. La valeur d’une innovation telle celle de HeartKinetics, d’un suivi qualitatif en télémonitoring, est devenue évidente et plus que jamais importante. Les patients, d’ailleurs, sont demandeurs.”
Pierre-François Migeotte estime par ailleurs que, contrairement à certaines idées préconçues, “les patients sont parfaitement capables d’effectuer une lecture correcte de leurs constantes”. A condition bien entendu que le signalement et l’analyse de ces constantes et signaux cardiaques soient présentés de manière intelligible.
C’est là tout l’art de l’interface “éloquente”, chose sur laquelle l’équipe de HeartKinetics planchera plus spécifiquement cette année. Le principe, en tout cas, est déjà posé: les données collectées sont relayées vers le cloud pour analyse et interprétation, et ensuite présentation au médecin, généraliste ou spécialiste, ou au professionnel de santé ou de suivi. “Certains médecins désirent voir uniquement les résultats. D’autres préfèrent des infos d’analyse, voire des recommandations”.
La solution telle quelle sera commercialisée couvrira sans doute ces différentes attentes. Par ailleurs, “les patients recevront eux aussi un feedback: rythme cardiaque, intensité des contractions, tendances sous forme de courbes… mais pas plus”.
En plus des médecins et professionnels de santé qui seront les destinataires des informations, d’autres acteurs s’inscriront également dans la boucle que prévoit le modèle imaginé par HeartKinetics. 2022 sera donc aussi l’année de la concrétisation de partenariats avec des “plates-formes” de téléconsultation et de télésurveillance. Des discussions sont ainsi en cours avec DoctorAnytime, qui pourrait ainsi ajouter une plume à son chapeau (étant, jusqu’ici, limité à des services pour médecins généralistes ou l’une ou l’autre spécialité médicale).
Autre partenaire potentiel: BeWell Innovations “qui procure des services de trajets de soins hospitaliers – depuis la prise de rendez-vous et la planification de l’hospitalisation, jusqu’au suivi postopératoire. Et c’est cet axe-là qui nous intéresse… HeartKinetics pourrait être, pour eux, un outil de plus à proposer”.
Au-delà de l’insuffisance cardiaque
Les solutions de surveillance cardiaque sur smartphone (voire sur montre connectée) abondent sur le marché. Comment et en quoi HeartKinetics compte-t-elle se différencier, émerger du lot? “Peu de sociétés s’intéressent à l’insuffisance cardiaque. Dans le monde des montres et bracelets connectés, les problèmes visés sont surtout ceux ayant trait à la fibrillation auriculaire, la surveillance du rythme cardiaque. Des problèmes qui sont plus faciles à traiter.
Notre différenciateur se situe dans notre capacité à identifier l’insuffisance cardiaque systolique, qui provoque les dégâts les plus graves et pour laquelle des solutions thérapeutiques existent déjà. Pour les autres types d’insuffisance carfdique, des solutions thérapeutiques sont encore en cours de développement. Notre espoir est de pouvoir aider de grands groupes pharmaceutiques à développer ces solutions.
La première version de notre solution permettra d’identifier, de manière globale, une insuffisance cardiaque. Les versions suivantes permettront de les différencier.
Au-delà de l’insuffisance cardiaque, des travaux sont en cours, notamment à Erasme et à la VUB, qui ont permis de détecter les signes avant-coureurs d’un infarctus aigu du myocarde sur des animaux. A plus long terme, on peut dès lors imaginer une solution pour smartphone permettant à toute personne ressentant une douleur thoracique de déterminer en l’espace d’un minute s’il s’agit d’un infarctus ou, par exemple, d’une simple crise d’angoisse…”
Terminons en précisant que pour ses développements technologiques 2022 (et au-delà), la société s’appuie à la fois sur les compétences de son équipe interne (11 personnes, qui ne sont toutefois pas toutes employées à plein temps) et sur des collaborations. Côté intelligence artificielle et algorithmes, le principal partenaire est la société bruxelloise Kantify. Autre partenaire plus récent, bruxellois lui aussi: SafeTech.io, spécialiste de la (cyber)sécurité et de la technologie blockchain. “Elle a développé une solution de coffre-fort pour clés numériques [dans le domaine des crypto-monnaies] qu’il sera très utile d’appliquer, de concert avec le concept de décentralisation de la blockchain, au monde médical et à la sécurisation des données patient”, souligne Pierre-François Migeotte.
Côté “scalability” de la solution HeartKinetics, l’un des partenaires sollicités est I-Pulse, qui l’aide dans les registres, sécurisation, évolutivité et parallélisation.
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