Nouveau coup de projecteur de FuturoCité, centre de compétences wallon en “smart city”/“smart citizenship”, sur la manière dont nos services publics – lisez: en particulier les pouvoirs locaux – font ou non usage, modérément ou de manière plus intensive, des données qu’ils génèrent eux-mêmes ou dont ils sont en partie à l’origine en raison de leur rôle territorial. L’open data entre-t-il petit à petit dans les moeurs?
Une nouvelle enquête de FuturoCité, menée de mai à juillet auprès de quelque 75 communes (75 ont en fait répondu sur les 262 communes wallonnes sollicitées), tente de le déterminer et de déceler l’une ou l’autre tendance. L’enquête portait sur quatre grands aspects: la gouvernance de la donnée au sein et par la ville ou commune, la mise en application de la directive européenne RGPD, l’open data, et la manière dont les données sont exploitées.
Gouvernance
“Gouvernance”. Ce terme, notamment lorsqu’on l’utilise pour parler de “gestion de la donnée”, est un concept un peu vague. Dans son analyse, FuturoCité consacre un chapitre à cette gouvernance et la définit comme suit: “mise en place [par la ville ou la commune] d’une politique de gestion de la donnée”. Autrement dit, mise en place d’un cadre clairement documenté et de procédures, définition et suivi de bonnes pratiques, structuration des processus de collecte et d’exploitation des données – en ce compris une approche centralisée et systématisée, un travail d’inventaire rigoureux, un suivi de la qualité et de la pertinence des données, etc.
Parmi les éléments qui permettent de se faire une idée de la manière dont une entité locale gère ses données (ou celles qui sont à sa disposition), celui du “profil” des personnes qui en sont chargées est loin d’être anodin.
Dans ce registre, FuturoCité dit constater une légère augmentation des “profils liés au numérique” en comparaison de la situation qui prévalait voici deux ans, notamment avec une augmentation sensible du nombre d’échevins en charge du numérique (bien sûr, pas forcément la seule attribution de leur portefeuille). Près de la moitié des 75 communes participantes disent désormais disposer d’un échevin du numérique, contre 36% deux ans plus tôt. “Signe positif de réel soutien politique”, estime FuturoCité, “mais selon une progression qui demeure somme toute modeste”.
Par contre, cela n’implique pas forcément que la commune ait déjà concocté une véritable “politique de gouvernance de la donnée”. Elles sont aujourd’hui un peu plus d’un quart (27% parmi les communes participantes) à s’être engagées dans des actions concrètes. “Mais l’évolution positive est sensible”, estime Nicolas Installé, directeur de FuturoCité. “Et trois-quarts des participants nous signalent que leurs mandataires locaux ont pris conscience ou sont en train de s’éveiller à la valeur des données.”
Les pratiques de bonne gouvernance de la donnée doivent par contre encore s’améliorer. Exemple lié au chapitre “open data”: même du côté des communes qui mettent leurs données librement à disposition, il s’en trouve toujours une proportion non négligeable (un tiers environ) qui ne tiennent pas leurs données à jour systématiquement (ou même régulièrement). Ce qui, évidemment, déforce considérablement l’intérêt et la pertinence de l’exercice.
De manière plus large, la “qualité” des données (précision, complétude, actualité, incohérences, duplicats…) n’est pas une chose dont s’inquiètent fortement les communes. Seulement une sur cinq, dans l’échantillon des participantes, a effectué ou fait procéder à un audit de qualité. Ce qui, malgré tout, est de deux fois supérieur aux chiffres d’il y a deux ans.
Un tiers disent le planifier “à court terme” mais près de la moitié (48%) n’en font pas un point d’attention.
Et dans une proportion quasi identique, les communes pourtant convaincues de l’intérêt de l’open data ne poussent pas l’effort jusqu’à les rendre réellement exploitables. Dans 38% des cas, la publication se fait encore dans un format non structuré, qui suppose un sérieux travail de conversion et de formatage de la part de quiconque veut en tirer parti.
Quid de la sécurisation des données, que ce soit par dispositifs de sauvegarde et restauration, de contrôle d’accès pour les mandataires et fonctionnaires, ou encore de protection de l’infrastructure? Bonne nouvelle, quelques progrès (à la marge) ont été accomplis dans ces divers registres depuis deux ans. De 60 à 79% des communes interrogées ont pris des mesures en ce sens.
Il demeure toutefois un gros point noir et il se situe au niveau de la cyber-sécurité et des vulnérabilités exploitables par les hackers : 60% des communes ayant répondu à l’enquête de FuturoCité disent ne pas encore avoir été confrontées à des attaques ou tentatives, par exemple, d’usurpation d’identité.
Réalité ou fausse perception de sécurité? La manière dont l’enquête a été menée ne permet pas de déterminer si trop de responsables communaux n’ont, en réalité, pas encore pris suffisamment la mesure de leur degré d’exposition et des risques encourus (Nicolas Installé, directeur de FuturoCité, rappelle l’exemple évocateur de la commune de Colfontaine qui n’a en principe rien d’une cible de choix mais qui n’en a pas moins été visée par une cyber-attaque il n’y a pas si longtemps). 20% des participants à l’étude admettent d’ailleurs qu’ils sont incapables de déterminer s’ils ont ou non été la cible d’attaques…
RGPD
Dans le domaine de la mise en conformité avec les préceptes du RGPD (Règlement général sur la protection des données), c’est encore – disons – “Waterloo morne plaine”.
Seulement 10% (toujours sur l’échantillon participant de 75 communes) sont en conformité! La grande majorité (87%) dit s’y préparer ou avoir engagé un processus de mise en oeuvre. 3% font encore de la résistance intégrale en se désintéressant totalement du sujet.
Les plus à la traîne sont les petites et moyennes entités (de 5 à 20.000 habitants).
Toutefois, Nicolas Installé estime que le RGPD a eu un effet positif sur la prise de conscience et sur l’intérêt que les responsables locaux commencent de plus en plus à prêter à la gestion des données à leur disposition. “Cette réflexion, en légère progression par rapport à la situation d’il y a deux ans, a été aidée par l’exercice de mise en conformité avec le RGPD, même s’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir de ce point de vue et même si, dans un premier temps, le RGPD a surtout été vu comme une contrainte. Mais, pour les communes qui s’y sont conformées, ce fut l’occasion de mettre de l’ordre dans leurs données, de les structurer, de mieux les connaître.”
Open Data
En matière d’open data, la première conclusion que l’on peut tirer des chiffres et déclarations récoltés par FuturoCité est que le chemin est encore long et l’effort – nécessaire pour “évangéliser”, faire comprendre et inciter à l’action – plutôt monumental.
21% des participants à l’enquête ne savent toujours pas ce qui se “cache” dernière les données ouvertes et 56% des répondants n’ont toujours aucune notion de ce qu’est et de ce qu’impliquera le Décret Open Data (même si ce dernier traîne misérablement).
Du côté des municipalités de plus grande envergure, par contre, la notion d’open data est davantage devenu un concept concret et est considérée comme une opportunité – tout d’abord pour améliorer la qualité des données disponibles et exploitables et, ensuite, pour s’en servir en vue d’améliorer les services prestés ou d’en imaginer de nouveaux. 48% y voient une occasion de promouvoir et encourager la participation citoyenne ; 41% y voient plutôt un moyen de mieux faire connaître la réalité de leur territoire. Seulement 29% y voient un levier pour stimuler l’innovation.
De la conviction (ou simple prise de conscience) à l’acte, il reste toutefois un immense pas à franchir puisque seulement 13% des communes ayant répondu à l’enquête de FuturoCité disent “ouvrir” leurs données. Certaines (17%) ont mis un petit orteil dans le bassin pour tester la chaleur du bain, “libérant” de premières données. C’est en tout cas mieux (deux fois mieux) qu’il y a deux ans.
FuturoCité: “Seulement 23% des communes qui ouvrent leurs données le font via la plate-forme Open Data Wallonie-Bruxelles. Il sera donc essentiel à l’avenir de promouvoir davantage ce portail, encore très peu utilisé par les villes et communes wallonnes.” La majorité (62%) le font via le site Internet de la commune.
Dans l’ensemble toutefois, la démarche se fait sur base d’opportunité, de “low hanging fruit” – notamment des données qui sont publiées par exemple sur le site, l’“occasion” de passer à l’étape suivante de la mise à disposition. Mais, souvent – et en particulier du côté des petites et moyennes entités -, cela se fait sans réflexion globale, sans réelle politique clairement formulée ou démarche volontariste.
A cet égard, la manière dont les communes choisissent les jeux de données qu’elles décident de publier et/ou rendre accessibles est intéressante.
Les trois premières de la classe
Les trois entités qui continuent d’apparaître comme les premières de classe en matière d’open data sont Namur, Liège et Andenne. Selon une démarche et une motivation, au départ, qui leur sont propres.
Namur, rappelle Nicolas Installé, a su tirer parti de l’existence et des travaux d’un service géomatique très actif, qui a accumulé depuis 30 ans de très importantes données géographiques et socio-économiques.
Liège, elle, a mis en oeuvre une politique active d’open data plus variée, avec un important axe consacré à la mobilité (par exemple, les données de temps de parking affichées en temps réel sur le site ou accessibles via appli, afin de dynamiser les flux intra-urbains).
Andenne, elle, s’est lancée à l’origine dans l’open data pour des raisons d’efficacité de ses services d’informations au citoyen et aux acteurs économiques implantés sur son territoire. Nous avions publié un article à ce sujet dès 2017. “Cherchant à rendre ses registres et inventaires plus cohérents et à faciliter leur tenue à jour, Andenne a commencé par centraliser toutes ces données”, rappelle Nicolas Installé. L’open data est venu en point d’orgue pour flexibiliser l’information.
46% d’entre elles se fient au degré de “popularité” de certaines données utilisées dans le cadre de leur site Internet. 31% “ouvrent” des données “dont elles disposaient déjà, en interne, dans le cadre de projets communaux”.
Dans seulement 23% des cas, l’“ouverture” est effectuée suite à une demande ou idée venant des citoyens ou des entreprises établies sur le territoire communal ou municipal. Dans l’ensemble, la démarche demeure donc réactive et trop passive.
Par ailleurs, nous le signalions plus haut (au chapitre gouvernance), les bonnes pratiques ne sont pas encore toujours au rendez-vous: données publiées sous forme non structurée, difficilement exploitable ; données n’étant pas soigneusement (re)mises à jour…
Et, petit péché mignon “bien de chez nous”, trop de communes parmi celles qui se sont pourtant activement engagées dans la voie de l’open data… ne le font pas savoir. C’est comme de mettre quelque chose en vitrine mais de ne pas lever le store…
Terrains d’applications
Nombreuses sont encore les villes et communes qui n’ont pas conscience du petit trésor sur lequel elles sont assises – ou n’ont pas les moyens de l’exploiter. “75% des communes n’exploitent pas leurs données”, constate FuturoCité. Beaucoup, surtout du côté des moins grandes, craignent de ne pas avoir les aptitudes et moyens financiers ou humains pour mettre en oeuvre les outils (solutions informatiques, notamment) qui le leur permettraient.
Soulignons aussi qu’il y a de la marge (le mot est faible) entre “tirer parti des données dont on dispose” (historiquement, traditionnellement) et le fait de collecter et de susciter l’engrangement de données par de nouvelles voies ou au travers de nouveaux services ou canaux de communication et d’interaction avec les citoyens ou les entreprises actives sur le territoire de la ville ou de la commune…
FuturoCité: “Parmi les communes qui n’ouvrent pas leurs données, 58% ne le font pas par manque de connaissances, 55% par manque de personnel et 53% par manque de temps.”
Et pour ce qui est de déployer des projets nouveaux, l’attentisme semble encore bien ancré. En voici deux exemples.
Quid de la collecte de données sous forme d’idées, de propositions, de réactions des citoyens – autrement dit, quid de la “participation citoyenne” par le biais par exemple de plates-formes ou d’applis?
29% des 75 villes et communes participantes affirment le faire (ce qui est un score relativement honorable)? 23 autres pour-cents disent l’envisager. Près de la moitié par contre (48%) ne le prévoient pas.
Les scores ne sont pas meilleurs si l’on envisage ce genre d’interaction/implication par le biais des réseaux sociaux. 27% des communes répondantes le font mais 65% ne l’envisagent pas.
Autre type de projet sans doute encore moins traditionnel: la collecte et l’exploitation de données générées par des dispositifs IoT (capteurs de présence, compteurs de trafic, capteurs de qualité de l’air, contrôleurs de température dans les bâtiments publics…). Un tiers des communes participantes ont déployé l’un ou l’autre mécanisme mais un peu plus de la moitié (51%) ne se sont pas encore penchées sur la question. 19% disent “envisager” de le faire.
Malheureusement pour une vision plus claire de la situation, l’étude de FuturoCité n’a pas déterminé quels types de dispositifs IoT avaient été déployés par les communes qui disent l’avoir fait.
Conclusion générale des auteurs de l’étude: “même si on note une légère progression en termes de prise de conscience, en ce compris politique, et de gouvernance depuis 2018, nous ne pouvons toujours pas affirmer qu’il existe une culture forte de la donnée dans nos villes et communes”.
Le défi continue donc de se poser en termes de sensibilisation, de conscientisation, de formation et de mise à disposition des outils de transformation pro-données. Ce sera l’un des objectif des ateliers “Ouvrir ma ville” qu’organisera FuturoCité d’octobre 2020 à février 2021. Il s’agit d’un programme mêlant conseils et accompagnement, en matière d’instruments technologiques et de méthodologies pour susciter, guider, promouvoir des projets d’innovation au sein des villes et communes (idéation, structuration et “nettoyage” des données publiques, développement et mise en oeuvre d’un prototype de projet/service innovant, aide à la montée en compétences).
Le rapport complet (chiffres et analyse) de l’enquête “Culture de la donnée dans les villes et communes wallonnes” peut être téléchargé via ce lien.
Plus d’infos sur le programmes “Ouvrir ma ville”, via l’article que nous avions publié en juin ou via le site de FuturoCité.
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