L’énergie (en) propre: nouvelle carte RSE des data centers

Pratique
Par · 02/02/2022

Côté énergie, tous les opérateurs de data centers essaient de diversifier leurs sources d’approvisionnement. Ces dernières années, des efforts plus marqués ont été consentis dans la création d’infrastructures propres (éolien, solaire) ou dans une politique d’achat d’électricité incluant un volet “énergie verte” plus important.

Quelle stratégie mène en la matière des acteurs tels que NRB, WIN, Microsoft ou encore LCL?

Chez LCL, l’électricité verte est déjà une condition obligatoire de son approvisionnement (auprès de fournisseurs tiers). C’est le cas pour l’ensemble de ses cinq data centers situés sur le territoire belge. Le site gembloutois (racheté, pour rappel, à Engie Cofely) présente de surcroît une particularité: en l’occurrence, l’électricité générée par les bancs de panneaux solaires installés à proximité. Ils assurent actuellement 20% des besoins en énergie.

Un deuxième parc pourrait voir le jour sur un terrain adjacent (pour lequel un permis de construire a été introduit). Ce futur parc, qui sera équipé d’une nouvelle génération de panneaux, plus performants, pourrait apporter 30% de plus.

Aux Isnes (Gembloux), solaire et éolien seront une source d’énergie non négligeable pour le datacenter de LCL (racheté à Engie Cofely)...

Une éolienne, située à proximité et opérée par Equant (partenaire… d’Engie), entrera par ailleurs bientôt en service.

Le site de Gembloux est toutefois une exception dans le portefeuille de LCL dans la mesure où c’est le seul où l’espace n’est pas contraint et où l’installation d’un parc solaire (en ce compris une extension de ce parc) est possible. Sur les autres sites, des panneaux ne peuvent être installés qu’en toiture (voire en façade – option actuellement à l’étude). La piste de l’éolien, elle, via partenariats, est davantage explorable même si un partenariat (quasi-) exclusif avec un opérateur éolien sera plus ardu.

Chez NRB aussi, on dispose, sur le site principal d’Herstal, d’un petit parc solaire (installé sur la toiture) mais surtout de l’approvisionnement par une éolienne, exploitée par Luminus, dont l’installation à proximité du site de NRB a été terminée en octobre de cette année. Mise en production planifiée pour janvier 2022.

Côté solaire, 940 panneaux photovoltaïques ont été installés sur les toits des bâtiments à Herstal. Ils couvrent de 3 à 4% des besoins énergétiques de la société et de ses centres de données. Et impossible d’augmenter ce pourcentage, par manque d’espace utile pour installer de nouveaux panneaux (“sauf si l’on envisageait d’utiliser la surface du parking…”).

L’apport énergétique solaire semble lilliputien par rapport au potentiel de l’éolien puisque l’éolienne promet de déployer une puissance 35 fois supérieure à celle que génèrent les panneaux. 60% de l’énergie qu’elle produit (on table sur une période de fonctionnement de 102 jours par an, avec une capacité de production de 4.300 MWh) sera “consommée” par NRB. “Ce qui représentera deux-tiers de notre consommation totale d’électricité”, souligne Philippe Laboulle, secrétaire général de NRB.

La situation est légèrement différente à Villers-le-Bouillet, à une vingtaine de kilomètres de là. Pour ce deuxième data center de NRB, plus modeste, verdir son empreinte énergétique (hors progrès réalisables au fil du temps du côté des systèmes et infrastructures informatiques et techniques) passera sans doute par l’augmentation de la part des fournisseurs d’électricité verte.

Vue sur les toits avec panneaux solaires du WDC

A Villers-le-Bouillet, WIN a lui installé pas moins de 1.880 panneaux photovoltaîques, sur le toit et sur le terrain jouxtant le bâtiment du WDC afin de produire une partie de l’énergie nécessaire (quelque 500.000 KWh sont ainsi générés annuellement grâce à Monsieur Soleil).

C’est évidemment loin d’être suffisant. Mais le souci écologique s’est également traduit, depuis trois ans, par le fait que le WDC se fournit en électricité verte (chez Luminus).

La quête de frugalité environnementale au WDC

Chez WIN, d’autres mesures de plus grande “frugalité” énergétique sont prises pour minimiser l’empreinte. Comme pour d’autres opérateurs, cela passe aussi par le basculement vers un parc automobile électrique – camionnettes techniques comprises. Ou l’installation de bornes de recharge rapide – six d’entre elles ont été installées, accessibles à des véhicules de marques diverses, en ce compris celles des clients qui peuvent ainsi venir recharger leurs batteries (sans frais).
De manière plus anecdotique, l’entretien des espaces verts bordant le bâtiment est assuré par… des moutons. “Nous sommes passés à l’écopâturage. Autant de tondeuses thermiques dont nous pouvons nous passer…”, explique dans un sourire Gaëtan Defourny.

La piste de l’éolien est également à l’étude, en raison de ses perspectives de meilleure performance de production – “même si ce n’est pas forcément le moyen idéal. Les éoliennes atteignent rarement leur plein potentiel de fonctionnement en raison des conditions météorologiques. Soit que le vent soit insuffisant, soit qu’il soit trop fort et que les éoliennes doivent être arrêtées pour des raisons de sécurité…”

Néanmoins, cette piste est donc à l’étude, éventuellement en profitant des éoliennes que l’agence de développement économique liégeoise SPI envisage d’implanter à Villers-le-Bouillet. A condition que les solutions conviennent à la fois pour les PME du zoning et un gros consommateur tel que le WDC (le type de tension électrique devra être, d’une manière ou d’une autre, réconcilié).

Futures perspectives

LCL explore actuellement la piste de l’hydrogène pour succéder aux traditionnelles sources fossiles qui alimentent ses groupes de secours. “Cette technologie demeure toutefois onéreuse à l’heure actuelle. Et le stockage de l’énergie avec des batteries performantes n’est pas encore possible, la technologie n’étant soit pas encore fiable, soit pas encore mûre pour la mise en production. Les batteries lithium-ion manquent encore de stabilité…”

Et le voeu est aussi de veiller à ce que cet hydrogène soit “vert”: “Opter pour l’hydrogène si sa production génère autant de CO2 [que les sources d’énergie fossile] n’aurait aucun sens”, souligne Nicolas Coppée, directeur du site de Gembloux.

LCL, toutefois, tient cette piste à l’oeil. “Des discussions ont été engagées avec plusieurs Hautes Ecoles à la fois pour la recherche et pour le formation de personnel. Par ailleurs, en raison de nos relations de partenariat avec Engie, nous étudions ces technologies de concert avec Laborelec. Un partenariat avec ce dernier pour un projet proof of concept est dans l’ordre des choses. Nous aimerions être dans les premiers à pouvoir ainsi devenir totalement neutres…”

Le solaire, l’une des sources d’énergie alimentant le datacenter de NRB à Villers-le-Bouillet…

Chez NRB, une nouvelle piste de source énergétique potentielle (mais devant encore être validée par une étude) est celle de la géothermie. “A priori, le site se situe au-dessus d’un ancien terrain minier qui présente donc peut-être de l’intérêt pour de l’énergie géothermique. Mais nous ne serons fixés qu’après réalisation de l’étude [la décision n’en a pas encore été prise]. Mais nous voulons tout d’abord exploiter la piste éolienne et faire monter l’éolienne en régime”, indique Philippe Laboulle.

Pas de projet ou d’intention par contre du côté hydrogène. “Nous travaillons traditionnellement en partenariat avec des producteurs d’électricité. Comme c’est encore le cas pour l’éolienne, avec Luminus. Et nous n’avons pas l’intention de construite une centrale pour notre propre usage…”

Durabilité, un enjeu d’image

De la part des clients et du marché, la pression augmente à destination des exploitants de data centers (tout comme d’autres acteurs) pour qu’ils verdissent leur bilan et leurs pratiques.

“Les clients sont de plus en plus demandeurs”, témoigne Philippe Laboulle (NRB). “Et en tout premier lieu les clients internationaux basés ou actifs dans l’Union européenne, qui demandent des informations sur notre politique environnementale.

C’est également une thématique importante par exemple pour nos clients dans le secteur de la banque et de la finance. Dans les cahiers de charges, il y a toujours une question sur ce thème.

Le marché est demandeur d’une politique volontariste. Tout comme notre actionnaire principal, et par ailleurs client, Ethias, est en attente forte d’une neutralité carbone à l’horizon 2030.”

 

Philippe Laboulle (NRB): “Dans les cahiers de charges, il y a toujours une question sur le thème de la politique environnementale. Le marché est demandeur d’une politique volontariste.”

 

Vis-à-vis de ses fournisseurs, NRB mettra en oeuvre une Charte d’achats durables, afin d’imposer elle-même une approche volontariste. Pas de gros souci ou d’inquiétude à avoir du côté des principaux fournisseurs technologiques (les IBM, HPE, Microsoft…) qui, eux-mêmes, ont défini une politique en la matière. “Une charte de durabilité est un phénomène naturel pour eux. Pour les plus petits, nous demanderons une attention particulière mais la chose sera sans doute plus facile dans notre secteur…”

Il a en tout cas été prévu de réfléchir, courant 2022, à la mise en oeuvre d’une “grille d’évaluation des fournisseurs”.

Dans ce contexte, quelle importance a le fait, pour un opérateur de data center, d’adhérer (par exemple) à une initiative telle que l’Institut belge du Numérique Responsable et à sa charte?

On a vu que LCL a récemment signé cette charte, incluant le “geste”, parmi d’autres (relire le premier volet de cet article) dans sa stratégie de durabilisation.

Source: Climate Neutral Data Center Pact.

Quid chez NRB? “Nous affilier à l’ISIT fait partie de notre plan [stratégique]. Tout comme la signature du Climate Neutral Data Center Pact (le “Pacte pour les centres de données climatiquement neutres” ou PCDNC). Dans la perspective de l’obtention de la certification ISO 14001 [d’ici 2023?], nous allons étudier différents labels…”.

“Jusqu’ici, nous n’avons jamais considéré l’adhésion à une quelconque charte comme un argument commercial à faire valoir”, entend-on du côté de WIN. “Même si, depuis le rachat du WDC en 2013, la volonté explicite de la direction et du groupe fut de s’inscrire dans une démarche d’économie d’énergie et de réduction d’impact environnemental”, déclare Paul Decloux, porte-parole de WIN. “Aujourd’hui, par contre, adhérer à une charte telle que celle de l’ISIT m’apparaît, à titre personnel, comme un argument important à faire valoir pour convaincre les clients. Tout le monde, désormais, s’inscrit dans cette réflexion…”

D’une manière plus large, à ses yeux, l’inclusion d’arguments verts dans les cahiers des charges, notamment du côté du secteur public, apparaît désormais comme “un argument important, même s’il n’est pas forcément différenciateur.” L’avis de Gaëtan Defourny, responsable opérationnel du WDC, est fort proche: “On voit arriver la notion d’impact environnemental et sociétal dans les cahiers de charges mais cela reste encore un bonus, pas encore un critère d’exclusion de marché public. Plus on avancera, plus sans doute on verra la pondération évoluer. Peut-être que ce qui est encore du nice to have aujourd’hui pèsera demain 20% des points…”

Pour le reste, il se dit plus qu’intéressé à mieux cerner le bilan carbone du WDC, “notamment dans la perspective des exigences 2030. Et cela permettrait d’encore s’améliorer”. De ce point de vue-là, “si nous décidons de nous engager dans une démarche de certification, ce sera surtout pour planifier en interne, en fonction de nos objectifs.

A l’heure actuelle, le fait de ne pas avoir de certification ne nous désavantage pas vis-à-vis de nos clients. Les choses pourraient être différentes d’ici un an ou deux quand ce genre de paramètre pèsera plus lourd dans l’attribution des cahiers de charge.”

Compenser pour ce qu’on ne peut supprimer?

De manière assez étonnante (et on vérifiera sur le long terme la pertinence de cette “posture”), LCL affirme qu’elle parviendra à la neutralité carbone d’ici 2030, sans recourir au levier “compensation” (financement ou lancement de projets écologiques et environnementaux en divers points du globe pour afficher un bilan neutre).

“Nous ne tomberons pas dans le green washing en plantant des arbres en Amazonie ou ailleurs”, déclare Nicolas Coppée. “Nous connaissons les processus sur lesquels travailler. En ce compris par exemple, en dehors de l’infrastructure des data centers, en appliquant dès à présent une politique de refus d’achat de voitures non hybrides.”

 

Dans une interview accordée au site français L’ADN, Guillaume Pitron, auteur d’un livre sur l’impact écologique et social d’Internet et de nos usages (“L’enfer numérique – Voyage au bout d’un like”), déclarait: “Les industriels du numérique se rendent intouchables au sens propre comme au figuré : comment peut-on critiquer ce qu’on ne voit pas ? […] On ne peut pas comprendre l’impact matériel du numérique si les entreprises cultivent une esthétique de l’immatérialité en délocalisant et en invisibilisant leur présence.”

 

Du côté de NRB, on passera sans doute bel et bien par la case “compensation”. “En 2022, nous étudierons les différentes pistes de compensation, en sachant que cela a également un coût, et ce, afin de tendre vers la neutralité carbone. Dans l’ordre, les actions portent sur la réduction des émissions, l’évitement de consommations et, en dernier lieu, les compensations, pour le solde incompressible.

Il est difficile de ne pas devoir compenser dans la mesure où nous sommes tributaire du mix énergétique belge.”

Quasi même écho du côté du WDC (WIN): la compensation est quasi passage obligé même s’il ne doit être considéré qu’en tout dernier recours. “La compensation, c’est à la fois bien et pas bien”, déclare Gaëtan Defourny. “Cela implique en effet souvent que l’in achète du vertueux pour pouvoir déclarer “je suis neutre en carbone”. Le but est surtout de ne pas devoir acheter…”