Les univers immersifs sont aujourd’hui présentés comme des solutions intéressantes, voire nécessaires, pour le “nouveau monde du travail”. Arguments évoqués: la possibilité de collaborer sans contraintes de temps et de distance géographique, une concentration plus forte sur la tâche à effectuer, la possibilité de tester et de simuler créations et gestes techniques avant de les concrétiser “en vrai”.
Les entreprises s’essaient dès lors à différents scénarios. L’un d’entre eux est le processus de recrutement et d’“onboarding”, effectué dans le métavers. Cet univers immersif permettrait de mieux se plonger dans les arcanes d’une société, de “rencontrer” ses futurs collaborateurs, selon des conditions de plus grande interaction. Les sociétés, voire même certains services publics, explorent ce nouveau mode. Mais, comme le souligne Juan Bossicard dans de son interview, cela demeure encore très “gadget”.
Attirer et familiariser
Ils ne sont pas encore des employés mais, peut-être, de futures recrues. Dès lors pourquoi ne pas leur faire découvrir leur éventuel futur environnement de travail, les coins et recoins d’une entreprise, les “profils” de leurs futurs collègues, dans le métavers?
Parmi les sociétés qui s’y sont toutefois déjà lancées, on peut citer Accenture. Elle fournit des casques VR a ses possibles futures recrues pour une pré-rencontre en réalité immersive dans son “One Accenture Park” qui est décrit comme “un espace virtuel partagé permettant des expériences immersives pour le processus d’accueil. Cet espace futuriste, en mode parc d’attraction, dispose d’une salle de conférence centrale, d’une salle de réunion virtuelle et de monorails qui permettent de se déplacer rapidement vers les différents stands qui accueillent les différentes cohortes de nouvelles recrues.”
L’accueil des nouveaux ou futurs collaborateurs dans un espace 3D et interactif simulé est aussi un scénario qu’explore l’ETNIC, organisme public opérant comme partenaire informatique de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce fut en tout cas l’un des thèmes d’un récent hackathon qu’il organisait en début d’année sur le thème des nouveaux modes de travail.
Le processus d’onboarding facilité par la simulation immersive, en amont, peut également s’avérer utile lorsque le futur environnement de travail présente des difficultés ou des risques particuliers. Pouvoir se familiariser au préalable, en reproduisant au plus fidèle les futures conditions de travail, apparaît alors comme un avantage. En particulier, lorsque le processus de familiarisation au nouvel environnement doit se faire rapidement.
Jean-Marc Duyckaerts, cofondateur de la start-up belge Nirli, spécialisée en expériences immersives, cite l’exemple de certaines sociétés d’intérim qui, en France et au Royaume-Uni, se sont déjà emparées des prémices du métavers pour former, en amont, les futurs intérimaires devant être “performants” dès le premier jour dans des environnements exigeants (chaînes de fabrication sur des sites employant des produits toxiques, centrales nucléaires…). “L’AR/VR et le métavers permettent de préparer l’ouvrier à sa future mission, de découvrir l’environnement, les gestes qu’il devra accomplir dès le premier jour de travail. Cela permet de gagner du temps et donc de l’argent, pour l’entreprise cliente.”
Autre scénario évoqué pour le recours au métavers: l’étape antérieure du recrutement proprement dit. Les arguments avancés ici sont ceux du “réalisme” et du gommage des défauts typiquement humains. Mais c’est évidemment ne présenter que le côté rose-bonbon de la chose…
Ainsi ceux qui prétendent que recruter en passant par des avatars, côté recruteurs et côté candidats, permet de “limiter le risque de discriminations”. A condition que, côté recruteur, les “arbres de décision” programmés soient en effet vierges de tout biais et que, côté candidat, l’avatar soit une copie honnête de ses compétences et caractères réels.
Autre argument utilisé: “mettre des candidats en situation immersive permet de valoriser des compétences qui ne se retranscrivent pas sur un CV”. A nouveau, petite mise en garde dans la mesure où il a déjà été démontré, psychologiquement parlant, que notre comportement sous les traits d’un avatar est (potentiellement) différent de celui que nous arborons en situation physique, réelle. Dès lors, quelle confiance accorder aux résultats d’un tel entretien ou d’une telle “mise en situation”? On peut se demander quelle est la réelle plus-value d’une dimension immersive complète comparée à ce que peut déjà donner comme enseignements une procédure de recrutement basée sur un “jeu sérieux” qui, lui aussi, permet des simulations et mises en situation.
Réunions et collaboration
L’une des utilisations qui recueille davantage de suffrages est celle de la collaboration au quotidien ou de manière plus ponctuelle. Des fournisseurs et plates-formes en ont fait leur cheval de bataille
Ainsi la start-up française No-Code, qui a imaginé un complexe de bureaux virtuels “No-Code Ville”, ancrés dans Gather Town.
On y installe son avatar, dans l’espace de travail désiré (un plateau ouvert, un petit espace de coworking, un bureau isolé), dans un espace “café” pour la causette (où tout autre avatar peut vous solliciter pour un échange)…
Avec possibilité d’échanger avec d’autres télé-virtuotravailleurs en dialoguant avec eux (grâce à une technologie de serveur vocal). L’argument de la start-up? “Maintenir le lien social des salariés en situation de télétravail prolongé”.
Microsoft, avec son futur Mesh for Teams, se positionne sur le même créneau. Tout comme Virbala qui propose “une solution virtuelle, immersive qui redéfinit le travail ou l’apprentissage à distance, en créant un espace en-ligne inclusif, axé sur la communauté, pour des interactions collaboratives réalistes”.
Certaines entreprises ont déjà leur bureau à l’année dans l’environnement Virbala. Et y ont accès à des salles de conférences…
Le Boston Consulting Group a, quant à lui, annoncé la création d’un établissement dans le métavers afin d’y organiser des conférences, des sessions de recrutement et des activités de team building, explique Rolando Grandi, analyste à la Financière de l’Echiquier.
Organiser des réunions dans un métavers, où chaque participant est “présent” sous la forme d’un avatar – réaliste ou imaginaire – soulève toutefois de nombreuses questions, en ce compris organisationnelles et, dans une certaine mesure, psychologico-éthiques. Exemples? Une société acceptera-t-elle que ses employés ou collaborateurs participent sous la forme de n’importe quel type d’avatar? Pourra-t-on prendre les traits d’un personnage connu, d’un mignon petit chat ou de l’Incroyable Hulk? Les entreprises doivent-elles dès à présent penser à des chartes de bonne conduite pour avatars? Certains consultants et chercheurs, en tout cas, se penchent déjà sur la question.
Entre des usages “hype” et des utilisations où une réelle plus-value peut être démontrée, il s’agira sans doute de faire preuve de discernement. Pourquoi, en effet, vouloir créer un métavers pour que les membres d’une même équipe se retrouvent?
Utile, potentiellement, pour le travail à distance ou hybride, afin de pouvoir réunir, sans imposer de déplacements. Mais les solutions de visio-collaboration existent déjà, en exigeant moins d’investissements, moins de puissance de calcul et de débauche d’énergie (au niveau des serveurs, moteurs de simulation et autres composantes technologiques).
Mieux vaudrait aussi se méfier de cet argument que l’on entend déjà selon lequel le recours au métavers (avec casque VR et capteurs de mouvement) favorise davantage le travail des participants qui, en étant isolés du monde qui les entoure et de possibles distractions, deviennent ainsi plus “productifs”.
Le Labo d’innovation du Parlement européen teste et évalue des solutions technologiques de pointe, ou émergentes (robotique, AR/VR, Intelligence Artificielle…), afin de pouvoir conseiller ou répondre aux questions des personnes évoluant au sein du Parlement – depuis les architectes jusqu’au personnel administratif en passant par les agents de sécurité et les parlementaires, à titre d’individus (sans, dès lors, intervenir comme source de consultance à fins législatives).
“Nous évaluons des solutions, nous les testons ou demandons des démos aux fournisseurs. Le but est de pouvoir informer objectivement, concrètement, les personnes liées au Parlement européen, émettre des mises en garde vis-à-vis de certains discours ou promesses commerciales.” En toile de fond, évidemment, l’intense lobbying dont est la cible le Parlement.
Les tests peuvent prendre une tournure plus concrète, jusqu’au développement d’un prototype ou proof of concept. Exemple: vérifier la pertinence de recourir à un robot autonome, “intelligent”, qui transporterait des documents dans les immenses couloirs du Parlement.
Par contre, certains métiers, certains projets gagneront sans doute à se lancer dans l’immersif. Exemples: la conception d’environnements architecturaux, des exercices de design, des études urbanistiques… Notamment pour des raisons de coûts: “En architecture urbaine, par exemple”, souligne Fabien Bénétou, consultant rattaché au Labo d’innovation du Parlement européen (voir encadré ci-contre), “la moindre erreur peut avoir des conséquences gigantesques. Ce serait donc dommage de ne pas utiliser les potentiels des univers immersifs. Même si ce n’est pas absolument nécessaire…”
A ses yeux, introduire le métavers dans le contexte nettement plus classique d’un travail de bureau est “complètement optionnel et ne pourrait s’avérer nécessaire que dans certains cas bien définis. Le virtuel immersif est simplement un outil de plus. Ni plus ni moins.” Après le papier-crayon, l’ordinateur, le casque pour podcasts…
Dans son rôle de conseiller au sein du lab d’innovation du Parlement européen, Fabien Bénétou s’intéresse à la VR/AR et au métavers depuis déjà quelques années. Le Parlement européen lui-même s’en est-il emparé? La réponse est nuancée.
Le recours à un double numérique du Parlement européen a été testé, afin de permettre des visites virtuelles et éviter ainsi les contraintes de sécurité. Mais l’idée n’a pas été jusqu’à la mise en oeuvre. Un test de visite virtuelle en petit groupe a toutefois été effectué pendant la crise sanitaire.
Autre application potentielle du métavers: la simulation 3D de l’impact d’une nouvelle législation… Voici quelques mois, l’équipe du lab d’innovation a également été sollicitée pour évaluer des produits (matériels et logiciels) servant à créer des environnements virtuels (espaces de rencontre, de collaboration…) “afin d’évaluer l’impact sur la vie privée, déterminer si cela faisait sens.”
Compte tenu du rôle du Parlement européen, les implications, en termes de sécurité, de légalité, de respect de la vie privée, que peuvent avoir de nouvelles législations sont l’un des champs d’action du labo. Toute analyse, toute recommandation, qui en émane est faite après évaluation des solutions commerciales. Face par exemple à un Facebook, dont on connaît les visées de domination du marché, il est important de bien comprendre les implications, de jauger les solutions qu’il commercialise ou propose. Et de les documenter en vue de toute législation qui les sanctionnerait, d’étudier les alternatives possibles…
Développement et maintenance
Dans le monde industriel, les métavers sont potentiellement intéressants pour simuler les opérations de maintenance, former les techniciens, entraîner des concepteurs…
Une production virtuelle d’équipements industriels permettrait d’en simuler les fonctionnalités ou le design, de concevoir des chaînes d’assemblage, des labos, de tester l’efficacité ou la sécurité de gestes techniques. La chose se fait déjà en AR ou VR. Le métavers, avec sa dimension plus immersive, collaborative, voire sensorielle, y ajouterait potentiellement une dimension supplémentaire utile.
Simuler virtuellement permettra de réaliser des économies (moins de “casse” de matériel, moins d’achat d’équipements ou produits coûteux…), de procéder par essais et erreurs sans crainte des plantages coûteux, voire dangereux… Ce sont là les mêmes arguments que ceux déjà développés pour la “simple” AR/VR mais avec l’avantage supplémentaire du réalisme accru que promet le métavers.
L’apprenant, le technicien, la personne chargée d’une conception ou d’une opération simulée a la possibilité d’opérer à distance, sans prendre de risques, avec la garantie que chaque geste, choix, comportement sera “tracé”, enregistré, pourra être analysé, décortiqué, défriefé. Avec un suivi et une correction temps réel ou a posteriori.
Autre avantage, en termes à la fois de sécurité et d’économies de moyens, “l’expert, interagissant avec le technicien de terrain ou l’apprenant par le biais par exemple de lunettes AR, peut guider ce dernier à distance. Sans devoir être présent à ses côtés. Cela évite, dans certains cas, de faire se déplacer une personne qui revient plus cher à l’entreprise.”
Exemple d’application en milieu industriel: des interventions à distance, via immersion, pour assurer la maintenance d’une usine présentant des zones de risques. Ou pour procéder à des vérifications de maintenance, à distance, d’installations hydrauliques ou électriques. Avec, de plus, la possibilité de faire jouer des scénarios divers sur des jumeaux numériques, histoire de préparer un schéma de maintenance préventive ou de prévoir un scénario d’intervention après inondation. “Simuler en amont sur le jumeau numérique aurait permis de simuler des dégâts potentiels et d’intervenir plus efficacement après les inondations de l’été dernier”, déclare par exemple Jean-Marc Duyckaerts (Nirli).
Développer de nouveaux produits sous forme numérique, virtuelle, avant de passer à leur mise en production effective apparaît également comme une démarche potentiellement plus économique et garantissant de pouvoir “pivoter” plus rapidement si le concept n’engrange pas d’adhésion.
Le recours à des jumeaux numériques, non plus en tant que doubles d’objets, d’équipements ou d’installations déjà existants, mais comme une simulation de ce qu’ils pourraient devenir dans le réel, permet de tester leurs propriétés, leur robustesse, leurs interactions (avec l’utilisateur, d’autres équipements..).
C’est ainsi que le constructeur automobile allemand BMW s’est associé à Nvidia pour créer un jumeau numérique de son usine allemande de Regensburg. Grâce à ce développement dans le métavers, des algorithmes de deep learning simulent des robots effectuant des manœuvres complexes. Cette technologie permet de trouver le processus de production le plus efficace sans devoir développer des techniques “physiques” lourdes et importantes. Les opérations sont planifiées sous forme de copie virtuelle.
Cela permet d’anticiper des failles et de déployer les changements en temps réel dans l’usine physique. Ces processus de production devraient créer des gains de productivité et des baisses de coûts au sein de ces entreprises.
L’un des cas d’usage les plus faciles à justifier est sans doute toutefois celui d’environnements de travail ou de production présentant un risque pour les personnes appelées à y évoluer. Par exemple, des techniciens de maintenance de centrales nucléaires.
A terme, toutefois, l’usage pourrait se généraliser. “Chaque usine, chaque bâtiment, chaque ville pourra un jour posséder son jumeau numérique. Bentley Systems travaille avec des bureaux d’urbanisme du monde entier pour développer l’infrastructure physique et digitale de demain, avec l’aide de digital twins permettant d’optimiser la gestion des villes intelligentes de demain. La ville de Séoul a ainsi investi 2,8 milliards d’euros dans un ambitieux plan visant à devenir “une ville de coexistence, de sécurité et d’émotion et un leader mondial” du métavers”, précise Rolando Grandi.
Engouement marketing
Le monde du marketing, lui, est déjà un convaincu. La ruée vers les métavers a déjà commencé pour les marques de luxe, voire pour des promoteurs immobiliers d’un genre nouveau. Vous en trouverez plusieurs exemples dans ce dossier.
Les métavers sont vus non seulement comme une manière de créer et de vendre de nouveaux “produits” (virtuels), à l’image ou non de produits physiques, mais aussi de mieux tester de possibles futures créations. Sorte de prototypes immatériels, moins onéreux à produire que de vrais prototypes tangibles. Rejoignant à ce titre la notion de jumeau numérique déjà évoquée.
Les spécialistes en marketing vous expliquent que le début de ruée vers les métavers qu’opèrent dès à présent les grandes marques tient à leur volonté de “prolonger la publicité incarnée dans la vraie vie ou sur des plates-formes, comme TikTok, et de générer ainsi une interaction directe avec la marque via avatar. L’intention est à la fois d’augmenter la créativité et de ne plus considérer les clients ou prospects comme des consommateurs passifs mais comme des agents créatifs qui façonnent leur expression personnelle.”
Des questions à foison
L’immixtion de l’immersif dans le monde de l’entreprise ne manque pas de susciter de nombreuses questions, voire de remises en question. Nous nous arrêtons ici sur certaines d’entre elles…
Vie privée. Quid des données ou “signaux” (comportementaux, identitaires) que les employés livreraient potentiellement à l’employeur ou à la plate-forme sur laquelle son espace de travail métaversé est hébergé?
C’est un autre aspect sur lequel entreprises, responsables des ressources humaines, sociologues et surtout juristes et législateurs vont devoir se pencher. Citons, à titre d’exemple, cette petite phrase pêchée sur le site de la société Totem: “L’univers des métavers offre une transparence totale qui permet aux employés de garder un œil sur leurs progrès et aux patrons de voir à tout moment ce que font leurs employés.” Interpelant…
Au-delà des conventions passées entre employés et employeur, la question est de savoir dans quelle mesure les données ainsi exposées seront sécurisées, traitées avec la confidentialité voulue, ne quitteront pas les murs de l’entreprise (même si elle est géographiquement redéfinie), si elles seront supprimées en totalité dès que l’employé démissionne…
A mesure que les casques VR, par exemple, se doteront de nouveaux potentiels et dispositifs de captation de données (lecture de l’iris, mesure de la fréquence cardiaque…), c’est une foule de données à caractère sensible et privé qui pourront potentiellement être collectées, surveillées, analysées par l’employeur… A moins qu’une charte clairement établie ne définisse les limites des pratiques, ne précise quel type de matériel peut être utilisé, quel type de données sera capté et traité, dans quel contexte, avec quelles finalités…
Garde-fous classiques au regard du RGPD mais dont il faudra sans doute revoir les modalités. Et, puisque l’on agite l’argument du travail à distance, de l’engagement de talents venus de n’importe quel endroit du monde pouvant, en virtuel, travailler pour une entreprise dématérialisée, quel cadre imaginer, quelles règles appliquer aux méta-travailleurs opérant à partir de pays aux législations plus floues ou moins regardantes?
Vie privée et empreinte numérique
Nous laissons derrière nous, au quotidien, une myriade de traces, de signaux – faibles ou forts – dont se repaissent les annonceurs, les marques, les groupes de pression en tous genres, ou encore les influenceurs, pour tenter de vous vendre quelque chose. N’importe quoi. Un service. Un produit. Une idée.
Ces “traces et signaux”, ce sont les commentaires que vous laissez sur tel ou tel site, les pouces levés ou émoticônes dont vous parsemez sites et réseaux sociaux. Sans oublier vos achats en-ligne évidemment. Ou la nature de vos recherches sur la Toile. Etc. etc.
Selon les dernières estimations, la pandémie a quasi doublé le nombre de traces que nous laissons ainsi de toutes parts.
Les métavers, ce sera le même phénomène, mais puissance 10, 100 ou 1.000. Parce que les “traces” en question ne seront plus uniquement volontaires (des notations, des actes) mais aussi des signes révélateurs, inconscients, de qui nous sommes: l’orientation d’un regard, l’expression d’un visage, la pression artérielle qui soudain, face à un objet ou une situation, augmente, la contraction de nos muscles… Tous signaux biologiques qui seront captés par les “devices” (casques, lunettes, bracelets, et autres inventions futures) qui sont les nouvelles “interfaces” pour s’immerger dans ces mondes alternatifs.
La vitesse de frappe au clavier ou la manière dont quelqu’un manie sa souris, le ton de sa voix, sont déjà des éléments utilisés en certaines circonstances. Par exemple, pour détecter une maladie potentielle avant qu’elle ne se déclare, pour diagnostiquer un problème psychique, pour deviner une partie de la personnalité de l’utilisateur. Cela peut sembler, aux yeux de certains, de la science fiction, mais c’est une réalité. L’“Intelligence Artificielle” est passée par là…
Qu’en sera-t-il demain quand un nombre incalculablement plus élevé de signaux seront captés en continu dès l’instant où nous évoluons dans un métavers?
Code de bonne conduite. Ce qui précède nous mène tout droit à la nécessité, pour chaque société qui utiliserait, peu ou prou, les métavers de se doter d’un code de (bonne) conduite en bonne et due forme. Vérifiée et approuvée par des juristes, conforme à la législation (locale, européenne…). Approuvée par les employés eux-mêmes – sans parler des syndicats…
L’évitement de comportements “non désirés” (harcèlement, contenus tendancieux, homophobes ou autres) dans les univers virtuels est, à l’évidence, un enjeu majeur. Or, les “dérapages” ont d’ores et déjà été nombreux et variés. Pas de modération, pas de réelle vérification d’identité des utilisateurs, pas de balises…
Le contrôle exercé par les “plates-formes”, hébergeurs et gestionnaires de métavers sera à la fois un argument de différenciation et un paramètre de choix.
C’est l’une des attentes que l’on a de l’Europe ou de possibles acteurs européens. Certains acteurs semblent en tout cas vouloir en faire, dès à présent, une marque de fabrique. Dont l’authenticité et la réalité devront bien entendu être vérifiées à l’usage.
Un appel d’air pour la délocalisation? Le métavers casse les frontières physiques. Conception et production, qui étaient déjà largement découplées, pour profiter notamment des bas coûts salariaux pour la production, poursuivront sans doute plus que jamais dans le sens de cette dichotomie. Avec toutefois ce scénario à prendre en compte que, plus que jamais, la conception virtualisée pourrait prendre le chemin de nouveaux horizons, moins onéreux. A moins que l’on n’assiste au phénomène inverse, avec une immigration vers des pays à plus hauts salaires, en manque de compétences high level…
Prudence et circonspection
Que le métavers dans le monde de l’entreprise soit une réelle tendance en voie de naître ou une bulle qui se dégonflera – peu ou prou -, quelle est la situation à l’heure actuelle? Pour beaucoup, à l’exception des grandes marques, essentiellement dans le luxe et le B2C, les sociétés commencent seulement à tâter le terrain.
Ce qui n’empêche pas certains prestataires potentiels – fournisseurs de solutions, développeurs, consultants – de préparer le terrain. On en voit poindre également à l’échelon belge. Des acteurs nés du terroir. Dont certains extrapolent ainsi des compétences ou activités existantes, notamment sur le terrain du gaming et/ou du 3D.
Ainsi XR Intelligence, petite société bruxelloise, propose aux entreprises des services de consultance, de design, de développement et d’intégration. La société a donné naissance à un XRi Lab, dans le but de “construire des expériences de métavers à l’aide de briques telles que VR, AR, IA, NFT et 5G”. XR Intelligence se définit essentiellement comme un intégrateur de contenus immersifs. Son lab est présenté comme une “usine de building blocks pour métavers”. Toutefois, le stade atteint par la majorité des clients et possibles prospects de la société est celui de la découverte des concepts sous-jacents. “Il s’agit à l’heure actuelle de faire comprendre comment certains processus pourraient se mettre en place”, déclare Thierry Jourquin, directeur de XR Intelligence. “On constate de claires différences d’appétence vis-à-vis de ce genre de technologies en fonction des catégories d’âge. Les plus ouverts étant les moins de 30 ans, habitués au gaming, prêts à tenter l’exercice.”
Et d’ajouter en guise de conseil aux entreprises: “L’important, aujourd’hui, est de réfléchir à l’ADN de votre société, à la manière dont vous envisagez éventuellement d’apparaître dans le métavers. Si c’est pour présenter un produit, le smartphone suffit encore largement. Si c’est pour proposer un nouveau lieu, alors optez potentiellement pour la solution Glue [qui peut par exemple se connecter à Salesforce] pour créer un espace de rencontre…
Le tout est de commencer aujourd’hui, via un parcours vertueux, en mode société apprenante. Et cela peut commencer par une participation à un atelier de design thinking…”
Vu sous l’angle des spécificités et attitudes des différents secteurs d’activités, le monde industriel, par exemple, est l’un des plus attentistes, selon Thierry Jourquin. “Compte tenu de leur feuille de route stratégique, on est encore dans le temps long, avec une grosse difficulté pour des acteurs comme nous de trouver le bon moment pour parler de XR et d’immersif.”
Le monde du marketing, par contre, on l’a vu, est “plus ouvert à ces technologies” et a enclenché le braquet en raison du coup d’accélérateur donné, l’année dernière, par un certain Mark Zuckerberg…
Jean-Marc Duyckaerts (Nirli) émet un avis similaire: “Il n’y a plus de barrière [technologique) à l’entrée. On sait que cela [le métavers] va fonctionner. La question pour les entreprises est désormais de se demander et de déterminer par où commencer, en fonction de son secteur, de ses activités, de ses moyens. Le métavers, c’est une exploration. Il ne faut pas vouloir tout faire tout de suite. Il faut déterminer quel problème à résoudre justifierait le recours au métavers. En sachant qu’il ne sera jamais que quelque chose de complémentaire par rapport à ce qu’on connaît déjà. Tout comme la télévision a été complémentaire de la radio ou comme les podcasts sont complémentaires de canaux comme YouTube…
Une erreur à commettre serait aussi de vouloir simplement copier le voisin”.
Quelques conseils, dès lors, pour guider les entreprises dans l’identification de leurs premiers choix? “A l’heure actuelle, en fonction de ses processus, de la manière dont elle gère ses employés, ses relations avec ses clients, une entreprise doit se demander quelles situations sont source de difficultés, récurrentes, dans lesquelles elle est en capacité d’oser prendre un risque, mais en sachant que résoudre cette difficulté récurrente pourra avoir un impact réel sur la société…”
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