L’“e-participation” des citoyens à la formulation ou à la prise de décisions publiques, via les réseaux sociaux ou des plates-formes de participation citoyenne, est un concept qui prend peu à peu racine dans les habitudes.
Mais quel traitement est-il possible ou est-il fait des données ainsi collectées par les responsables publics (municipaux ou autres)? Les informations (réactions, commentaires, réponses à sondage, propositions…) collectées via ces deux canaux sont-elles croisées et comment? Au-delà des outils d’analyse automatique que procurent par exemple les réseaux sociaux ou des plates-formes telles que Google, d’autres techniques et outils d’analyse, qui soient en outre objectifs, crédibles et pertinents, sont-ils disponibles – ou imaginables?
Ce sont là quelques-unes des questions fondamentales qu’ont voulu aborder des chercheurs du NaDI (Namur Digital Institute de l’UNamur), en collaboration avec des homologues de la Faculté Economics and Business de la KU Leuven. Objectif: “to design an actionable policy analytics framework to leverage insights from e-participation platforms and social media through relevant data analytics to support policy-making”.
Pour ne pas travailler “hors sol”, selon une démarche de création analytique qui soit déconnectée des objectifs décisionnels des autorités publiques qui en appellent à la “participation citoyenne”, les chercheurs ont contextualisé leur démarche en analysant les attentes de quatre villes (Liège, Mons, Marche-en-Famenne et Louvain) qui, toutes, à des défets divers, ont déjà expérimenté des canaux numériques de participation citoyenne.
Nécessaire complémentarité
Les chercheurs soulignent l’importance qu’il y a à recourir simultanément aux deux méthodes de sollicitation et de suivi de la participation citoyenne – et à croiser efficacement les résultats et indications qu’ils révèlent ou relaient. D’une part, les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…), parce que ce sont les canaux vers lesquels les citoyens, spontanément et souvent sans retenue, se tournent. D’autre part, les plates-formes de participation/consultation (du genre CitizenLab, Fluicity, ConsultVox…), parce qu’elles constituent un cadre plus spécifique, où l’autorité peut mieux baliser projets et attentes, mais qui suscitent par contre moins d’engouement et de participation.
Difficulté supplémentaire pour ceux qui veulent se tourner vers ces plates-formes: leurs fonctionnalités et potentiels, ou les utilisations qui en sont faites, sont loin d’être homogènes. Les chercheurs rappellent que l’on distingue en effet cinq types (ou degrés) de “participation”: e-information, e-consultation, e-implication, e-collaboration et e-responsabilisation. Cinq degrés qui se définissent comme suit:
– e-information: la plate-forme sert simplement de source d’information, à destination des citoyens, sur la teneur des politiques et des décisions prises par les pouvoirs publics (locaux ou autres) intéressant la population
– e-consultation: on passe là à la communication bidirectionnelle, pour des échanges d’opinions, d’idées, d’avis… entre autorités et citoyens sur différents sujets
– e-implication (e-involving): c’est l’étape suivante dans la mesure où les avis, demandes, recommandations, réactions des citoyens sont réellement pris en compte, analysés et, idéalement, intégrés en vue des décisions finales
– e-collaboration: les deux parties oeuvrent de concert à l’élaboration de solutions
– e-responsabilisation (e-empowering): les citoyens non seulement participent à la formulation de solutions mais prennent activement part aux décisions elles-mêmes et ont la possibilité d’assurer le suivi, la surveillance, l’évaluation des politiques mises en oeuvre.
S’ajoute encore à ces différences d’optique et d’implication citoyenne qui caractérisent les deux “canaux” de participation, le fait que les publics que l’on y trouve ne sont pas forcément les mêmes, et n’ont pas les mêmes motivations et/ou aspirations.
Une analyse encore souvent aléatoire
Comment exploiter utilement les informations non structurées, disparates, puisées dans les réseaux sociaux – avis, commentaires, “sentiments”, parfois exprimés en des termes qui résistent à un outil d’analyse automatique, voire qui prennent des formes graphiques (smiley, GIF…)?
Rappelons ici au passage l’étude réalisée par le Smart City Institute sur “Comment rendre le citoyen acteur de son territoire?”
Comment comprendre aussi la manière dont les politiques se saisissent de ces informations brutes pour en tirer éventuellement des données, statistiques, tendances, sources d’inspirations pour leurs décisions? Quelle part ces sources disparates et relativement volatiles prennent-elles réellement dans l’étaiement et l’orientation de leurs décisions? Comment leur procurer une trame objective et pertinente?
Des outils efficaces existent-ils? Les décideurs publics en ont-ils connaissance? Les maîtrisent-ils? Quels sont les critères d’analyse définis pour se saisir des masses de données ou d’informations recueillies? La classification automatique se fait-elle simplement par filtrage sur base de mots-clé thématiques plus ou moins précis et pertinents?
Autant de questions – et de constats d’approche insuffisante – que posent les chercheurs comme raison de leur étude et de leur décision de proposer un “cadre analytique activable pour l’élaboration des politiques”.
Source: Document de recherche “Supporting Policy-Making with Social Media and e-Participation Platforms Data: a Policy Analytics Framework”
Un outil d’analyse multi-finalité
L’utilisation qu’une autorité publique peut faire (ou vouloir faire) des informations et données collectées au travers de canaux de participation citoyenne peut concerner un ou plusieurs volets de son rôle: définition de l’agenda politique, formulation d’une politique, prise de décision, mise en oeuvre de la décision ou de la politique, suivi a posteriori ou au long cours de sa mise en oeuvre.
L’instrument d’analyse des données doit donc en principe convenir, conceptuellement et fonctionnellement, à toutes ces phases. Ce qui suppose des mécanismes d’extraction, d’analyse, de visualisation et d’activation assez différents. Ne serait-ce que par le volume et la forme des “données” que cela suppose à chaque stade. Selon un principe proche de l’entonnoir.
Le travail de recherche et de proposition réalisé par les chercheurs a donc passé en revue différentes techniques et méthodes: clustering, filtrage, classification, analyse de sentiments, modélisation, visualisation…
Le résultat proposé prend la forme d’un tableau de bord qui comporte plusieurs “couches” – ou “pages” – correspondant aux spécificités et objectifs des différentes phases de l’action publique, afin d’autoriser la présentation des données analysées sous différentes formes, plus directement “activables”.
Source: Document de recherche “Supporting Policy-Making with Social Media and e-Participation Platforms Data: a Policy Analytics Framework”
Une fois leur méthode et outil de dashboarding imaginé, les chercheurs en ont vérifié la pertinence, notamment en le testant sur l’exercice de participation citoyenne qu’avait précédemment réalisé la Ville de Liège à l’occasion de l’un de ses projets smart city. A cette occasion, quelque 2.000 tweets mentionnant Liège ainsi que les idées collectées sur la plate-forme « Ré-inventons Liège” ont servi de matière de validation.
Le document de recherche du NaDI et de la KU Leuven, intitulé “Supporting Policy-Making with Social Media and e-Participation Platforms Data: a Policy Analytics Framework”, vient d’être publié dans le Government Information Quarterly.
Pour plus d’informations sur le travail de recherche et le “policy analytics framework” imaginé, contact peut être pris avec les chercheurs et co-auteurs namurois Anthony Simonofski, Jérôme Fink et Corentin Burnay.
Qu’attendent les pouvoirs locaux de la participation citoyenne?
Quels genres d’“input” les autorités publiques attendent-elles des “consultations” et/ou participations citoyennes? Et quelles attentes ont-elles de manière plus globale en termes d’aide que pourrait leur fournir des outils analytiques? Dans quel registre de leur rôle, en tant que pouvoirs locaux, désirent-elles “exploiter” les données issues de la participation citoyenne: définition de l’agenda politique, formulation d’une politique, suivi de sa mise en oeuvre…?
Les quatre villes (Liège, Mons, Marche-en-Famenne, Louvain) qui ont servi de référence pour l’étude des chercheurs namurois et louvanistes leur ont permis d’établir un classement des attentes de ces pouvoirs locaux. Voici, par ordre décroissant de signalement, les objectifs que leurs décideurs formulent:
– attentes de la population en termes de thèmes à insérer dans l’agenda politique
– réconciliation entre les thèmes qui font l’objet de débats ou d’échanges sur les réseaux sociaux et sur les plates-formes de participation citoyenne, afin de mieux cerner les projets et actions à mettre en oeuvre
– suivi des opinions des citoyens sur réseaux sociaux à propos de l’évolution des actions publiques
– aide à la formulation des décisions, via support visuel
– analyse qualitative des opinions des citoyens (idées, commentaires…)
– analyse quantitative des opinions des citoyens (infos socio-démographiques, nombre d’idées, de votes…)
– analyse qualitative des opinions des agents publics à propos de la faisabilité des projets
– identification des sujets “chauds” stimulant la discussion et les débats, en particulier en réactions aux actions publiques
– vulgarisation d’arguments et d’intentions à destination des citoyens en vue de recueillir leurs réactions
– utilisation des termes utilisés par les citoyens eux-mêmes dans le cadre des communications et formulations de politiques publiques.
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