L’AdN publie un nouveau “baromètre” mesurant l’évolution des usages que font les citoyens wallons des outils et ressources numériques.
Types d’équipements et modes d’utilisation d’Internet, fréquentation des réseaux sociaux, recours à des outils bureautiques dans le cloud, comportements d’achat… le prisme d’analyse est large, cette fois encore. Nous vous en distillerons certains chapitres et thèmes au fil des prochains jours mais nous nous arrêterons, pour commencer, sur un volet nouveau de ce “Baromètre Citoyen”. En l’occurrence, l’évaluation des compétences numériques, selon une grille d’analyse inspirée mais moins fouillée et moins exhaustive que le cadre de référence européen Digcomp.
Mieux équipés et connectés mais pour autant “compétents”?
Dans l’ensemble, tous les indicateurs et paramètres sont en progrès, d’au moins deux pour-cents. Avec, parfois, des améliorations plus que sensibles. Nous y reviendrons plus en détails dans les jours à venir.
Mais ces progrès chiffrés, factuels, n’impliquent pas systématiquement que la qualité des usages soit en progrès (même si c’est le cas dans plusieurs registres) ou que le niveau de maîtrise ou de familiarité avec les outils et pratiques numériques donne satisfaction.
C’est pour tenter de mieux mesurer l’impact et les composantes de la “pratique numérique” que l’AdN a défini une méthode d’évaluation de la “maturité” numérique, au sens d’utilisation à bon escient, avec une compréhension suffisante des tenants et aboutissants, avec un effet réel sur le niveau et la qualité de vie (privée, professionnelle, sociale…).
A l’heure où l’on ne parle plus que de métiers et de compétences en fluctuation et redéfinition constantes, un petit exercice – certes basico-basique – d’évaluation des “aptitudes” n’est pas une mauvaise idée.
Le tableau qui s’en dégage doit permettre d’identifier les profils ou groupes de population présentant des lacunes spécifiques, d’en faire une analyse socio-démographique et, dès lors, de déterminer quels groupes-cible et/ou quelles actions doivent être considéré(e)s comme prioritaires.
L’AdN espère que cela donnera aux décideurs régionaux davantage d’arguments tangibles et de leviers pour décider d’actions concrètes, pour réorienter certaines politiques d’assistance ou en imaginer d’autres.
Un premier pas
Avant d’en venir aux constats récoltés, soulignons ici qu’il serait intéressant de professionnaliser et rendre la démarche un tantinet plus scientifique, plus objectivée et signifiante.
On peut en effet regretter que les résultats ne soient que le reflet de la perception et de la lecture qu’ont les personnes interrogées de leurs propres connaissances ou compétences (dans 15 situations spécifiques que nous listons ci-dessous).
Le citoyen, la citoyenne, déclare donc “estimer” maîtriser peu ou prou telle compétence, telle pratique, telle manipulation.
Une auto-évaluation est toujours biaisée, partielle et partiale, peu ou prou correcte. Quelle est par ailleurs la perception qu’a chaque personne de la notion de “connaissance suffisante”, par rapport à quel contexte, quel besoin…?
Une objectivation serait plus qu’utile. Un véritable exercice qui serait mesuré – soit par une personne en chair et en os, soit – pourquoi pas – par un bot ou un algorithme – serait nettement plus objectif et plus indicatif des capacités réelles.
Ce devrait d’ailleurs être le cas d’ici quelques mois, un outil de test concret est en effet en cours de phase-pilote, avec déploiement possible au début 2020, pour mesurer les compétences des utilisateurs lambda ou professionnels. A la manoeuvre, le Forem et l’AdN, en collaboration notamment avec l’UWE.
Le test s’appuiera sur le cadre de référence européen Digcomp et s’inspirera en partie, mais avec des adaptations pertinentes pour le contexte local, d’outils tels que la grille française PIX (évaluation de compétences numériques en 8 niveaux et 5 domaines).
On en saura plus d’ici quelques mois – ou semaines…
15 compétences-témoin
Pour l’heure, le questionnaire d’auto-évaluation imaginé par l’AdN vise à évaluer la manière dont chacun estime connaître ou maîtriser un outil, une fonction ou une activité numérique.
Quinze “tâches élémentaires” ont été choisies en guise d’indicateurs ou révélateurs de compétences:
– rechercher une adresse ou un itinéraire sur Internet
– enregistrer une photo trouvée sur Internet afin de l’utiliser plus tard
– créer un graphique pour représenter des chiffres
– envoyer un message instantané via SMS, Messenger ou WhatsApp
– envoyer un fichier à une autre personne via Internet
– décider d’une date de réunion avec 8 à 10 autres personnes
– rédiger une lettre avec un traitement de texte
– modifier une photo pour ne garder qu’une partie de l’image
– élaborer une présentation avec des textes et des images
– créer un mot de passe correctement sécurisé
– modifier son profil dans Google ou sur un réseau social
– créer une copie sécurisée des données de son PC ou de son smartphone
– installer un programme ou une application
– configurer l’ordinateur ou la tablette pour ajouter une imprimante
– créer un petit programme informatique avec un langage de programmation (au choix)
Score global moyen obtenu par les quelque 2.000 personnes ayant participé à l’étude: 56.
Avec d’assez grosses différences selon les âges, genres, situations socio-démographiques, niveaux d’études…
Baromètre Citoyen (AdN): 76% de la population active considère que ses compétences numériques sont suffisantes.
Les hommes (pris dans leur globalité) obtiennent un meilleur score (61) que les femmes (51). S’il faut y voir le reflet d’une moindre “pénétration” et maîtrise des outils et usages numériques chez les femmes, il y a également un autre facteur qui vient influencer le score – et qu’il est difficile d’éliminer par réajustement objectif. A savoir que l’exercice – rappelons-le – est une auto-évaluation et non un test par un tiers, reposant sur des mesures concrètes et vérifiables et le fait que les femmes, généralement, sont plus prudentes – ou modestes ou encore moins confiantes en elles-mêmes? – dans leur auto-évaluation. N’affirmant “connaître” ou “maîtriser” que lorsque cette connaissance est maximale. Là où les hommes affirment connaître ou maîtriser même si leur degré de maîtrise est encore éloigner de dizaines de pour-cents d’une situation optimale.
La fracture numérique touche toutes les catégories socio-démographiques et pas forcément là et dans les proportions que l’on imaginerait “logiques”… Une courbe de Gauss décalée en atteste.
Les résultats obtenus via cet exercice d’auto-évaluation semblent confirmer:
– une diminution de la maîtrise de compétences auprès des catégories d’âge plus élevé – essentiellement à partir de 60 ans (scores moyens de 48 pour les 60-69 ans et de 26 pour les plus de 70 ans
– une influence “mais pas gigantesque” du niveau d’éducation – scores: 47 pour les personnes n’ayant qu’une formation primaire ou sans diplôme; 54 pour les diplômés du secondaire ; 66 pour les diplômés du supérieur
– idem du côté du niveau de vie – là, les différences sont même minimes entre ceux qui disent avoir un niveau de vie “confortable” (score moyen de 64) et ceux qui rencontrent des difficultés (score: 51).
Conclusion: la fracture numérique demeure une réalité: 20% de la population se retrouve dans cette catégorie des “largués” et des “oubliés”. S’y ajoutent encore quasi une quinzaine de pour-cents d’“usagers faibles”, dont le degré de maturité est déficitaire. Et comme l’indiquaient les deux derniers paramètres cités (niveau d’éducation et niveau de vie), la fracture est également présente dans des catégories socio-démographiques plus ou relativement “privilégiées”. Ce qui – primo – est inquiétant en soi et – deuzio – est un facteur important à prendre en compte dans les politiques à mener, soulignait André Delacharlerie, co-auteur de l’étude pour l’AdN.
Des compétences pas suffisamment critiques ou utiles
Les tâches “élémentaires” que maîtrisent mieux les citoyens lambda – toutes catégories ou caractéristiques socio-démographiques confondues – sont l’envoi de messages ou de fichiers, la recherche d’infos sur Internet… Des “no-brainers”, en quelque sorte.
Les choses commencent à se gâter quand il s’agit d’installer un logiciel, de modifier un profil, de configurer un périphérique, de planifier une réunion collégiale. Quant à la création de programme, c’est le porteur de bonnet d’âne. Score: 16 points.
En abordant l’analyse des résultats sous un autre angle, l’AdN en a tiré une conclusion qui n’est pas très rassurante: les compétences que disent maîtriser ou posséder “suffisamment” les personnes interrogées ne correspondent pas toujours – et parfois de fort loin – à celles qui leur seraient réellement utiles dans leur quotidien.
Prenons quelques exemples: les seniors (personnes âgées de plus de 70 ans) sont les moins compétentes (même si l’on note des progrès par rapport à la situation qui prévalait voici quelques années). Rien d’illogique à cela. Toutefois, un réalignement des compétences et des priorités qui y sont affectées semble être nécessaire. Certes, il peut être amusant voire socialement bénéfique pour un senior de pouvoir envoyer des messages via canal numérique (ce en quoi ils se disent plus à l’aise) mais l’utilisation des services dématérialisés – commerciaux ou publics – leur échappe encore largement alors qu’ils figurent sans doute parmi les groupes socio-démographiques qui pourraient en tirer le plus grand parti.
Autre exemple: les chômeurs se disent relativement bons (dans l’ensemble) en traitements de photo ou en sécurisation de copies de fichiers mais des outils qui leur permettraient de mieux se réinsérer dans la vie active demeurent trop mal connus…
Les recommandations de l’AdN
Compte tenu de tout ce qui précède, l’AdN émet quelques premières recommandations aux autorités publiques – tant côté wallon que côté Fédération Wallonie-Bruxelles (le Baromètre et l’évaluation de maturité atterriront notamment sur les bureaux des ministres Willy Borsus (économie, numérique, formation professionnelle), Christie Morreale (emploi, action sociale, égalité des chances) et Caroline Désir (enseignement obligatoire).
Quelles sont quelques-unes de ces recommandations?
– agir au niveau de la formation, à la fois à l’échelon scolaire, lors des formations continuées et au-delà de la période de carrière professionnelle. Avec un clou qu’André Delacharlerie tenait à enfoncer à nouveau: “prévoir, enfin, des cours de formation au numérique dès le plus jeune âge”. De même, confirmer et étendre le rôle des EPN (espaces publics numériques) dans la formation et la sensibilisation des citoyens, seniors compris, “parmi d’autres lieux”
– travailler davantage sur l’accompagnement des plus démunis, toutes catégories et contextes socio-démographiques confondus
– développer et favoriser des services innovants “et attractifs”, “pour que les moins ou non-connectés n’aient plus l’impression qu’aucun service ne leur est destiné ou n’est intéressant pour eux”
– capitaliser davantage sur la “numérisation de la société” pour que chacun – seniors compris – demeurent impliqués et contribuent à la vie en société, voire à l’exercice économique/bien-être.
Un dernier chiffre pour boucler cet article: seulement 24% des personnes interrogées déclarent être intéressées à bénéficier de formations supplémentaires au numérique. Parmi les plus demandées figurent les formations en sécurisation de données, gestion de fichiers, production de textes et de documents multimédias. La nature-même de ces thématiques laisse transparaître une méconnaissance de certains enjeux majeurs.
Par ailleurs, un score de 24% est très faible par rapport aux scores obtenus. Même auprès de ceux qui ont consciences que leur niveau est insuffisant.
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