Dans le premier volet de cet article, nous vous avons présenté les intentions et les actions de la Région de Bruxelles-Capitale en matière d’accessibilité des sites Internet des services (para-)publics.
Qu’en est-il côté wallon? Que dit la loi? Et quels audits et contrôles sont-ils prévus?
En Wallonie, l’organisme chargé de contrôler l’accessibilité des sites Internet de services publics (administrations, organismes para-publics, OIP…) est l’AdN. Les premiers tests et vérifications ont été effectués en 2021. Tests encore relativement rapides et non approfondis, dans l’attente d’“outils” spécifiques et de démarches d’audit détaillé qui sera d’ailleurs confié à d’autres intervenants.
A l’AdN, on souligne en outre qu’aucun budget formel n’existait encore en 2021 pour assurer cette mission préliminaire: l’équipe se résume pour l’instant à deux personnes et n’est pas entièrement dédiée à cette tâche…
Mais que l’on ne se méprenne pas: ce qui a été réalisé en 2021 n’était qu’un petit tour de chauffe, un exercice de vérification préliminaire destiné à se conformer, un minimum, à ce que prévoit la Directive européenne transposée en décret wallon (celui-ci n’ayant d’ailleurs pas encore été signé…). Voir plus loin ce que prévoit la Directive européenne.
Le rôle attribué à l’AdN est un rôle de contrôle d’application des règles que les services publics et para-publics sont obligés de mettre en oeuvre après l’audit préalable de leur site ou dès la mise en ligne de ces sites.
Ce qui a été effectué en 2021, c’est “un audit simplifié, automatisé, à l’aide de l’outil mis à disposition par le BOSA (SPF Stratégie et Appui). Avec quelques contrôles manuels supplémentaires”, indique Christelle Darville.
L’outil d’audit automatique en question (le BOSA Accessibility Checker) opère en mode Speedy Gonzalez. De l’ordre de 15 minutes par site. Avec, à la clé, un rapport lui aussi généré automatiquement. Une scrutation rapide donc, partielle (il ne contrôle que quelques critères d’accessibilité et uniquement sur la page d’accueil et sur deux niveaux de profondeur du site) et qui ne fonctionne d’ailleurs pas sur tous les sites. “L’outil est en voie d’amélioration”, souligne Christelle Darville, chargée de projet à l’AdN.
“D’une manière générale, le marché manque d’outils permettant d’évaluer l’accessibilité des sites Internet par des personnes souffrant de difficultés potentiellement très diverses…”
45 sites (pré-)évalués
En Wallonie, en amont du démarrage d’actions d’audit approfondi, 45 sites ont donc été, plus ou moins sommairement, passés en revue en 2021, selon un éventail hétéroclite de types de service public et de thématiques: services régionaux (agriculture, transports), administrations (en ce compris communales), services de base à la population, enseignement, culture, logement, santé, emploi, fiscalité…
Constat global: “peu de sites peuvent être considérés comme “accessibles” à des personnes souffrant de difficultés d’utilisation”, déclare Christelle Darville. “Les normes à respecter sont encore largement méconnues. La mention obligatoire de degré d’accessibilité fait défaut sur deux-tiers des sites étudiés…”
Les prestataires (concepteurs et développeurs), eux non plus, ne sont pas prêts, voire pas au courant des obligations d’accessibilité. Et, dès lors, des bonnes pratiques de développement à mettre en oeuvre. Un gros travail de sensibilisation reste donc à faire. En attendant, éventuellement, que les consignes d’accessibilité fassent leur apparition dans les cahiers de charge et les formulations des marchés publics.
Prochaine étape: des audits en bonne et due forme
Fin 2021, suite à un marché public, la mission d’audit des sites de services publics (à l’échelle de la Belgique) a été confiée à un nouvel acteur, prénommé DiAX (Digital Accessibility Experts), résultat d’un projet de l’asbl anversoise KMBS (Koninklijke Maatschappij voor Blinden en Slechtzienden) qui s’est muée en collectif davantage national, regroupant plusieurs organisations telles qu’AnySurfer, Eleven Ways, Five Oaks, Anais Software Services et l’asbl PasseMuraille.
Le collectif d’experts DiAX (experts en accessibilité, certifiés IAAP – International Association of Accessibility Professionals) sera en fait chargé de deux types de mission: audit de sites (et d’applications), et formations en accessibilité numérique (à destination de concepteurs, rédacteurs et développeurs).
Un budget global de 5 millions d’euros a été prévu, à “consommer” sur quatre ans par les services publics des sept entités fédérées concernées (Etat fédéral, Régions wallonne, bruxelloise et flamande, Fédération Wallonie-Bruxelles, Communauté germanophone, COCOF).
S’y ajoutent des missions de conseils en accessibilité numérique et accompagnement, lot qui a été octroyé à Cronos Public Services. Type de prestations à assurer: “mise en place de processus qui facilitent la production de contenus Web accessibles ; assistance lors de chaque étape d’un projet de création ou de refonte d’un site Internet ou d’une application en-ligne, validation des avant-projets de design (contrastes, lisibilité, structure d’un site d’une application mobile) ; aide à la définition d’un programme d’accessibilité.
L’audit approfondi ira nettement plus loin que ce qu’opère actuellement le “checker” du BOSA. L’exercice, effectué “manuellement” par un expert en accessibilité passera obligatoirement en revue l’ensemble des critères d’accessibilité WCAG 2.1 du W3C.”
Les administrations et services publics ou para-publics pourront faire appel à ces différentes interventions (DiAX et Cronos) via la centrale d’achats du SPF BOSA. A un tarif plafonné et identique quelle que soit la Région ou l’entité fédérée dont ils relèvent. Exemple: 2.200 euros pour un audit approfondi.
Les prestataires ne pourront donc pas facturer “à la tête du client” ou selon leur bon vouloir. Par ailleurs, en plus des missions effectuées par les experts DiAX, quelques missions d’audit approfondi seront effectuées en Wallonie par l’AdN, au tarif fixé dans le cadre de la convention passée avec le SPF BOSA. Pour 2022, 4 audits approfondis de site Internet sont au programme de l’Agence ainsi qu’un audit approfondi d’appli mobile.
Que prévoit la directive européenne ?
La directive européenne (2016/2102) relative à l’accessibilité des sites Internet et des applications mobiles des organismes du secteur public stipule notamment ceci:
“Les organismes du secteur public doivent régulièrement fournir une déclaration d’accessibilité détaillée, complète et claire sur la façon dont leurs sites Internet et leurs applications mobiles se conforment à cette directive, y compris:
- une explication sur les éléments inaccessibles et des informations sur les alternatives accessibles;
- une description sur la façon dont un utilisateur peut signaler toute absence de conformité à cette directive ou demander des informations qui dépassent le champ de cette directive;
- un lien vers un mécanisme de plainte qui peut être utilisé si la réponse est insuffisante.
[…]
Les États-membres doivent également:
- faciliter l’application des exigences en matière d’accessibilité à d’autres types de sites Internet ou d’applications mobiles couverts par les dispositions législatives en vigueur;
- faciliter les programmes de formation relatifs à l’accessibilité des sites Internet et des applications mobiles;
- sensibiliser aux exigences en matière d’accessibilité;
- partager les bonnes pratiques, avec l’appui de la Commission;
- veiller à ce qu’il soit possible de recourir à une procédure efficace permettant d’assurer le respect des dispositions.”
Depuis quand s’applique la Directive (du moins en principe)?
L’entrée en vigueur avait été fixée au… 23 septembre 2019. Voici ce que dit le texte européen: “Les États-membres doivent appliquer ces mesures comme suit:
- à compter du 23 septembre 2019 pour les sites Internet qui ne sont pas créés avant le 22 septembre 2018;
- à compter du 23 septembre 2020 pour tous les autres sites Internet des organismes du secteur public;
- à compter du 23 juin 2021 pour les applications mobiles des organismes du secteur public.”
Une obligation mais…
Comme toute Directive européenne, celle relative à l’accessibilité des sites Internet et des applications mobiles des organismes du secteur public, doit être transposée dans les législations locales (lisez: fédérale, régionales et communautaires) mais cette transposition est encore incomplète, légalement parlant, dans la mesure où, par exemple, le Décret wallon existe certes mais n’a pas encore été signé…
Que prévoit la Directive européenne en matière de contrôle?
“Les États-membres doivent contrôler la conformité au moyen de la méthode adoptée par la Commission au plus tard le 11 octobre 2018. La méthode, établie par la décision d’exécution, comprend:
– la périodicité du contrôle et du régime d’échantillonnage des sites Internet et des applications mobiles;
– l’échantillonnage des pages Internet, du contenu de ces pages et du contenu des applications mobiles;
– une description sur la façon de déterminer la conformité;
– dans l’hypothèse où des insuffisances sont constatées, un mécanisme pour aider les organismes du secteur public à les corriger; et
– des dispositions en ce qui concerne des tests automatiques, manuels et d’utilisation.”
Obligation légale donc mais dont le non-suivi des consignes et recommandations ne donne pas encore lieu à des sanctions.
La plupart des entités fédérées ont toutefois désigné un organisme de contrôle, avec mission de “contrôler périodiquement la conformité de leurs sites internet et des applications mobiles” et d’en faire rapport, en ce compris à destination des autorités européennes.
En Wallonie, ce sera l’AdN. Au niveau fédéral, le SPF BOSA. Pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’ETNIC. La Région de Bruxelles-Capitale, par contre, doit encore effectuer son choix. Le nom d’Equal Brussels, administration chargée de la mise en œuvre de la politique de l’Egalité des Chances pour la Région de Bruxelles-Capitale, a été évoqué mais rien n’est encore confirmé.
Le sujet du contrôle implique, en soi, toute une série de questions et de difficultés potentielles. Quelle serait la fréquence idéale? A quel coût pour les sites vérifiés?
Et, sans doute surtout, la validité d’une labellisation de conformité en accessibilité ne risque-t-elle pas d’être mise à mal à chaque évolution technique du site ou de l’un ou l’autre outil qu’il utile? Ou encore, plus prosaïquement, si de nouveaux contenus ne respectant pas les règles lui sont injectés? De simples erreurs au niveau rédactionnel ou dans le domaine des illustrations, des couleurs utilisées, peuvent soudain rendre un site non conforme.
“La durée de validité n’est pas claire”, déclare Christelle Darville (AdN). “Somme toute, les principes édictés risquent d’être trop contraignants ou financièrement trop pénalisants…”
Le frein (plus que potentiel) du coût que représente le développement ou l’adaptation d’un site de telle sorte qu’il respecte et applique les consignes d’accessibilité est en effet un paramètre qui ne peut être passé sous silence. Le coût peut en être non négligeable, tant le nombre d’outils et de fonctionnalités ou de principes à mettre en oeuvre est élevé.
Ce qui amène Christelle Darville à suggérer ceci: “Faites le strict minimum sur le site Internet existant. Par contre, alignez-vous sur les obligations d’accessibilité pour tout nouveau site”.
Ergoscore
Autre obligation légale existante mais dont la mise en application et l’“efficacité” sont encore nimbées de doute: celle de publier, sur les sites Internet, une “déclaration d’accessibilité”, avec indication du “degré” d’accessibilité et d’un point de contact auprès duquel signaler les éventuelles difficultés rencontrées. “Trop peu de services publics, à l’heure actuelle, se plient à cette obligation de publication”.
La gradation, par ailleurs, laisse songeur. Trois niveaux de conformité ont été imaginés: “non conforme”, “partiellement conforme” et “totalement conforme”.
Est considéré comme “non conforme” un site qui n’afficherait pas de déclaration d’accessibilité ou “qui présente plus de 50% d’erreurs d’accessibilité” (en soi, un concept – lui aussi – flou et potentiellement sujet à interprétation).
Un site “partiellement conforme” est sujet à “moins de 50% des erreurs d’accessibilité analysées”. Mais attention ! Un site qui n’a procédé qu’à un audit simplifié, via l’outil Checker du BOSA, devra se contenter de cette étiquette de site “partiellement conforme”.
Pour pouvoir passer au “nirvana” du label “totalement conforme”, un audit approfondi, par expert, sera un passage obligé, avec nécessité de répondre à la totalité des critères WCAG 2.1 AA.
De l’avis de plusieurs observateurs et parties prenantes contactés pour les besoins de cet article, il manque encore clairement une véritable grille de conformité, précise, mesurable et efficace…
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