Xavier Damman (OpenCollective): des e-cagnottes pour associations non lucratives

Portrait
Par · 23/05/2016

Il était le fondateur de Storify, qu’il a revendue en 2013 à Livefyre (cette dernière venant d’ailleurs de tomber dans l’escarcelle d’Adobe). Sa nouvelle initiative s’appelle OpenCollective.

Storify était basée à San Francisco. OpenCollective a élu domicile à New York, pour s’installer dans un lieu où les fin tech ont encore plus le droit de cité que sur la côte Ouest, pour trouver un écosystème et un environnement plus multi-culturel et – ce qui ne gâte rien – pour se rapprocher de trois fuseaux horaires de l’Europe et de la famille restée au pays. Découvrir ici ce qu’il en dit de son choix new-yorkais (volet d’article réservé Select & Premium)

OpenCollective est une jeune pousse qui veut imaginer une manière nettement plus souple, plus immédiate, moins contraignante – administrativement – de collecter de l’argent. Plus particulièrement pour toutes les initiatives qui ont souvent un côté spontané, voire ponctuel, et qui n’ont ni le temps, ni les moyens, ni les raisons de s’embarrasser d’une constitution d’entité légale.

En fin d’article, dans la partie d’article réservée à nos abonnés Select et Premium, lisez les raisons pour lesquelles Xavier Damman a choisi ce thème pour sa nouvelle société, a préféré New York à la Silicon Valley – ou à l’Europe – pour la démarrer, et pourquoi il n’y a pas de venture capitalist parmi les investisseurs. Du moins jusqu’ici…

“A notre époque, même si on veut ouvrir un site Internet pour récolter des fonds pour une initiative, en ouvrant par exemple un compte Stripe, il faut avoir un compte en banque. Et pour avoir un compte en banque, il faut d’abord avoir une structure légale. Cela prend des semaines. Les entités légales telles qu’on les conçoit actuellement ont été imaginées avec l’ère de l’Internet, dans un contexte très différent. Il faut minimum 3 personnes, qui s’engagent à long terme, faire un reporting annuel…” Blocage que Xavier Damman se propose donc de lever.

L’idée d’OpenCollective est d’opérer comme une plate-forme, sorte de tiers de confiance virtuel, servant de réceptacle pour les dons et financements de projets initiés par des “collectifs” en tous genres: associations de parents, de quartier, projets open source, associations animées par des bénévoles, projets perso, meetups, asbl, incubateurs, organisateurs d’un concert, collectifs de citoyens…

Chaque collectif bénéficierait ainsi d’un compte, virtuel puisque non associé à un compte bancaire classique.

Tout ça pour des autocollants…

L’id&e de sa nouvelle start-up, Xavier Damman dit l’avoir eue lors d’un de ses retours au pays au moment où il s’est plongé, notamment avec Karen Boers de startup.be, dans la rédaction du Startup Manifesto et devaient faire face à quelques dépenses (production d’auto-collants).

Xavier Damman: “Jusqu’ici, l’Internet a été excellent pour aider les gens à se réunir et à faire des choses ensemble mais dès qu’il y a de l’argent en jeu, on reste bloqué au 20ème siècle.”

Qui allait payer la facture? Difficile d’imaginer que le petit groupe qui planchait sur la rédaction plombe le processus en constituant une structure qui permettrait une gestion “légale” des dépenses. Le seul recours dans ce genre de situation est que quelqu’un y aille de sa poche, qu’un “sponsor” justifie cette dépense dans ses propres comptes ou qu’on en appelle à une appli du genre Tricount (gestion de dépenses entre amis).

“Le Startup Manifesto a mobilisé et retenu l’attention de très nombreuses personnes qui soutenaient l’initiative, qui auraient pu donner quelques euros.

Il aurait pu devenir un mouvement de lobbying important pour créer du changement dans la société belge mais n’a pas pu le faire, faute de financement.

Idem pour un mouvement tel qu’Occupy Wall Street, qui était devenu un mouvement global mais qui n’a pas duré. Je vois par contre Podemos qui a réussi à avoir 285.000 personnes qui ont chacune donné 5 euros par mois. Ils ont eu un budget et cela a changé la donne. Ils ont alors pu institutionnaliser le mouvement et en faire un parti politique avec lequel compter en l’espace de deux ans…

C’est le but d’OpenCollective: permettre aux gens, à n’importe quelle communauté, d’avoir un pouvoir économique et donc plus d’impact sur la société.”

Première cible: les acteurs de l’open source

“N’importe quelle communauté ou association”… en ce compris des groupes de lobbying citoyens, démocratiques, participatifs, mais aussi, déclare Xavier Damman, de nouveaux syndicats, partis politiques comme Podemos.” C’est là l’un des chevaux de bataille de l’une des trois personnes à l’origine de la société. A savoir Pia Mancini (voir encadré).

Xavier Damman: “Le but d’OpenCollective est de permettre aux gens, à n’importe quelle communauté, d’avoir un pouvoir économique et donc d’avoir plus d’impact sur la société.”

Dans un premier temps, OpenCollective compte se focaliser sur des collectifs lancés par des porteurs de projets open source “pour qu’ils puissent recevoir facilement de l’argent de la part de toutes les sociétés qui les utilisent. C’est grâce à l’open source que nous pouvons tous innover. Mais il n’y a pas de financement de l’open source. Les gens ne sont pas payés parce qu’il s’agit de communautés qui n’ont pas d’entité légale. Nous voulons leur permettre d’avoir un budget et commencer ainsi à payer les contributeurs…

Lorsque nous aurons bien progressé sur ce créneau, nous nous orienterons vers d’autres secteurs spécifiques et thématiques.”

“Hébergeurs” pour collectifs

Le principe de base dont s’inspire OpenCollective est celui du “fiscal sponsorship” (parrainage fiscal), déjà utilisé dans le monde artistique, via lequel des organisations à but non lucratif mettent leur statut légal et d’exemption fiscale à la disposition de groupements.

Le “parrain”, après avoir validé le caractère conforme de l’association ou du collectif qui fait appel à ce mécanisme, lui relaie les fonds récoltés.

“Un peu à la manière de la Fondation Roi Baudouin”, explique Xavier Damman. “Une seule entité légale, un seul compte en banque mais, en-dessous, de nombreux projets, groupes de gens avec des projets qui sont “hébergés” par cette entité unique.”

OpenCollective n’opèrera pas seule. L’idée est en effet de constituer un vaste réseau de “fiscal sponsors”, qualifiés d’“hébergeurs”. En l’occurrence des associations (asbl) pouvant servir de “parrain fiscal” aux collectifs. De préférence, ces hébergeurs seront répartis géographiquement et seront thématiques, proches par exemple du monde des start-ups, de la citoyenneté participative…

OpenCollective, elle-même, créera des hébergeurs “à vocation plus générique, si on ne trouve pas de partenaire thématique, ce qui restera toujours notre préférence parce que c’est plus facile.”

De premiers contacts ont été noués dans différents pays et les premiers accords de principe engrangés.

En Belgique, le premier “hébergeur” pourrait être startups.be. En Suisse, le premier partenaire devrait être un centre de coworking, pour le financement de meetups.

Aux Etats-Unis, OpenCollective a déjà séduit Women Who Code, une association qui fait la promotion des carrières informatiques (programmation & co) pour les femmes, qui y a vu une solution intéressante pour permettre à ses antennes locales (l’association est active dans une soixantaine de villes à travers le monde) de collecter de l’argent pour leurs besoins propres.

Esprit non lucratif

On l’a vu, l’initiative vise tout “collectif” à but non lucratif ayant besoin d’un financement dynamique pour se lancer ou assurer un financement, de manière ponctuelle ou dans la durée. Mais Xavier Damman n’exclut pas pour autant des organismes commerciaux ou des entreprises.

Xavier Damman a embarqué deux autres co-fondateurs dans sa nouvelle aventure: Pia Mancini, une Brésilienne, directrice de la fondation DemocracyEarth, parmi les fondatrices du parti politique NetParty à Buenos Aires, “passionnée par la manière dont la technologie peut upgrader la démocratie”, et Aseem Sood, un Indien, qui a travaillé 7 ans chez Google amais aussi pour RedZone Robotics et DropBox. Très cosmopolite, la nouvelle pousse…

L’équipe d’OpenCollective. A g. X.Damman. A dr., A. Sood et P. Mancini.

Pour l’heure, la solution d’OpenCollective en est au stade de la bêta et n’est opérationnelle qu’outre-Atlantique (Xavier Damman est aujourd’hui basé à New York).

Son modèle économique? Un prélèvement de 5% sur les fonds collectés (après déduction de frais de cartes de crédit).

La jeune société a levé 500.000 euros, dont la moitié venant du fonds américain General Catalyst. Mais les investisseurs sont aussi belges. Outre Xavier Damman lui-même, on peut citer les noms de Jean Zurstrassen, via le fonds BelCube, Dries Buytaert (Drupal), Toon Vanagt (data.be) et Xavier Corman (edebex). Les autres investisseurs sont américains ou britanniques.   retour au texte ]

“Les sociétés ont envie de devenir hébergeurs parce qu’elles veulent développer une communauté autour d’elles. Des meetups s’organisent un peu partout sur le thème d’outils technologiques… Les sociétés ont donc un intérêt à ce qu’une communauté soit active, ait les moyens de se financer, pour ramener un maximum de gens autour d’elles.”

OpenCollective dit toutefois vouloir privilégier des finalités non lucratives.

Il lui reviendra ainsi qu’à ses partenaires-hébergeurs de filtrer, de vérifier la légitimité des collectifs, de contrôler leur activité.

A cet égard, Xavier Damman compte sur l’effet de proximité: “en opérant avec un réseau d’hébergeurs thématiques, on est davantage sûr qu’ils connaissent bien le secteur ou le type d’activités que mèneront les collectifs hébergés, ce qui est acceptable comme dépenses…

Par exemple, startup.be connaît bien le monde des start-ups et, donc, des collectifs qui pourraient naître pour organiser des événements, tels que des meetups, contribuant à l’animation de l’écosystème.”

Et Xavier Damman d’ajouter qu’une association telle que startup.be trouve elle-même son intérêt dans le fait de devenir hébergeur. “C’est leur mission de faciliter l’organisation de tels événements et actions.”

Le mécanisme?

Modes de transfert d’argent supportés? Les “donateurs” virent l’argent via carte de crédit uniquement dans l’état actuel des choses (via PayPal) mais d’autres canaux viendront à terme s’y ajouter, promet Xavier Damman (notamment des virements bancaires).

OpenCollective opérera comme entité légale, centralisant les dons versés via Internet, au nom des projets et initiatives diverses. “En quelques clics, un collectif peut disposer d’un lieu de collecte d’argent, d’un compte bancaire virtuel, de son propre budget.”

Les membres du collectif soumettent leurs dépenses en les téléchargeant sous forme de pièces jointes à des mails, de pièces justificatives – reçu, facture… – scannées ou simplement photographiées avec un smartphone. Le gestionnaire du collectif les approuve ou non et le remboursement peut dès lors s’effectuer. Les preuves de dépenses – et donc de l’usage qui est fait de l’argent récolté – sont disponibles et visibles sur la plate-forme.

“La traçabilité est ainsi totale. Les personnes qui ont donné de l’argent pour le collectif savent à quoi il a été utilisé. Et l’hébergeur lui-même a une visibilité parfaite pour ses propres obligations comptables.”

OpenCollective n’a pas encore tout-à-fait décidé du degré de visibilité. A tout venant ou un accès aux chiffres réservés aux donateurs de chaque collectif? La décision doit encore être prise. Les personnes ayant versé de l’argent auront en tout cas une visibilité totale.

Dans l’état actuel des choses, l’option prise est celle de la transparence totale. “Tout est entièrement public. Cela permet aux gens qui envisagent de donner de l’argent à un collectif de se faire une idée de ce à quoi il sera utilisé…”

Bio flash de Xavier Damman

Lieu de naissance: Nivelles

diplômé en ingénieur civil à l’UCL, avec une spécialisation en sciences informatiques et une maîtrise en entreprenariat. Ses études l’emmènent à Madrid et à Ngozi, au nord du Burundi.

Grandes étapes de son parcours:

  • consultant à Bruxelles et à Londres, pour la banque Euroclear puis pour Skynet
  • création de Storify, qui a démarré sous le nom de Publitweet
  • revente de Storify à Livefyre, elle-même cédée cette année à Adobe
  • co-initiateur du “Startup Manifesto” belge, avec Karen Boers notamment, qui a “inspiré” certaines mesures prises, au fédéral, par le Ministre Alexander De Croo en faveur des jeunes pousses (essentiellement en termes de facilités de financement)

Après ses débuts en Belgique sous le nom de Publitweet, Storify avait déménagé vers la Silicon Valley, essentiellement pour y trouver des financements et un environnement propice pour le développement d’une solution orientée B2C.

Pour lancer son nouveau projet, davantage orienté fin tech, Xavier Damman a choisi de rester aux Etats-Unis mais de changer de rivage océanique.

Pourquoi New York?

“C’est important de se mettre à l’endroit où il y a le plus de potentiels de connexions pour trouver des utilisateurs, du support. New York est non seulement la capitale des fin techs mais aussi une capitale où il y a énormément de communautés différentes, d’associations… San Francisco, où j’avais implanté Storify, est beaucoup plus mono-culture, nettement plus tech, un esprit campus avec énormément de gens super intelligents qui ont envie de changer le monde mais, comme sur un campus, qui réfléchissent à un nombre limité de sujets. Cela crée un environnement qui est extraordinaire pour apprendre vite mais cela crée aussi une bulle.

Il est donc important, après quelques années, de “graduer”, de sortir du campus pour aller appliquer au monde réel ce qu’on a appris.”

Les leçons de Storify

Quelles sont les leçons du passé que Xavier Damman a retirées de son expérience avec sa start-up Storify et qu’il a éventuellement mises à profit pour sa deuxième aventure? “Beaucoup de choses à commencer par le fait par le financement. Avec Storify, on avait commencé par des levées de fonds avec des venture capitalists. Ici, mon premier tour de table a été fait avec des angel investors (investisseurs providentiels).

Ensuite, tout, pour OpenCollective, est fait en open source parce que c’est une meilleure façon de créer du logiciel. La transparence permet de s’assurer d’un niveau de qualité. Parce que tout est ouvert à la vue de tous.”

Xavier Damman: “Quand je vois un problème, en tant qu’entrepreneur, il me faut y apporter une réponse. Après Storify, j’ai cherché de nouvelles idées de start-up. Avec l’expérience de Storify, ce qui me préoccupait le plus, c’était de voir combien créer une start-up requiert un focus énorme, un investissement énorme en temps. Je voulais donc m’assurer que ma nouvelle initiative ne soit une petit start-up qui n’aurait pas beaucoup d’impact. Je voulais travailler à quelque chose qui, potentiellement, pourrait unlock the potential of people, démultiplier le potentiel des gens.”

Pourquoi faire appel d’emblée à des venture capitalists était-il une erreur?

“Parce que c’est important de s’entourer d’autres entrepreneurs. Les meilleurs conseils que l’on peut recevoir en tant qu’entrepreneur sont ceux qui viennent d’autres entrepreneurs. C’est comme d’être parent: on peut lire tous les livres du monde, on ne saura pas ce que c’est que d’être parent avant de le devenir.

Les ventures capitalists – certes pas tous – sont des gens qui n’ont jamais été entrepreneurs eux-mêmes. Ils sont super intelligents, ont fait Harvard ou Stanford. Ils connaissent la théorie. En pratique, c’est très différent.

C’est important d’avoir un maximum de gens qui ont un intérêt partagé du fait qu’ils ont investi de l’argent. Plus on aura de gens ayant mis de billes dans cette aventure, plus on aura de gens qui iront prêcher et faire en sorte que cela fonctionne.” [retour au texte]