UX. User Experience. Le terme – et l’acronyme – sont devenus comme un leitmotiv, mis à toutes les sauces. Dans tous les contextes où il est question d’interaction, de navigation, d’utilisation de données, de fonctionnalités, de visualisation… Le terme a remplacé des expressions et descriptifs plus concrets où on parlait concrètement de facilité d’utilisation, de compréhension de ce qui nous est proposé sur l’écran de nos “objets connectés” ou encore, demain, sans écran mais dans une “bulle” de réalité reconstruite.
Depuis près de deux ans, une société liégeoise propose un service de “UXicisation” d’applications mobiles, de sites Internet, d’expérience en e-boutique, de logiciels de gestion… UX Lab – son nom est éloquent – se veut avant tout un labo de développement où les porteurs de projets et concepteurs viennent tester leur produit en le confrontant à un panel d’utilisateurs dont les profils correspondent à la cible de clientèle qu’ils visent.
A l’origine de ce UX Lab, Rodolphe Finamore et Michael Dufranne, tous deux mordus de “usability”, de “lean experience”, d’“ergonomie cognitive” ou autre “design thinking”.
Le retour du pragmatique
Trop souvent, l’apparence visuelle et la structuration fonctionnelle (processus, trajets de navigation à travers les écrans…) d’une solution, qu’il s’agisse d’un site, d’un logiciel ou d’une appli, oublient que les utilisateurs n’ont pas les mêmes schémas comportementaux – ou même “cérébraux” – qu’un développeur, qu’un designer professionnel ou qu’un spécialiste marketing.
A l’heure où l’on insiste de plus en plus sur la nécessité de replacer la sécurité et le respect de la vie privée au coeur de tout processus de création IT, “se mettre dans les baskets” de celui ou celle qui sera l’utilisateur final de la solution est un crédo qu’un acteur tel que UX Lab veut claironner haut et fort.
Son but est de mettre de l’ordre dans les approches de conception parfois inadaptées qui fleurissent du côté des agences ou des concepteurs de solutions numériques. “Nous voulons en revenir à des choses objectivables”, déclare Rodolphe Finamore. Sans pour autant jouer les donneurs de leçons: un design n’est pas (ou pas toujours) à mettre à la poubelle mais gagnerait certainement à intégrer une perspective pragmatique.
Collectif UX
Rien de bien neuf dans le positionnement dont se revendique UX Lab. Des acteurs UX, il en existe un peu partout. Mais une place était à prendre en Wallonie.
“Nous n’avons rien inventé. Nous travaillons avec des méthodes éprouvées, selon une démarche classique en quatre étapes – comprendre, prototyper, tester, créer. Les méthodes [UX] sont partout les mêmes – en Californie, à Londres, à Paris… Ce en quoi nous nous différencions, c’est par la proximité géographique… et les tarifs pratiqués, deux fois moins élevés qu’à Paris par exemple”.
Autre originalité: UX Lab opère et fait exclusivement appel à une communauté d’indépendants ayant, chacun, leur spécialisation dans l’un ou l’autre métier touchant à l’expérience utilisateur: “Je ne suis ni employé, ni employeur”, insiste Rodolphe Finamore. “Le principe est celui du collectif. Nous faisons uniquement appel à des freelances, de niveau medior ou senior, dans leurs spécialistés respectives.” Un panel de freelances aux profils et compétence suffisamment variés pour pouvoir y trouver ceux et celles qui ont une bonne compréhension du type de solution concernée (site e-commerce, SEO, aide à la décision…) et du métier du commanditaire.
UX Lab ne veut en rien concurrencer les agences (Web ou marketing) traditionnelles, se positionnant davantage en tant que partenaire. “Nous nous limitons à l’étape du design créatif. Nous fournissons les designs et/ou un prototype [du simple wire frame au concept haute fidélité, réaliste]. Jamais nous n’assurons le développement proprement dit. C’est l’apanage des agences.”
Une clientèle très variée
UX Lab a déjà eu l’occasion de travailler pour des clients plutôt différents. Depuis une agence bancaire espagnole qui désirait faire tester son application auprès d’un public belge jusqu’à des organismes institutionnels en passant par des éditeurs d’ERP, des opérateurs de sites d’e-commerce… Ou encore cette start-up active dans la gestion de consommation énergétique de bâtiments industriels qui a fait appel au Lab et à ses cobayes-testeurs pour concevoir une version Web d’une solution encore trop classique.
Le Lab a par exemple accompagné la Ville de Liège dans la mise en oeuvre d’un design intégré pour les différents espaces muséaux du Grand Curtius, dont les publics sont forcément très différents. “Nous avons réuni les équipes de design, de développement, de création de contenus afin de définir une structuration commune mais qui rencontre les attentes des différents segments de publics – scolaires, passionnés d’art religieux, collectionneurs intéressés par les armes…”
Rodolphe Finamore (UX Lab): “aider les entreprises et les institutions wallonnes à proposer des méthodes afin de développer une meilleure expérience utilisateur.” Source: RTC Liège
Pour la Ville de Bruxelles et, plus particulièrement, pour l’agence Visit.brussels, le UX Lab a aidé à la refonte de l’agenda culturel qui recense, pour un public tant local qu’international, la totalité des activités culturelles – thématiquement fort variées – de la capitale. “En moyenne, 5.000 activités possibles pour un public allant des jeunes enfants aux seniors, pour des activités sportives, musicales – en tous genres -, culturelles, du clubbing, etc…”
Le travail a concerné aussi bien le front end que l’architecture back end, “le but étant, pour ce dernier, d’optimiser l’extranet accessible aux opérateurs culturels pour l’encodage de leur programmation.” La billetterie en-ligne Arsene 50 (vente de places à prix réduit pour des activités du jour-même) a également été UXcisée en s’appuyant sur le principe des personae et du “mobile first”. Chantier réussi puisque le taux de conversion a fait un bond de 600%.
Et le travail se poursuit. D’ici 2021, une nouvelle plate-forme permettra aux petits opérateurs culturels de disposer d’un espace de billetterie pour leurs propres activités.
Chacun chez soi
Pour tester et donner des indications concrètes sur la forme que prendront les schémas d’utilisation de la solution à “UXciser”, UX Lab sélectionne un petit panel d’utilisateurs et les confronte à la solution ou, plus exactement, à une portion concrète de la solution.
Comment les “cobayes” sont-ils choisis? Le critère majeur est la concordance des profils avec les personae qui correspondent aux utilisateurs finaux visés par le commanditaire. “Il arrive souvent que ce dernier nous fournisse une base de personae. Il est en effet mieux placé que quiconque pour savoir quelle sera sa cible et dispose parfois aussi d’un catalogue de clients existants” parmi lesquels UX Lab pourra puiser ses testeurs.
L’équipe de UX Lab est en train de développer un outil en-ligne qui servira d’“espace de recrutement de testeurs”, où ils pourront eux-mêmes s’inscrire, préciser leur profil, et où UX Lab pourra opérer une sélection par tranche d’âge, genre, centres d’intérêt… “Nous espérons ainsi constituer une base de données de quelque 10 à 15.000 personnes ayant pré-marqué leur intérêt…”
Au-delà de la segmentation de personae (par exemple, passionné de culture de moins de 30 ans, avec tel type de parcours de formation, actif ou sans emploi), UX Lab s’appuie notamment sur trois critères pour sélectionner son panel de testeurs: degré de maîtrise de la langue (maternelle ou cible), connaissance du vocabulaire spécifique de la solution à tester (par exemple, s’il s’agit d’un logiciel métier), et degré de connaissance de l’outil technologique, du maniement d’un ordinateur… “Dans un panel, on tente de varier au maximum les degrés de maîtrise.”
Généralement, les panels de testeurs sont constitués de 5 à 8 personnes. “Pas plus parce qu’on a pu vérifier qu’au-delà de huit utilisateurs-témoin, les schémas de réactions se répètent. Avec un panel maximal de 8 personnes, on est assuré de repérer de 80 à 90% des erreurs de conception.” A condition, bien entendu, que la sélection en amont ait été faite dans les règles de l’art…
Que testent les “cobayes”? Il n’est jamais question pour eux de tester la solution dans son ensemble, ce qui représente parfois une enfilage interminable d’écrans, de processus… “Le tout, de notre côté et du côté du commanditaire, est de savoir ce que l’on veut analyser. Le panel de testeurs ne sera jamais appelé à tester un site complet mais plutôt quatre ou cinq actions spécifiques.” Par exemple: le processus de “mise au panier” pour un achat sur un site d’e-commerce.
Rodophe Finamore (UX Lab): “Avec un panel maximal de 8 personnes, on est assuré de repérer de 80 à 90% des erreurs de conception.”
La durée du test de “usabilité” peut certes varier mais, aux dires de Rodolphe Finamore, la durée moyenne d’une séance est d’une demi-heure. Faisable dans la mesure où le scénario fonctionnel à évaluer est clairement délimité. Une durée courte, donc, pour une raison essentielle: “la clé est l’attention”, souligne Rodophe Finamore. Si on tire en longueur, elle se dilue.
Chercher l’erreur. Un design, même séduisant, peut parfaitement ne pas correspondre au confort réel à l’utilisation – ou aux préférences d’utilisation. Source: UX Lab.
“Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que le but est de trouver l’erreur dans un design. Quand on a recours à une technique d’eye tracking, la surveillance du trajet suivi par l’oeil permet certes de tester l’existant mais ne permet pas de repérer les erreurs… Selon notre méthode, par contre, si aucune des 8 personnes du panel ne repère pas un bouton, on étudie pourquoi ils se trompent…”
Ce panel de testeurs joue son rôle sans jamais être mis en contact direct avec le commanditaire lors de l’exercice d’évaluation. Tout simplement pour n’être en rien influencé par l’éditeur, le concepteur ou le commercial concerné – ne serait-ce que par ses attitudes ou réactions. “Deux pièces ont été aménagées, en vis-à-vis, pour que les testeurs ne soient pas dérangés, ne serait-ce que par l’influence du non-verbal…”, souligne Rodolphe Finamore.
Un “lieu de réflexion”
Au-delà de sa fonction première d’espace de tests orienté et piloté par les utilisateurs, le UX Lab liégeois veut aussi devenir un outil d’évangélisation UX et un espace de réflexion entre spécialistes UX. “Nous organisons des ateliers de réflexion. C’est aussi un moyen d’entretenir la vitalité de notre réseau de freelances.”
Le travail d’“évangélisation” passera également à l’avenir par des séances de démo et l’organisation de petites conférences “de nature pédagogique, destinées à conscientiser les décideurs sur l’importance de l’UX. Ceux qu’il faut encore convaincre, dans les entreprises ou les institutions publiques, ce sont les haut gradés, pas le designer ou le spécialiste marketing…”
Pour les convaincre, rien de mieux qu’une séance live. Quand ces décideurs et responsables de société, derrière l’écran, peuvent voir en direct les réactions d’un panel de testeurs en train d’essayer de se dépatouiller avec leur solution, la prise de conscience est immédiate.
UX Lab compte également semer sa bonne parole auprès des apprenants – que ce soit à l’université ou du côté par exemple de l’Ifapme. Une réflexion est engagée pour imaginer la teneur et le format de ces cours qui pourraient se concrétiser dans le courant du dernier quadrimestre 2019.
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