“NewSpace”, ou l’expression Space 2.0 que l’on utilise parfois, est un terme générique qui désigne une nouvelle génération de start-ups spatiales qui donnent un petit coup de fouet au secteur spatial commercial en recourant à de nouvelles technologies et à des modèles économiques innovants. Autrement dit: c’est de la “disruption” du monopole “Old Space” d’organisations telles que la NASA, l’Agence Spatiale Européenne et Roscosmos qui vivent essentiellement de soutiens publics. Mais ces nouveaux venus mettent aussi la pression sur les Boeing, ArianeSpace et autres Lockheed Martin de ce monde.
SpaceShipOne. Source: RenegadeAven
Les voyages dans l’espace demeurent un luxe fort onéreux. La preuve en est que la majorité des nouvelles sociétés conceptrices de lanceurs sont aux mains d’un petit club de milliardaires: SpaceX (Elon Musk), Blue Origin (Jeff Bezos), Virgin Galactic (Richard Branson), Vulcan Aerospace (Paul Allen) et StarChip (Yuri Milner). Cette surenchère a pour effet de réduire sensiblement les coûts de lancement, qui vont même jusqu’à concurrencer les lanceurs chinois “à bas coût”.
C’est un autre milliardaire – Peter Diamandis (1) – qui, dans les années ’90, a donné le coup d’envoi de cette nouvelle course à l’espace en imaginant le X Prize. A la clé: un chèque de 10 millions de dollars pour la première organisation commerciale qui parviendrait à lancer deux fois en deux semaines une fusée réutilisable. Le prix a été remporté en 2004 par SpaceShipOne.
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(1) Ndlr: Peter Diamandis est un ingénieur et physicien de nationalité gréco-américaine. Passionné d’espace, il a notamment été l’un des fondateurs de Zero Gravity Corp., de Space Adventures Ltd. et de l’International Space University. Mais il est aussi le co-fondateur et le président exécutif de la fameuse Singularity University et de Human Longevity Inc.
La nouvelle version du X Prize promet aujourd’hui 30 millions de dollars à la première société qui réussira à faire aluner un robot. Et cela n’a rien d’un hasard si le sponsor de ce prix est Google, au travers du projet Moonshot.
Extrapolations spatiales
L’ambition est non seulement de s’évader de l’atmosphère terrestre mais, pour certains, de permettre à l’être humain d’essaimer dans l’univers, à commencer par la colonisation de la planète Mars. D’autres encore, tels qu’Asgardia [Ndlr: imaginé par Igor Ashurbeyli un scientifique et homme d’affaires russo-azerbaïdjanais], ont déjà créé une nation spatiale, avec une constitution en bonne et due forme, un parlement et quelques centaines de milliers de personnes inscrites comme citoyens.
“L’alliance entre créativité et mentalité “can do” en vue de créer de nouveaux marchés débouche sur une véritable renaissance des activités spatiales.”
A côté de ce monde des lanceurs et des visions futuristes, il y a également place pour des start-ups qui mettent à profit des technologies spatiales afin de développer des produits et services innovants sur notre bonne vieille terre. Grâce aux tarifs plus abordables proposés par les lanceurs, l’obstacle financier que représente la mise sur orbite de son propre satellite s’est largement estompé. S’y ajoutent la miniaturisation des satellites et des caméras, les nouveaux matériaux composites, l’explosion de l’utilisation de drones pour la production d’images en haute résolution et l’essor de l’intelligence artificielle pour automatiser le traitement des images.
Tous ces paramètres donnent naissance à une “perfect storm” qui crée les conditions favorables pour de nouvelles applications dans toute une série de secteurs, tels que l’agriculture, l’énergie, le tourisme, l’exploitation minière, les activités maritimes, le secteur de la construction, etc.
Toutefois, le moteur qui anime ces sociétés et jeunes pousses NewSpace est l’esprit d’entreprendre. Celui qui allie créativité et mentalité “can do” afin de créer de nouveaux marchés. Cette dynamique collective se ressent partout et débouche sur une véritable renaissance des activités spatiales. Après tout, peu de choses nous font autant rêver que l’exploration spatiale…
De quoi parle-t-on?
Il n’existe pas de définition univoque du concept de NewSpace. Il est toutefois possible de classer grosso modo les sociétés dans les catégories suivantes:
- les concepteurs de fusées et de transporteurs spatiaux
- les concepteurs de satellites
- les prestataires de solutions de connectivité (données, voix)
- les activités d’observation de la terre, de traitement des images, d’analyse du changement climatique et autres activités “geotech”
- les organisateurs de voyages dans l’espace, d’escapades touristiques et de formations spatiales
- l’exploitation minière et l’exploitation des astéroïdes et des planètes
- l’offre de services: activités de marketing, inhumations spatiales etc.
L’Europe
En 2016, on ne dénombrait encore que 6 “scale-ups” NewSpace en Europe, qui avaient assuré leur croissance au moyen de capitaux à risque. Elles étaient à l’époque situées en Espagne, au Royaume-Uni et en Italie.
L’année dernière (2017), leur nombre était déjà passé à 16, venant de 9 pays (Royaume-Uni, Espagne, Allemagne, France, Suisse, Finlande, Danemark, Pays-Bas et Irlande). Ensemble, elles totalisent un capital de 145 millions d’euros. Quasiment une misère comparé aux FinTech et HealthTech.
Une dizaine d’entre elles sont des spin-offs, ce qui montre à quel point les instituts de recherche universitaires continuent de jouer un rôle majeur dans ce secteur DeepTech. Parmi les instituts qui en sont à l’origine, citons notamment la Queen Mary University (Londres), l’University College de Londres, la Politecnico di Milano, le Deutsches Zentrum für Luft-und Raumfahrt, l’université de Limerick (Irlande), celle d’Aalborg (Danemark), l’Ecole Polytechnique et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en France.
Les programmes d’accélération, tels ceux des ESA BIC (Business Incubation Centres) et du Satellite Applications Catapult anglais, ont eux aussi apporté un support utile à ces jeunes sociétés.
En voici une petite sélection.
Les nouvelles stars spatiales
La société espagnole PLD Space, créée en 2011, projette d’effectuer son premier lancement commercial en 2018. En l’occurrence, une fusée Arion 1 de 10 mètres de haut. Son but: mettre sur orbite terrestre des satellites-miniature, aussi appelés CubeSats. L’Arion 1 est ensuite capable de revenir atterrir sur son aire de lancement, en s’aidant d’un parachute. Ce n’est pas un hasard si PLD Space est surnommée la SpaceX de l’Europe. Avec cette différence qu’elle ne dispose que d’un budget d’une dizaine de millions d’euros tandis que SpaceX peut compter sur plusieurs milliards.
Nouvelles générations de satellites
La société néerlandaise Hiber, créée en 2016, lance sa propre flotte de nano-satellites à basse orbite afin de rendre les connexions Internet des Objets possibles en tout point du globe et ce, à un coût raisonnable. Le hic est qu’il n’est possible de télécharger des données (terre-espace) que lorsqu’un satellite passe en surplomb, ce qui ne se produit que plusieurs fois par jour. Mais cela ne pose aucun problème pour nombre d’applications qui n’ont pas besoin de connexion temps réel.
La société finlandaise Cohu Experience est sans conteste la start-up NewSpace la plus originale. Elle a conçu une appli gratuite qui permet à l’utilisateur de suivre une formation d’astronaute en mode virtuel. Tout le monde peut donc devenir spationaute.
Les meilleurs “élèves” ont la possibilité de participer à un véritable bootcamp sous la houlette de formateurs de la NASA. Le grand lauréat aura pour sa part droit à un voyage dans l’espace à destination de la station spatiale ISS où une place lui est d’ores et déjà réservée.
Ce genre d’idée un peu folle n’a pu prendre forme que grâce à une campagne de crowdfunding qui a réuni plus de 3 millions d’euros. Le rêve des deux fondateurs, le fils d’un éleveur de porcs et un réfugié politique, s’est ainsi d’ores et déjà réalisé.
Voici encore quelques noms de scale-ups européennes en plein essor: D-Orbit, Isotropic Systems, Rezatec, Leaf Space, Satlantis, TerraLoupe, GomSpace, ThrustMe, ICEYE, Earthcube, Bird.i et Aerial & Maritime.
La société allemande Mynaric a fait son entrée en Bourse en 2017 tandis que la suissesse Astrocast a obtenu des fonds d’Airbus. La société irlandaise Arralis a pour sa part récolté 50 millions d’euros auprès d’un consortium chinois.
Le paysage spatial belge
La Belgique jouit d’un riche écosystème dans le domaine du spatial, doté d’un important potentiel économique, en particulier si elle parvient à aligner stratégiquement sur la table la totalité des atouts dont elle dispose. Il est important de savoir que la Belgique, en dépit de sa taille modeste, joue clairement un rôle dans la révolution spatiale internationale.
Agoria, la fédération de l’industrie technologique, a constitué un cluster spatial qui regroupe 100 entreprises actives dans le domaine d’aéropatial. Au sein d’Agoria, l’association belge de l’industrie aérospatiale Belgospace, créée en 1962, rassemble la quasi totalité des entreprises aérospatiales belges. Il en va de même, au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale, du cluster Bruspace.
L’année dernière, les autorités belges ont porté sur les fonts baptismaux une agence aérospatiale – l’ISAB (l’agence spatiale interfédérale belge) -, afin de regrouper l’ensemble des moyens fédéraux tels que les programmes de navigation par satellite et de géolocalisation du SPF Mobilité et les services dédiés aux projets spatiaux du Ministère de la Défense.
“La Belgique jouit d’un riche écosystème dans le domaine du spatial, doté d’un important potentiel économique, en particulier si elle parvient à aligner stratégiquement sur la table la totalité des atouts dont elle dispose.”
L’Agence Spatiale Européenne (ESA) dispose, en Belgique, de deux programmes d’incubation baptisés ESA Business Incubation Centres (BIC). L’un, le BIC Flanders, est piloté par Innoteck (Innovatie, Technologie en Kenniscentrum) de Geel, dans le Limbourg. L’autre, le BIC Wallonie de Redu est géré par WSLlux.
Nous avons également une longue tradition de sociétés geotech dans notre pays. Tele Atlas en est l’exemple le plus connu mais de très nombreux acteurs plus petits sont actifs dans ce domaine. Citons Avia GIS, GIM, Celsius Technologies, Orbit GeoSpatial Technologies, ATM-PRO ou encore I-MAGE.
Formations et recherche
Nos centres d’expertise proposent diverses possibilités de formation. La KU Leuven, l’Université de Gand et celle de Liège disposent par exemple d’un Master en sciences spatiales qui procure une formation particulièrement large. Elles n’ont sans doute pas encore atteint le même niveau que l’International Space University de Strasbourg ou que la Faculteit Luchtvaart- en Ruimtevaarttechniek de Delft mais elles n’en remplissent pas moins un rôle majeur.
De nombreuses universités effectuent par ailleurs des recherches liées à l’aérospatial.
C’est ainsi que l’Université d’Anvers a son AUREA (Antwerps Universitair Research centrum voor Evenwicht en Aerospace); l’ULg, le CSL (Centre Spatial de Liège) et le Space Structures & Systems Lab; l’UCL, le Centre for Space Radiation (CSR); l’ULB, le Microgravity Research Centre; l’Ecole Royale Militaire, le Signal & Image Centre; la KU Leuven, le LASA (Leuven Centre for Aero & Space Science, Technology and Applications); l’UNamur, le Center for Technological Support for Aeronautical Industry ; tandis que l’institut Von Karman dispose du très réputé département Aeronautics and Aerospace.
Il faut encore y ajouter des instituts de recherche tels que Cenaero à Charleroi qui se focalise sur les technologies de simulation dans le secteur aérien et spatial. Outre son expertise en composites et mécatronique, le Sirris abrite également une infrastructure de test, unique en son genre, avec notamment la méga-chambre climatique de l’OWI Lab (Offshore Wind Infrastructure Application Lab) à Anvers.
En Flandre, le VITO (Vlaamse Instelling voor Technologisch Onderzoek) dispose pour sa part d’une riche palette de services, d’expertises et d’infrastructures dans le domaine du traitement de l’image et de l’observation de la terre (Remote Sensing) et joue un rôle-clé dans l’écosystème.
En raison du caractère fortement inter-disciplinaire de ce secteur, il est quasi impossible de donner un aperçu complet de tous les acteurs et institutions académiques.
La Wallonie
Une société comme Thales Alenia Space emploie 800 personnes à Charleroi et la Région recèle de très nombreux champions cachés tels que Gillam-FEi, Sonaca, Spacebel, Safran Aero Boosters, AMOS, Deltatec, EHP, Lambda-X et bien d’autres encore.
Centre de l’ESA à Transinne. Source: ESA/C. Lezy
Au-delà de ces valeurs sûres, om compte également des nouveaux venus comme Nolisys (analyse de vibrations). Cela n’a dès lors rien de bien étonnant si l’aérospatial concentre pas mal d’attention au sud du pays. Mieux encore, le centre de gravité de l’aérospatial, dans ce pays, se situe essentiellement en Wallonie.
On y dénombre de nombreux clusters et organismes d’accompagnement. Le Pôle de Compétitivité Skywin est dédié au secteur de l’aviation et de l’espace. Ce cluster rassemble à la fois des acteurs de la recherche, de la formation et des entreprises. S’y ajoutent Wallonie Espace et WSL FabSpace 2.0 qui organise notamment un Bootcamp spatial.
“L’aérospatial concentre pas mal d’attention au sud du pays. Le centre de gravité de l’aérospatial, dans ce pays, se situe essentiellement en Wallonie.”
Toujours à Liège, le hackathon Startup Weekend a eu son “édition spatiale”. On dénombre également plusieurs centres de formation: Euro Space Center (Transinne), Technifutur (Seraing) et Wallonie Aerotraining Network (Gosselies). La jeunesse, elle, peut trouver son inspiration à l’Euro Space Center.
Le célèbre “Village du livre”, Redu, est également la terre d’accueil de la station de communications de l’ESA, où plusieurs antennes satellite et salles de contrôle assurent la surveillance des satellites européens.
La Flandre
En Flandre, le projet spatial VARIO [Ndlr: du nom du Vlaamse Adviesraad voor Innoveren en Ondernemen] ambitionne de baliser la vision stratégique à long terme de la recherche (aéro-)spatiale de la Région.
La Vlaamse ruimtevaartindustrie (VRI) est une asbl qui regroupe les entreprises et des instituts de recherche et d’enseignement flamands actifs dans le domaine spatial. Elle compte une trentaine de membres.
Une nouvelle initiative, baptisée BlueSpace, a par ailleurs vu le jour. Il s’agit d’un consortium qui se propose de procurer expertise et coaching à des entrepreneurs désireux d’innover à l’aide de technologies spatiales. BlueSpace est une collaboration entre le VITO, l’Imec et Verhaert et dispose de son propre programme d’incubation. Par ailleurs, le consortium organise également la Space4Earth Innovation Week.
Dans un registre plus modeste, des personnes se réunissent autour du thème de l’espace. C’est ainsi que Gand dispose, avec beSPACE, d’une communauté de passionnés d’espace.
A l’échelon industriel, la Flandre compte quelques acteurs solides, tels que Verhaert, QinetiQ Space, Newtec, Space Applications Service, Antwerp Space… Autant de noms qui résonnent dans les milieux spatiaux européens et internationaux.
L’histoire d’Antwerp Space remonte même à 1962, année de ses débuts sous la forme d’un département de Bell Telephone.
Une start-up flamande, baptisée SpaceBooth et aujourd’hui disparue du paysage, avait imaginé des selfies… pris de l’espace.
Dans la catégorie nouveaux venus, citons par exemple Merkator (GeoTech), Rockestate (GeoTech), Usense (GeoTech) et Septentrio (agriculture de précision).
Spacebooth, qui a aujourd’hui disparu, avait eu l’idée pourtant très originale du “space selfie”. Autrement dit la possibilité de prendre un selfie, à l’aide d’un pico-satellite, avec la terre, la lune ou les étoiles comme arrière-plan vivant. Une idée qui, en tout cas, était un rien plus high tech qu’Instagram – et au moins aussi “cool”.
La crème de la crème
Les talents spatiaux belges s’exportent aussi à l’étranger. C’est ainsi que Julien De Wit a développé, au MIT, de nouvelles techniques permettant d’identifiants des planètes potentiellement habitables (relire notre article Julien de Wit (ULg, MIT): “Innovateur de l’Année”, data scientist et découvreur d’étoiles qui lui est consacré).
Angelo Vermeulen a participé à la simulation de mission marsienne de la NASA. Il effectue aujourd’hui des recherches à Delft, destinées à développer le vaisseau spatial de demain. Clement Hiel, professeur à la VUB, est un ancien ingénieur de la NASA et Sandy Turtey est directrice de lancement chez Rocket Lab, en Nouvelle-Zélande. Thomas Lambot a développé, pour la NASA, une fusée fonctionnant à l’énergie micro-ondes.
On pourrait encore citer Frederik De Wilde, artiste-scientifique, qui a travaillé avec la NASA pour rendre le noir plus noir.
L’avenir, c’est déjà aujourd’hui
Avec autant d’acteurs de premier plan dans l’écosystème spatial, notre pays dispose de tous les atouts nécessaires pour propulser l’économie spatiale vers de nouveaux sommets.
Continuer à valoriser la recherche, faire collaborer grandes entreprises et start-ups NewSpace, canaliser les ressources vers les talents, attirer les investisseurs pour passer à l’échelle supérieure, sont autant d’éléments potentiels d’une stratégie à suivre.
Le spatial parle à l’imagination et peut inspirer les jeunes, les pousser à choisir une filière STEM. Pouvoir inscrire expert en spatial sur son CV ne peut que mener, demain, à un emploi.
Le spatial est certes une “niche” mais une niche qui porte en elle une énorme puissance d’innovation et qui peut servir de pierre angulaire dans une économie de la connaissance telle que la nôtre. Tous les ingrédients sont largement présents dans ce pays pour mijoter et réussir la recette d’une économie spatiale fructueuse. Après tout, mijoter n’est-il pas l’une des aptitudes naturelles des Bourguignons que nous sommes?
Omar Mohout
analyste en entrepreneuriat et croissance
Sirris
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