Jérôme Wertz (Phasya): “l’innovation appartient à tout le monde”

Portrait
Par · 11/05/2015


Premier portrait dans notre mini-série sur les lauréats du concours ““Innovators under 35” organisé par le MIT Technology Review.


 

Jérôme Wertz est le premier des 4 lauréats francophones du concours “Innovators under 35”, organisé par le MIT Technology Review, dont nous aurons l’occasion de vous dresser le portrait cette semaine.Tous les quatre ont un lien direct avec l’IT et le numérique –

Originaire de Theux, Jérôme Wertz est à une encablure de la trentaine. Il est aujourd’hui le directeur d’une spin-off de l’ULg, créée en décembre dernier (2014). Phasya a été constituée dans l’intention de commercialiser les résultats d’un projet de recherche mené à partir de 2007 par une équipe du professeur Jacques Verly de l’ULg (département Electricité, Electronique et Informatique de l’Institut Montefiore) et ses étudiants. Le thème: la détection de la somnolence. Nom de code du projet: Iglesias.

La solution, qui combine dispositif électro-optique et logiciel, applique des techniques d’analyse d’images et de paramètres oculaires afin de détecter et de surveiller la somnolence. Finalité: la sécurité dans une multitude potentielle de domaines: conduite automobile, pilotage de véhicules et engins, chaînes de production industrielle, environnements sensibles… (voir plus de détails dans cet article)

L’appel de l’entreprise

Ingénieur industriel diplômé de l’Institut supérieur industriel Gramme (Liège), Jérôme Wertz a rencontré le professeur Jacques Verly alors qu’il travaillait sur son travail de fin d’études à l’Institut Gramme. Si le premier projet sur lequel il sera amené à travailler n’est autre que le développement du satellite Oufti-1, il rejoint l’équipe du projet Iglesias en 2009 avant de prendre la direction de l’équipe de recherche dès 2010.

Il suit alors une formation en gestion à la Solvay Brussels School, à la HEC Liège et à la Louvain School of Management “afin d’acquérir des connaissances et les bases nécessaires, sur les divers aspects de la gestion d’une entreprise”.

Alors, chercheur ou entrepreneur dans l’âme? “Dès la fin de mes études, à l’Institut Gramme, j’avais l’intention de monter une entreprise. J’ai toujours eu cette envie. Le projet du professeur Verly a tout simplement été une belle opportunité.”

Quels ont été quelques-uns des moments-clé dans le parcours personnel de Jérôme Wertz ou dans le cheminement du projet Phasya?

“Mes études à l’Institut Gramme ont joué un rôle important. J’y ai développé mon sens de l’ingénierie pragmatique et j’y ai rencontré des gens exceptionnels. C’est durant cette période, j’ai commencé à prendre confiance en moi et que m’est venu le goût d’entreprendre. La rencontre avec le professeur Jacques Verly fut un autre moment-clé. Tout comme la rencontre avec l’équipe qui compose aujourd’hui Phasya.” Sans oublier, bien entendu, le fait d’obtenir des subventions régionales, d’une part pour le projet de recherche proprement dit et, de l’autre, pour accompagner le lancement de la jeune pousse (programme First Spin-off).

Jamais sans mon équipe

Mais comment passe-t-on d’un projet de recherche au lancement d’une société? Quels sont aux yeux de Jérôme Wertz les conditions de succès?

“La première clé est l’équipe, le fait de travailler avec les bonnes personnes et les bons partenaires. On y est arrivé grâce à l’équipe (voir notre petit encadré ci-contre/ci-dessous). Je tiens ici à souligner également le rôle qu’ont joué le WSL [incubateur liégeois des sciences de l’ingénieur] et l’Interface Entreprises-Université de l’ULg, qui nous ont apporté expertises et soutien.”

L’équipe de Phasya se compose aujourd’hui de 4 personnes.
Outre Jérôme Wertz, 3 autres profils scientifiques – moyenne d’âge: moins de 30 ans – sont montés à bord: une ingénieure biomédicale, un ingénieur informaticien (orientation logiciels), un gradué en informatique.
Sans oublier le professeur Jacques Verly, co-fondateur de Phasya, qui demeure impliqué et siège au conseil d’administration.

De g. à dr. en partant du haut: Thomas Hoyoux, Clémentine François, Jérôme Wertz, le prof. Jacques Verly et Thomas Langohr.

Il y a par ailleurs quelques autres petits conseils que Jérôme Wertz tient à faire passer.

Notamment le fait que le succès, selon lui, tient aussi à l’attitude.

“Il faut sortir de son laboratoire. Lire des revues et articles scientifiques, participer à des conférences scientifiques, ne suffit pas. Ce n’est pas ainsi que l’on comprend ce qui se passe à l’extérieur. Il faut aller à la rencontre des gens le plus tôt possible dans le processus de lancement d’un projet. Il faut aussi avoir du culot et des rêves, croire dans son projet, tenter le tout pour le tout, ne pas baisser les bras. Autant il faut être persévérant en termes de développement de la technologie, autant on est dans un processus d’apprentissage en matière de business. Là aussi, il faut être persévérant car ce n’est ni immédiat ni forcément facile.”

En parlant de “rêves”, quels sont les siens, ses attentes par rapport à Phasya et à son potentiel d’innovation?

“Que cette technologie soit intégrée partout où la détection de la somnolence est un enjeu pour la sécurité. Pas uniquement dans le voitures, donc, mais aussi pour la conduite de trains, d’avions, dans le cadre de zones Seveso où un opérateur doit regarder des écrans à longueur de nuits… Mon rêve est que notre logiciel soit intégré dans tout type d’application et, dès lors, permette aux gens de mieux vivre et travailler de manière plus sûre.”

Jérôme Wertz: “La première clé de succès est l’équipe, le fait de travailler avec les bonnes personnes et les bons partenaires.”

Il évite par contre d’utiliser des termes que l’on rencontre typiquement dans la bouche de starters américains. Révolutionner le monde, la vie de chacun? C’est, à ses yeux, un mot trop fort. “Mais plutôt faire évoluer les choses pour améliorer la vie des gens.”

Les ambitions n’ont que faire de la taille d’un pays

Pas question de se laisser engluer dans le sentiment si typique qu’en tant que “petit Belge”, dans un petit coin de petit labo, quelque part dans un petit pays, on n’a guère de chances de percer. “Si on pense comme cela, c’est abdiquer tout rêve. Dans le monde, on a tous le même cerveau. L’innovation appartient à tout le monde. Qu’on soit ingénieur ou une personne sans diplôme, on a tous des idées. Le plus important est de persévérer. Travailler, travailler, travailler. Se montrer, sortir de son labo. Si on pense qu’on n’est qu’un petit chercheur, que personne ne nous situe sur la carte, on reste en effet dans son labo… Au contraire, on a une carte à jouer et il faut la jouer à fond.”

“Se montrer” implique aussi de penser d’emblée à l’international. “Si on n’a pas d’ambition internationale dès le départ, autant ne pas se lancer.”

Jérôme Wertz (Phasya): “Il faut aussi avoir du culot et des rêves,, tenter le tout pour le tout, ne pas baisser les bras. Le business est un long apprentissage, pas forcément facile.”

Voilà pourquoi Jérôme Wertz embarque, cette semaine, à destination de la Californie à l’occasion de la mission organisée par l’Awex et l’antenne belge du réseau d’entrepreneurs TiE (The Indus Entrepreneurs). Phasya figure d’ailleurs, cette année, dans le Top 50 mondial des “start-ups technologiques les plus prometteuses au monde”, un classement annuel effectué par le réseau d’entrepreneurs TiE. Relire notre article. 

“La participation à la conférence TiECon et à l’événement “Innovators under 35”, organisé par le MIT Technology Review, sont des moyens pour nous de gagner en visibilité et en crédibilité. Il ne faut négliger aucune piste, en ce compris ce genre de concours…”

Exploration de l’international

Cette semaine, Jérôme Wertz participe donc à la conférence TiECon et à la visite de plusieurs sociétés de la Silicon Valley – visites organisées par l’AdN.

Ce sera son premier contact direct avec le marché américain, l’occasion pour lui de se faire connaître aux Etats-Unis, tant auprès de clients que d’investisseurs potentiels, mais aussi et surtout de découvrir “comment les choses se passent là-bas, de découvrir la mentalité locale, la manière dont on y fait du business.”

Pas question dans l’immédiat d’ouvrir une antenne aux Etats-Unis mais le fait est néanmoins, souligne Jérôme Wertz, que “dès l’instant où on veut se développer à l’international, beaucoup de choses se font aux Etats-Unis et dans la région de San Francisco. Si nous constatons qu’une antenne est indispensable, que ce soit pour se développer ou pour répondre aux besoins ou attentes d’un client, nous ferons le nécessaire. A coup sûr, nous aurons une antenne aux Etats-Unis mais l’agenda n’a pas encore décidé…”

Intéresser d’autres sociétés à la technologie développée à l’ULg et commercialisée par Phasya…

De manière plus concrète, cette expédition en Californie a aussi pour but de rencontrer des sociétés pouvant éventuellement intégrer la technologie de Phasya dans leurs propres produits et concepts. De ce point de vue, plusieurs sociétés identifiées par l’AdN pour son ICT Guided Tour ont retenu l’attention de Phasya. Notamment la société Skully qui a mis au point l’AR-1, un casque de moto doté d’une caméra (pour rétrovision) et d’un écran HUD (head-up display) transparent, de quoi ouvrir la voie à la réalité augmentée pour les bikers (affichage d’itinéraires et de cartes, visualisation 360°, paramètres de conduite…).

“C’est clairement le type de société qui pourrait être intéressée par notre technologie et notre expertise.”

Outre les visites planifiées par l’AdN, Jérôme Wertz a également pris personnellement contact avec d’autres sociétés locales. “La mission de l’Awex nous permet à tout le moins d’ouvrir des portes qui, plus tard, pourront déboucher sur des rencontres.”

Autre objectif: nouer des contacts avec des investisseurs américains. “Nous sommes déjà en contact avec des investisseurs belges potentiels mais le but en participant à cette mission TiECon est d’en rencontrer d’autres, ayant d’autres modes de fonctionnement. Il s’agira de premiers contacts en vue d’une possible future levée de fonds.”