En début d’année, le gouvernement wallon sélectionnait vingt projets IIS (“Initiatives d’Innovation Stratégiques”). Des “initiatives” visant à structurer et renforcer le maillage et les objectifs industriels d’écosystèmes existants et s’inscrivant dans le cadre des priorités de “spécialisation intelligente” définies par la Wallonie (voir une remise en contexte en encadré, en fin d’article).
Trois de ces vingts projets IIS ont reçu le feu vert pour prendre forme concrètement. 17 autres dossiers devront repasser en second sess’ (ou quasi), certains éléments, parfois essentiels, n’ayant pas obtenu satisfaction aux yeux des sélectionneurs régionaux. Soit que le contenu ne soit pas (encore) jugé suffisamment étoffé, dans le contexte de la stratégie de spécialisation thématique de la Recherche et Innovation et de la politique industrielle de la Région (2021-2027), soit que les arguments aient été insuffisamment documentés.
Les “corrections et précisions” devront être apportées avant le 15 juillet. Un comité de gouvernance (où siégeront notamment des représentants du SPW EER et des Pôles de compétitivité) se penchera par ailleurs sur les mécanismes d’implémentation concrète des IIS et formulera des consignes d’opérationalisation (cette dernière devant intervenir au plus tôt à l’automne).
Certains de ces projets IIS qui doivent encore obtenir un feu vert seront-ils finalement recalés? L’hypothèse n’en est pas totalement exclue…
“Bon pour le service”
Qu’on ne s’y trompe pas, cette sélection (ou pré-sélection) de 20 “initiatives” stratégiques n’implique pas que la Région libère des budgets, des ressources et des budgets régionaux pour lesdits projets ou programmes.
La publication des 20 initiatives (pré-)approuvées n’est qu’une confirmation, par les autorités régionales, qu’elles sont considérées comme correspondant aux priorités technologiques et industrielles qu’elle veut se donner.
A ce titre, les thématiques et actions concernées sont considérées comme mettant sur la table des arguments suffisants pour espérer être acceptées et aidées financièrement… dans le cadre de projets dépassant les pistes de financement habituelles venant de la Région. A commencer par les projets Feder, voire des projets pouvant bénéficier de fonds de relance européens.
C’est d’ailleurs là aussi une exigence de l’Europe: que les projets, les consortiums qui les portent et les écosystèmes, nationaux ou régionaux, qui les sous-tendent démontrent plus clairement leur impact potentiel en termes de développement et de maturation des économies locales.
L’intention serait de mieux allouer les moyens financiers, avec une manne Feder qui se réduit d’année en année. A telle enseigne que certains estiment que postuler à un projet Feder sans avoir reçu le “cachet” IIS serait courir (davantage) à l’échec… “Les Initiatives d’Innovation Stratégiques”, indique-t-on par exemple du côté de Multitel et du projet TrAIL, “prouvent le vrai potentiel d’un écosystème et d’un impact économique.”
Une sélection d’initiatives thématiques stratégiques, portées par des consortiums d’acteurs locaux, validées par le gouvernement wallon. Comme des porte-drapeaux ayant davantage de chances de retenir l’attention lors de programmes européens ou pour attirer des investissements tiers.
Face à cette réalité, comme on le verra par exemple avec les deux initiatives (HITT et TrAIL4Wallonia) sur lesquelles nous nous arrêtons plus spécifiquement – tout d’abord dans le cadre de cet article et dans un second temps pour ce qui est de HITT), il s’agira aussi pour les consortiums qui portent les différentes initiatives IIS, de trouver d’éventuels financements supplémentaires, notamment du côté privé. En parallèle à des projets concrets, plus spécifiques, insérés dans leur futur agenda, qui eux pourraient éventuellement bénéficier d’un support financier purement wallon – dans le cadre, par exemple, du programme Get Up Wallonia (le scénario de ce dernier ayant dû être retravaillé à plusieurs reprises.
Les projets IIS à connotation numérique
>> Dans le secteur de la santé
ReMedIA – Objectifs : réduction des coûts des soins de santé grâce à l’intelligence artificielle (amélioration des diagnostics, intégration des données patient, aide aux soins), amélioration de la prévention via le dépistage et la médecine personnalisée (traitement et analyse des données biologiques et contextuelles du patient via IA)
I-Care – Objectifs : accélérer la recherche, le développement et la valorisation de nouvelles solutions pour le diagnostic, la prévention et le traitement des maladies inflammatoires et infectieuses ; faire de la Région wallonne “l’un des hubs internationaux d’excellence et d’innovation en immunologie fondamentale et appliquée”
CIM Wallonia – Objectifs : augmenter la création d’entreprises, la croissance des PME existantes en matière de technologies médicales, créer “un écosystème dynamique et structuré depuis la genèse jusqu’à la commercialisation en passant par l’industrialisation en Wallonie de produits et services issus des technologies médicales med techs”
>> Dans le secteur de la “conception et production” (agile et sûre)
HITT – Objectifs : regrouper les acteurs-clé de la recherche et de l’innovation centrée sur les expériences immersives et interactives ; générer un effet de levier en systématisant et accélérant le transfert de ces technologies vers les secteurs d’application visés par les Domaines d’Innovation Stratégiques IIS).
TRAIL4Wallonia – Objectifs : fédérer l’ensemble de l’écosystème wallon en Intelligence artificielle (R&D, formation, entreprises) “pour saisir les opportunités d’aujourd’hui et de demain” ; atteindre l’excellence en IA via cette structuration plus forte de l’écosystème local
CyberWall – Objectifs : “mettre la Wallonie en pôle position dans le domaine de la cybersécurité” via la promotion de la recherche, de l’innovation et de la formation en cybersécurité ; assurer une coordination forte entre ces matières afin de développer des synergies.
TrAIL4Wallonia: un écosystème IA à étoffer
L’“initiative” TrAIL4Wallonia, comme son intitulé le laisse supposer, vient se greffer étroitement sur le programme TrAIL (Trusted AI Labs) et la campagne DigitalWallonia4AI. Elle vise en effet à “fédérer l’ensemble de l’écosystème IA wallon (R&D, formation, entreprises) afin de saisir les opportunités d’aujourd’hui et de demain”.
C’est vaste et cela mérite un zeste de précision…
Jusqu’ici le projet ARIAC (Applications et Recherche pour une IA de confiance), porté par les membres fondateurs du TrAIL – à savoir, cinq universités et quatre centres de recherche wallons (ou francophones -, impliquait uniquement une dimension et des acteurs recherche. Avec toutefois un volet formation et compétences auquel étaient potentiellement attachés les centres de compétences. Une dimension transfert de technologies vers l’industrie avait été théorisée mais nécessitait une articulation plus forte.
Avec TrAIL4Wallonia, l’objectif est de tisser des liens, une synergie et une collaboration avec d’autres acteurs. A commencer – et de manière plus concrète – avec les centres de compétences (réseau Numeria), le Pôle de compétitivité Mecatech, et les grandes entreprises. “Nous voulons favoriser une logique commune, davantage de cohérence dans les actions”, déclare Benoît Macq, professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain et l’un des pilotes du TrAIL. “Le but est de donner un coup d’accélération au support apporté aux entreprises, de renforcer le champ d’intervention et de s’attaquer à d’autres défis [lisez: domaines d’application et besoins de terrain] qui ne sont pas couverts par le projet ARIAC.”
Benoît Macq (UCLouvain, TrAIL): “Il faut mieux aligner les projets de recherche avec les besoins réels des entreprises. Plus que jamais, il s’agit aussi d’éviter la dispersion et la redondance de projets.”
En cela, on retrouve une volonté de couvrir plus largement les domaines d’“innovation stratégiques” identifiés dans le cadre de la stratégie S3/DIS wallonne. A savoir, la santé, les modes de production, l’énergie, l’habitat durable, la chaîne agroalimentaire…
“Dans le cadre du TrAIL, les grands défis auxquels nous avions déjà décidé de nous attaqués n’incluaient par exemple pas la gestion de la chaîne alimentaire” ou la circularité…
Côté “support accéléré aux entreprises”, l’un des objectifs de l’initiative TrAIL4Wallonia sera de procurer des formations – tant pour les entreprises en tant que telles (niveau décideurs et dirigeants) que pour leurs employés, les personnes actives au sens large (indépendants…), sans oublier les “apprenants”, qu’il s’agisse d’étudiants ou de personnes en reconversion professionnelle.
Au-delà du pré carré
Autre axe d’activité: renforcer, professionnaliser les échanges et transferts recherche-entreprise. “Il s’agit de mieux se coordonner afin de faire progresser les acteurs de terrain sur l’échelle de compétences TRL (technical readiness level).”
Il s’agira aussi de mieux aligner les projets de recherche avec les besoins réels des entreprises.
L’un des leviers pourrait en être des projets collaboratifs, avec labellisation “pour être sûr que les projets s’appuient sur une réelle valeur apportée par l’IA et pour être en concordance avec les thématiques DIS [de la Région]. Plus que jamais, il s’agit aussi d’éviter la dispersion et la redondance de projets.”
Benoît Macq: “C’est vrai que la Wallonie fait encore figure de lilliputien au regard des ambitions et des moyens que d’autres pays ou régions allouent à l’IA… Le programme ARIAC, c’est 32 millions sur six ans. La Flandre, c’est 20 millions par an. Dans d’autres pays, c’est 20 fois le budget wallon…
Mais 10% des chercheurs que compte la Wallonie se concentrent sur l’IA. C’est une vraie communauté, aux compétences de niveau international. Il y a là un véritable substrat…”
Benoît Macq juge en outre nécessaire de renforcer les actions côté entreprises. Les dispositifs existants (Start IA, Tremplin IA…), c’est bien mais insuffisant. “On parle certes de proof of concept réalisés en quelques mois mais avec un budget limité. Or, il y a matière à aller plus loin pour avoir davantage d’impact”. Non seulement en termes économiques, à l’échelon purement local, mais aussi dans une perspective à l’échelon européen. “Il faut percer à l’échelon européen en étant plus présent dans les projets de recherche transnationaux, potentiellement via un réseau d’excellence avec d’autres, sur des thèmes tels que l’IA en santé, via des collaborations avec les centres d’excellences allemand, français…”
La recherche de cohérence de la part de TrAIL4Walloniadevra également se faire au-delà du champ de l’IA. L’extension de l’applicabilité à d’autres domaines d’application croisera par exemple le chemin d’une autre thématique: la (cyber-)sécurité. “Il faut se parler entre IIS [Initiatives d’Innovation Stratégiques]. Entre TrAIL4Wallonia et CyberWall, il faut une communication la plus harmonieuse possible, imaginer et travailler sur des sujets de recherche communs.
Des ponts sont également imaginés vers le monde de la santé, via notamment l’IIS HITT (technologies immersives) sur laquelle nous reviendrons plus largement prochainement.
Comment financer les initiatives
Le but premier, nous vous l’expliquions en début d’article, étant de donner aux actions des IIS et aux futurs projets qu’elles porteront le “sceau de pertinence” de la Région, afin d’en justifier la thématique et d’en garantir un meilleur degré d’impact économique, reste à financer les actions. Il y aura certes des moyens wallons mais l’intention est surtout de faire décrocher des budgets transnationaux (projets Feder notamment).
Bien entendu, un financement public ne saurait être le seul socle sur lequel se reposer. Dès lors, au vu aussi de la diminution des fonds Feder, dans quelle mesure l’IIS Trail4Wallonia recherchera-t-elle éventuellement des financements privés? La perspective n’en est pas écartée. “A condition que ces entreprises ou prestataires de services soient établis en Wallonie et produisent un impact en Wallonie.” Et Benoît Macq d’ajouter: “dans le monde de l’IA notamment, la stratégie de l’Europe est celle d’une souveraineté européenne, d’un arrêt à la suprématie de majors venus d’ailleurs. Toute recherche en IA ne peut dès lors pas bénéficier à de grandes entreprises non européennes.”
Stratégie S3, thématiques DIS et programmes IIS
Dans le cadre de sa stratégie S3 (smart specialisation strategy), la Wallonie a défini cinq domaines d’innovation stratégiques (DIS) sur lesquels miser plus spécifiquement son avenir économique, industriel et technologique. A savoir:
– innovations pour une santé renforcée
– modes de conception et de production agiles et sûrs
– systèmes énergétiques et habitats durables
– matériaux circulaires
– chaînes agro-alimentaires du futur et gestion innovante de l’environnement.
Les dossiers de candidatures d’Initiatives d’Innovation Stratégiques (IIS) devaient satisfaire à une série de critères: “mobilisation du potentiel d’innovation régional pour le développement de solutions innovantes répondant aux problèmes sociétaux d’aujourd’hui et de demain ; perspective de constitution de masses critiques et de structuration plus poussée des écosystèmes existants ; potentiel de développement de collaborations croisées ; consolidation des chaînes de valeur industrielles ; aide à la transition ; création potentielle d’entreprises nouvelles et d’emplois de demain.” [ Retour au texte ]
=>> A paraître prochainement, la seconde partie de cet article consacré aux “Initiatives d’Innovation Stratégiques”. Avec un coup de projecteur sur l’initiative HITT Human Interaction and Technology Transfer), centrée sur l’exploitation de technologies immersives (AR, VR, XR…) et participatives.
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