La mue continue du côté de l’asbl qui était née sous le nom de Fostering Ideas et qui fut à l’origine de l’accélérateur NestUp. Voici près de deux ans, inscrite totalement, intimement, dans la trame du programme Creative Wallonia lancé par la Région lorsque Jean-Claude Marcourt détenait le maroquin Economie/Numérique, l’asbl s’était vue transformée en asbl publique, muée en filiale de l’AEI (Agence pour l’Entreprise et l’Innovation).
Pour marquer cette étape, elle se rebaptisait d’ailleurs Creative Wallonia Engine. Puis… vint le changement de majorité au gouvernement wallon et un nouveau tournant. Plus question pour le nouveau ministre de l’Economie et du Numérique, Pierre-Yves Jeholet, de considérer cet acteur comme l’un des leviers adoubés de l’action du gouvernement. Une analyse du dossier, du cadre d’activités, du mode et des dépenses de fonctionnement, l’amenaient à couper les vivres – en tout cas structurelles. L’AEI ayant été rayée de la carte, et le programme Creative Wallonia remis sérieusement en question, restait à l’équipe Creative Wallonia Engine à revoir sa copie et à se trouver un nouveau modèle opérationnel pour poursuivre ses activités.
Redéfinir le cadre
“Engine, en tant que tel, c’est-à-dire comme acteur agissant pour le déploiement économique de jeunes pousses mais aussi de PME, comme vecteur de captation de nouvelles méthodologies et façons d’innover, n’est pas remis en question par le gouvernement”, affirme David Valentiny, CEO d’Engine. “Mais ce ne sera plus sous la forme d’une agence structurellement liée au gouvernement.”
Lorsque Fostering Ideas était devenue Creative Wallonia Engine, sous forme de filiale de l’AEI, le champ de mission qui lui avait été confié était large. “Notre champ d’action est l’économie créative”, déclarait à cette époque le même David Valentiny. “L’économie créative vise à autoriser une nouvelle phase de croissance de la société, à susciter de la création de valeur au carrefour des sciences, des technologies, du monde des affaires, de l’environnement et de la culture.” Les publics visés étaient donc plutôt variés. Autant que les activités menées: Semaine de la Créativité, (co-)organisation de hackathons, participation au KIKK Festival de Namur, intervention dans le monde de l’enseignement (notamment au niveau des School Labs des Hautes Ecoles à vocation pédagogique, envoi de “makers” dans les écoles qualifiantes pour inclusion de nouvelles techniques d’innovation dans le cursus…), (pré-)accélération de projets (Nest’In, Nest’Up, growth hacking),
accompagnement de start-ups et de PME dans la transformation de leur “modèle d’innovation”…
Aujourd’hui, cette vision “programmatique”, transversale, a été sanctionnée, rabotée par le nouveau gouvernement. Plus question d’être une agence intimement liée à l’action du gouvernement.
En termes de moyens de fonctionnement, cela signifie que l’équipe s’est vue privée des moyens structurels et réguliers de la Région. Toute aide venant du gouvernement se fera donc projet par projet, qu’il faudra présenter et défendre comme tous les autres acteurs espérant une aide publique.
Petit rappel. Fostering Ideas avait décroché trois enveloppes: 3,225 millions pour les activités d’accélération de start-ups (NestUp, Startup Camps) ; 1,3 million pour de l’accélération de croissance (“growth hacking”) au profit de start-ups et de “PME en croissance” ; et 1,5 million pour un “living lab” créateur de méthodologies de croissance et d’innovation. Relire notre article où la distribution des fonds Feder 2015-2020 était détaillée.
Restent heureusement pour Engine la cagnotte des fonds Feder, décrochée pour la programmation 2015-2020. Et l’asbl, qui s’appelait encore Fostering Ideas à l’époque, avait plutôt été gâtée lors de l’attribution de ces fonds (voir encadré ci-contre)…
Sans ces fonds Feder, (Creative Wallonia) Engine aurait tout simplement dû mettre la clé sous la porte puisqu’ils représentent quelque 65% de ses moyens d’action.
Cela signifie donc aussi qu’Engine a dû “réduire la voilure”, concentrer l’équipe (7 personnes désormais), diminuer l’ampleur et la forme de ses activités. “Nous ne nous inscrivons plus dans une vision programmatique aussi large que par le passé, lorsque nous nous étions positionnés comme moteur d’innovation et d’appropriation de nouvelles manières d’innover en ce compris potentiellement pour le monde de l’éducation ou la société dans son ensemble.
Nous nous reconcentrons vers l’accompagnement au déploiement économique”, explique David Valentiny.
Qui dit vouloir ouvrir un nouveau chapitre: “La multitude d’initiatives qu’a fait naître le programme Creative Wallonia (centres de coworking, programmes d’accélération de start-ups, fab labs…) ont contribué à générer une envie d’entrepreneuriat en Wallonie, d’innovation. Reste à faire la deuxième partie du chemin, à passer d’une mentalité d’entrepreneuriat, avec sa dimension simplement ‘sexy’, à une région où l’on rencontre des projets réellement ambitieux, avec création d’emplois, conquête de l’international. Il faut passer à l’étape de l’effet structurant.”
David Valentiny (Engine): “Nous nous définissons comme un innovation methods provider”.
L’asbl se recentre donc vers les start-ups en quête de croissance mais aussi – c’est l’ambition – vers l’“accélération” des PME et la “réinvention” de plus gros acteurs économiques wallons (la Sonaca a, par exemple, tiré parti de l’accompagnement de l’asbl pour son Sonaca 200).
David Valentiny (Engine): “Nous nous considérons comme complémentaires par exemple de programmes tels qu’Industrie 4.0 ou de ce que fait Agoria en la matière…”
De manière plus fondamentale, le changement de statut impose à Engine de trouver de nouvelles pistes pour assurer sa pérennité ou tout simplement son autonomie. Obligation donc de se trouver de nouvelles sources de financement et de revenus. Mais avec la volonté de rester une asbl.
“Nous ne deviendrons pas une structure commerciale. Notre mission reste publique. Mais nous cherchons à différencier les revenus comme l’a demandé le ministre [Pierre-Yves Jeholet]. Nous travaillons actuellement à plusieurs scénarios, à de possibles rapprochements avec d’autres structures. Nous pouvons opérer comme centre de ressources pour d’autres acteurs ou programmes.”
Parmi eux, potentiellement les actions Industrie 4.0 de la Région ou des projets de réindustrialisation (thématique ou non) de certaines régions.
Autre piste possible: “intervenir dans le cadre des projets de réinvention industrielle, des projets décloisonnés portés par les Pôles de Compétitivité, afin d’aider à mettre en oeuvre une nouvelle culture et des processus d’innovation.” Et cela, en s’inscrivant dans la ligne des priorités stratégiques définies (ou encore à définir) par le gouvernement.
“Nous sommes prêts à adapter nos programmes, en nous appuyant et construisant sur les outils méthodologiques qui ont été imaginés et qui sont malléables. A cogérer éventuellement avec d’autres structures”, affirme David Valentiny.
Trois fers au feu
Les activités d’Engine s’orientent donc dans trois directions: l’accompagnement de start-ups en phase de croissance (scale-up), la transformation des processus d’innovation et de bonnes pratiques des PME, et la “conversion et réinvention” d’acteurs industriels.
Selon quelles proportions? “En termes de volumes d’actions, ce sera un tiers pour les scale-ups et deux-tiers pour l’industrie, au sens large.” Même si, pour l’instant et dans les faits, le gros des activités est malgré tout orienté vers les start-ups: programme Reaktor, MVP Labs…
Mais David Valentiny est réaliste: “Si nous mettions deux-tiers de nos moyens sur l’axe scale-up, ce serait du sur-dimensionnement parce que le deal flow [le nombre de candidates éligibles] n’est pas suffisant.”
Reste à faire réellement décoller les activités “réinvention” industrielle (PME et grands acteurs). Pour cela, il s’agira de convaincre non seulement les cibles finales mais aussi les autres acteurs à l’oeuvre dans ces registres. Et l’on pense notamment au programme Industrie 4.0, au rôle alloué à l’AdN, à celui que joue Agoria, aux activités des Pôles de Compétitivité… “Le dialogue est engagé avec divers acteurs”, indique David Valentiny.
Faire ses preuves
Même s’il n’est plus une agence inféodée à l’AEI et liée aux actions publiques régionales, Engine devra justifier son existence (ou une partie de ses activités) aux yeux du gouvernement. Comment prouver l’efficacité de son action? Difficile lorsque cela est aussi intangible que la transformation des processus d’innovation ou d’appropriation numérique. D’autant plus que d’autres acteurs y contribuent et qu’il est impossible de “tracer” l’effet de chacun.
Les KPI, les métriques d’efficacité devront être définies, précisées. Et ce, au-delà des seuls indicateurs qui sont appliqués pour mesurer l’utilisation des fonds Feder. En la matière, les critères d’évaluation sont notamment le nombre d’emplois créés, le nombre de structures accompagnées ou qui se sont créées suite aux activités… “Pour la période 2015-2020, l’engagement que nous avons pris est d’atteindre la centaine de projets innovants – qu’ils s’agisse de start-ups ou de PME”, précise David Valentiny.
Compte tenu du changement de statut, de sources de financement et d’activités de l’asbl, celle-ci inclut dans son décompte le fruit de ses activités au travers de deux Startup Camps organisés en 2015, du dernier NestUp organisé à Charleroi, du programme Reaktor (8 sociétés jusqu’ici – voir ci-dessous) et des activités “PME Camp” (10 PME au compteur à ce jour).
Premier Reaktor bouclé
“Reaktor” est le nom d’un programme d’accélération destiné à accompagner des start-ups à se préparer à une levée de fonds de type Série A en vue d’engager une réelle phase de croissance (scale-up). “C’est une plate-forme où elles peuvent venir puiser des expertises, selon divers axes thématiques utiles pour cette phase de croissance: finances, bases de la comptabilité, vision macroéconomique, valorisation, arguments à défendre face aux investisseurs, SEA/SEO, ventes, gestion des compétences et recrutements…”
Pour cette première édition, huit start-ups avaient été sélectionnées: Amanote, Commuty, Digiteal, MySkillCamp, Opinum, Preesale, Shippr et Utopix.
Parmi les critères de sélection:
- avoir déjà réalisé une levée de fonds (“au grand minimum 100.000 euros”)
- être prêt à effectuer une levée de fonds de niveau Série A (mais “sauce locale”, donc moins ambitieuse potentiellement que ce qui se pratique notamment dans les pays anglo-saxons; donc… minimum 500.000 euros)
- disposer d’une équipe dûment formée et/ou d’une “traction” sur le marché – pas de métriques précises encore pour définir cette “traction” – ventes, potentiel… – mais ce sera l’un des travaux estivaux d’Engine pour préparer la suite, en précisant les balises et “en se montrant plus strict sur les métriques et les indicateurs de sélection.”
“Pour définir les critères et améliorer la méthodologie, nous nous appuierons notamment sur une étude de satisfaction effectuée par l’UCL [auprès d’un groupe-cible] et sur les réponses obtenues des sondages hebdomadaires effectués auprès des participants de la première édition”, déclare David Valentiny.
Les 8 sociétés participantes
Amanote, Commuty, Digiteal, MySkillCamp, Opinum, Preesale, Shippr, Utopix
106 start-ups avaient posé leur candidature, lors de l’annonce de ce programme Reaktor. Dont 33 étrangères – qui n’ont pas pu être prises en considération, le financement d’Engine se réduisant désormais à des fonds Feder.
Nombre de ces candidates étaient en outre à des stades d’évolution incompatibles avec une finalité d’assistance au scaling-up. “Soit trop matures, soit encore trop précoces”.
Fourchette des levées de fonds espérées: de 300.000 euros à 4 (ou 6) millions d’euros.
A quoi ont eu droit les 8 start-ups (voir encadré ci-contre)? A de l’accompagnement collectif et personnalisé. Objectif: “transformer des start-ups prometteuses en réels conquérants”, pour reprendre l’expression de David Valentiny. “Ce sont des projets ayant un important potentiel de développement, notamment à l’international. Il s’agit de faire grandir les mentalités, de procurer un accompagnement fonctionnel.”
Côté collectif, Reaktor propose des masters classes où l’on aborde surtout la théorie (une dizaine de thèmes, à raison d’une session d’une journée par semaine). Des cours donnés par des “experts’ – belges ou étrangers. Parmi eux, Frank Maene (Volta Ventures), Pierre L’Hoest (La Faktory et fonds d’investissement Belinvest), Omar Mohout (Sirris), Patrick Polak (fonds d’investissement néerlandais Newion)…
Côté accompagnement individuel, ce sont des coachs qui entrent en scène (une demi-journée par semaine). Leur profil est moins spécialisé, plus généraliste. Ils s’attachent surtout à accompagner la start-up dans la mise en pratique au long cours des connaissances acquises notamment lors des master classes. Pour la première édition du Reaktor, trois coachs, que l’on rencontre également dans un rôle similaire pour du coaching dans d’autres programmes dédiées aux start-ups, ont été mis à contribution. A savoir: Philippe Lemmens, Benoît Lips et Laurent Mikolajaczk.
Comme de coutume pour ce genre de programme, la première édition du Reaktor s’est terminée par une session de “pitch”, au cours de laquelle les huit start-ups participantes sont venues exposer les fruits de leur parcours et tenter de convaincre de potentiels investisseurs. Toutes sont engagées dans la préparation d’une levée de fonds dont l’importance varie sensiblement: 300.000 euros pour la plus modeste (Preesale) – ce qui d’ailleurs est en-deça de la “norme” – ; 4 voire 6 millions pour la plus ambitieuse en termes d’espoirs de financement (Opinum).
On remet ça?
La chose doit encore être confirmée et l’agenda précisé mais une deuxième édition devrait avoir lieu l’année prochaine. Selon des modalités qui changeront sans doute légèrement. Non pas pour ce qui est de la durée du programme (4 mois) mais notamment pour la fréquence et éventuellement la nature des sessions d’accompagnement.
Même si cela semble peu, un jour et demi par semaine est encore vécu comme trop contraignant par certains participants (fondateurs de start-ups) compte tenu de leur emploi du temps. Les séances pourraient être reconcentrées en une seule journée mais se termineraient plus tard en soirée, par exemple.
Pour le reste, le debriefing de la première édition doit encore être peaufiné afin d’en tirer les enseignements pour une éventuelle adaptation. Et l’équipe d’Engine attend bien entendu aussi que le gouvernement wallon expose sa nouvelle manière de voir le paysage de l’accompagnement des start-ups locales et l’articulation de ce paysage que Pierre-Yves Jeholet dit vouloir restructurer…
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