DW Hub: faiseur de champions numériques?

Portrait
Par · 14/02/2017

La mise en selle du Digital Wallonia Hub (DW Hub pour faire plus court) a pris du temps – plus que prévu puisque sa structure et son modus operandi auraient en principe dû être annoncés l’été dernier. L’officialisation du lancement opérationnel est finalement intervenue en toute fin d’année. Mais, en coulisses, le travail avait déjà commencé, sous la houlette du conseil d’administration, constitué avant l’été 2016 et dirigé par Jean Martin (ex-BSB, patron de Sapristic et président d’Agoria Wallonie).

Lorsqu’il avait été question, pour la première fois, de cette structure virtuelle (voir ci-dessous), une comparaison, un rien audacieuse, avait été faite avec iMinds en Flandre, ce réseau de chercheurs et centres de compétences universitaires qui agit comme une réserve unifiée de ressources techno et R&D mises au service de projets-pilote, de projets d’innovation, de jeunes pousses – tous secteurs confondus. Voir, en fin d’article, un petit descriptif de ce qu’est iMinds.


Ce DW Hub, qui figure dans les priorités définies dans le cadre du Plan numérique wallon, est une structure virtuelle mise au service d’un renforcement de la collaboration entre entreprises à fort potentiel de croissance, unités de recherche, Pôles de compétitivité et clusters spécialisés (TWIST et Infopole Cluster TIC). Relire ce que nous écrivions déjà à son sujet en juin 2016.

Sa mission? Mieux potentialiser les ressources de la recherche appliquée et du prototypage dans le domaine du numérique ; favoriser et faciliter les transferts de compétences et les fruits de la recherche académique vers l’industrie, afin de donner au secteur mais aussi à ses acteurs une plus grande masse critique et une plus grande représentativité sur le marché – tant local qu’international.


Progression en paliers

L’objectif global du DW Hub est donc de créer une dynamique nettement plus… dynamique que ce n’est le cas actuellement, avec des cloisonnements jugés encore trop étanches par certains. L’espoir aussi que le potentiel d’innovation des entreprises soit ainsi mieux alimenté, que les sociétés à fort potentiel s’en trouvent dopées, en ce compris dans une perspective de croissance à l’international et d’attractivité par rapport aux investissements et aux talents, d’où qu’ils viennent.

C’est d’ailleurs sur les “sociétés à fort potentiel de croissance” – baptisées “champions” – que le DW Hub mise en premier lieu pour enclencher la mécanisme.

Jean Martin: “refaire dans le domaine du numérique ce que la Wallonie a fait et réussi ces 30 dernières années par exemple dans le domaine pharma.”

Trois axes et objectifs ont été définis:

  • accélérer la croissance de “champions” à l’international
  • renforcer la recherche dédiée au numérique et faciliter les transferts de connaissances vers l’industrie
  • attirer de grands noms internationaux pour investir, s’impliquer et booster les projets d’innovation et les acteurs locaux.

L’option qui a été prise pour la mise sur les rails du DW Hub et pour obtenir de premiers résultats concrets rapides est de sélectionner quelques “champions” – 5 à 8 par an. On concentre les moyens (accompagnement et financement) pour éviter le saupoudrage, “mettre la sauce” nécessaire à un réel bond en avant.

Ces “champions” (en herbe ou déjà confirmés) seront accompagnés et bénéficieront d’un apport de fonds (non négligeable) afin d’accélérer à la fois leurs projets et leur croissance à l’international. Objectif: les propulser parmi les 2 ou 3 premiers de leur domaine sur la scène européenne, voire internationale, dans un laps de temps assez court – 2020 pour la première “promo”.

L’hypothèse de travail est qu’en raison de leurs besoins concrets, ces sociétés en croissance déclencheront un appel d’air, un appel à ressources de recherche et innovation du côté des unités de recherche (académiques ou publiques).

“Partir des besoins du terrain permet de croître et de réussir plus vite’”, estime Jean Martin. “Cela crée également un pôle d’attraction.”

Pourquoi ne pas enclencher aussi, dès à présent, des actions de “renforcement de la recherche”? Parce qu’a priori, en arriver à une collaboration spontanée, plus active, plus manifeste, entre centres et unités de recherche et entreprises, prendra plus de temps, estime Jean Martin.

A cet égard, la perception diffère selon que l’on s’adresse à Jean Martin ou à un représentant du monde de la recherche. Nous y consacrerons le deuxième volet du présent article.

Le président du conseil d’administration du DW Hub se dit en tout cas “convaincu que l’approche marchera et donnera de bons résultats. Le plus gros risque ne se situe pas au niveau du fonctionnement du système mais dans l’aptitude qu’ont les sociétés wallonnes à devenir des “champions”. Et ma perception, en la matière, est que la réponse est positive. En plus des deux sociétés déjà choisies (voir ci-dessous), 7 autres ont déjà été identifiées. Le réservoir est là. Il reste à agir de telle sorte à faire germer les pousses.”

Comment sélectionner les “champions”?

Les sociétés qui bénéficieront du soutien du DW Hub doivent déjà avoir percé à l’international, “avoir pignon sur rue dans leur secteur”. L’intervention du Hub est là “pour les aider à aller encore plus vite”, à gagner quelques années en matière de mise sur le marché et d’atteinte d’une masse (plus) critique.

Le numérique sera le fil rouge de leur profil. Il s’agira soit de sociétés actives dans le secteur du numérique ou de sociétés industrielles qui utilisent une bonne dose de technologies numériques.

C’est le cas des deux premières sélectionnées: OncoDNA et Lasea (voir ci-dessous).

Autres conditions sine qua non: avoir la maîtrise de sa propre propriété intellectuelle ; être orienté produits plutôt que services.

Quatre critères-clé, non encore quantifiés ou pondérés, servent de fil conducteur: ambition de croissance, crédibilité (du plan d’affaires, de l’équipe, de la direction…), internationalisation dans un large espace géographique, impact sur l’économie et l’emploi en Wallonie.

“Nous accompagnons non pas une technologie mais une équipe qui a un projet”, insiste Jean Martin. “Ne tenir compte que de la technologie n’a pas de sens parce que celle-ci évoluera trop vite entre le moment où la scale-up est détectée et le moment où elle s’imposera réellement en champion international”. Et cela, même si le but est justement d’accélérer ce processus (2 à 3 ans)…


OncoDNA est une société spécialisée en théranostique, autrement dit en solutions et systèmes combinant des fonctions de diagnostic et de thérapeutique. Son domaine spécifique de spécialisation est celui de l’oncologie et de l’analyse de l’ADN des tumeurs, auxquelles elle applique notamment des techniques big data. Grâce à une analyse génomique et anatomopathologique ciblée ou complète, OncoDNA vise “à affiner le suivi médical ou le choix d’un traitement personnalisé, selon le profil génomique de la tumeur du patient.”

Lasea est spécialisée dans les solutions laser de micro-usinage industriel de haute précision (marquage, découpe, perçage, texturations). Ses activités touchent à de multiples secteurs: dispositifs médicaux, automobile, industrie pharmaceutique, horlogerie, électronique…


Quatre autres sociétés sont actuellement en attente d’une décision du jury, ce dernier devant en principe se prononcer vers la fin mars. Deux des quatre ont un profil pour numérique (leurs noms, dans l’attente d’une décision, ne peuvent pas encore être dévoilés).

Côté procédure de sélection, il n’y aura pas d’appel à projets mais plutôt identification des dossiers porteurs par les membres du conseil d’administration et, surtout, via les Pôles de compétitivité et le travail de veille et d’identification qu’effectuera le futur cluster fusionné Infopole/Twist. Ce dernier sera également l’interlocuteur, le relais entre entreprises et unités de recherche.

Les avantages pour les “champions”

Une fois que les sociétés ont été sélectionnées, elles bénéficient à la fois d’un accompagnement et d’un joli coup de pouce financier (le budget réservé au DW Hub est de 20 millions par an). Cet appui financier pourra se faire soit sous forme d’avance récupérable (jusqu’à 70% du coût du projet), soit sous forme de capital. “La préférence va clairement à l’avance récupérable parce qu’une prise de participation au capital est plus compliquée à négocier, en terme de valorisation, et parce que le but, justement, est d’aller vite…”, insiste Jean Martin.

L’accompagnement, lui, vise le support de la stratégie, l’aide à la percée à l’international. Il ne se fera pas forcément au quotidien, en tout cas pas en termes de suivi. Des réunions semestrielles, pour juger de l’état d’avancement, seront par contre prévues entre entreprises et centres de recherche.

Durée de l’accompagnement: de 4 à 5 ans.

Parallèlement, un canal direct de collaboration s’ouvrira vers la communauté des chercheurs. Sur le “pool” permanent de quelque 200 chercheurs que le DW Hub espère voire se constituer et s’activer, “environ 150 travailleront sur ‘instruction’ et selon les besoins concrets des entreprises, leur apportant les technologies dont elles ont besoin à court ou à moyen terme.”

Autrement dit, ils passeront de la recherche fondamentale à la recherche appliquée et/ou à moyen terme. “Ils seront payés par les champions. Il est clair que ces derniers ne paieront que si l’organisation [de l’outil DW Hub] est efficace.”

Encore quelques inconnues

Les deux premières sociétés élues ont échappé au processus plus formel de sélection par un jury par lequel toutes les suivantes devront passer. C’est qu’il fallait aller vite, “marquer le coup”, prouver que le DW Hub n’était pas bloqué dans ses starting blocks… Mais Jean Martin l’affirme, “le chiffrage des critères de sélection sera plus formel, les règles plus construites pour les suivantes.”

Autre point à déterminer: la manière dont le cluster remplira son nouveau rôle. A priori, il sera tout à la fois responsable:

  • de l’identification des “champions” et de leur proposer de s’arrimer au programme DW Hub
  • de coordonner les relations et de corréler les besoins des entreprises et les ressources des unités de recherche
  • de veiller à la valorisation de la propriété intellectuelle dans d’autres secteurs (non directement concurrents de celui dont émane le champion à l’origine de cette propriété intellectuelle)
  • et, à terme, d’identifier et d’approcher les grands acteurs internationaux qu’il serait intéressant d’attirer en Wallonie et de les faire participer à la nouvelle dynamique recherche/industrialisation/internationalisation.

Les choses pourraient encore prendre quelques mois, notamment parce que Infopole et Twist doivent encore réaliser leur fusion et accorder leurs violons. Un budget, toutefois, a été débloqué par le gouvernement wallon pour couvrir la nouvelle mission qui leur est dévolue (un programme manager devra sans doute être engagé).

Renforcer le “pool” de chercheurs

Autre aspect des choses qui fait encore l’objet d’une réflexion au sujet des mécanismes à activités pour atteindre cet objectif: augmenter sensiblement le nombre de chercheurs opérant au sein des différentes unités de recherche en Wallonie.

L’espoir est de pouvoir gonfler le chiffre actuel, qui évolue aux alentours des 250 à 300 chercheurs orientés numériques (universités et centres de recherche confondus), d’au minimum 50 équivalents temps plein. “Le but est d’atteindre une certaine masse critique, propre à convaincre les grands acteurs internationaux de s’impliquer. Et, à leurs yeux, ce chiffre se situe plutôt aux alentours des 400 à 450 chercheurs.” Ce qui ne serait d’ailleurs toujours qu’une pâle moitié de ce que la Flandre peut d’ores et déjà se prévaloir.

En matière de “masse critique” à atteindre, vous verrez dans le deuxième volet de notre article que la manière dont le monde académique voit les choses est un rien plus modulé que l’avis émis par Jean Martin…


iMinds, c’est notamment:

  • un incubateur de start-ups (iStart) qui a déjà mis sur orbite plus de 75 jeunes pousses technologiques
  • 5 thèmes majeurs: ICT, média, santé, villes intelligentes, industrie
  • un total à ce jour de 300 projets de recherche (flamands et/ou européens)
  • plus de 900 chercheurs universitaires qui se mettent à la disposition de l’industrie, des PME et du monde associatif dans le cadre de projets de recherche et de mécanismes de transfert de connaissances, de transformation de l’industrie
  • un concept de “recherche agile” (projets ICON menés de concert par des chercheurs et des entreprises, living labs…)  [ Retour au texte ]