Derrière et au-delà du bilan chiffré que tirait récemment Digital Attraxion de trois ans d’accompagnement de start-ups numériques du côté du Hainaut (voir, en fin d’article, l’encadré reprenant les principaux chiffres), quels enseignements se dégagent des activités d’accompagnement personnalisé? A souligner, pour bien poser le cadre du présent article, que nous ne parlerons pas ici des programmes d’accélération MoveUp, programmes thématiques, davantage collectifs, plus courts (durée de trois mois) et répondant à d’autres mécanismes (notamment l’implication d’une “corp.” dans le trajet de maturation du projet)…
L’analyse concerne plutôt les activités qualifiées de “validation”. Autrement dit, une assistance d’une durée de 12 à 18 mois, doublée d’un apport de moyens financiers, destinée à vérifier et conforter la “traction” du projet, lui faire passer un cap et l’amener au stade du décollage – avec, en perspective, une possible levée de fonds, éventuellement avec prise de participation d’une des trois invests hennuyères (Sambrinvest, WAPinvest, IMBC Spinnova).
Durées et cagnottes variables
La durée du trajet d’accompagnement par Digital Attraxion varie donc de 12 à 18 mois, “selon le temps que les projets mettent à atteindre les objectifs que l’on s’est fixés, ensemble, lors de l’acceptation du dossier”, indique Sébastien Doyen, responsable du programme.
Pour leur permettre d’atteindre ces objectifs, Digital Attraxion leur alloue une cagnotte allant jusqu’à 100.000 euros (en l’occurrence un prêt – à rembourser ou à convertir en prise de participation), une cagnotte à laquelle les porteurs de projet auront droit selon des modalités variables.
“Si une start-up vient chez nous en ne réalisant encore qu’un chiffre d’affaires minimaliste, avec tout juste un proto et quelques clients récurrents, nous lui proposons 25.000 euros, pour une première phase durant de 3 à 6 mois.” Histoire de pouvoir se muscler, grâce à l’accompagnement par un CEII (centre d’entreprise et d’innovation), et espérer décrocher la deuxième tranche pour une phase pouvant davantage être qualifiée d’“accélération”, durant de 9 à 12 mois.
“Selon la vitesse de développement et les besoins de la start-up, le total du prêt est débloqué en deux à quatre temps. Ce phasage nous permet par ailleurs de vérifier les évolutions et d’adapter éventuellement l’accompagnement.”
Si la start-up, par contre, a déjà les reins plus solides et affiche un chiffre d’affaires qui est le reflet d’une réelle traction, les 100.000 euros sont plus aisés à obtenir.
Digital Attraxion envisage-t-elle éventuellement de relever le plafond de son intervention financière, comme cela semble être une tendance chez plusieurs acteurs, au-delà donc des 100.000 euros?
Sébastien Doyen (Digital Attraxion): “Créer d’abord le terreau, d’où faire émerger suffisamment de start-ups. Aller au-delà d’un financement de 100.000 euros n’aurait pas de sens dans le cadre de la mission que s’est donnée Digital Attraxion.”
La réponse est négative: “Ce qui manque surtout sur le marché, en région wallonne, c’est du pre-seed. Notre mission est d’essayer de faire émerger le plus de start-ups possible, de créer le terreau, l’écosystème. Aller au-delà des 100.000 euros signifierait de consacrer plus de temps et d’énergie à des sociétés qui vont (déjà) bien. Or, il y a encore pas mal de sociétés à créer d’abord pour disposer d’un écosystème fort.”
Une mission qui implique aussi un certain taux de “déchets”. “Mais notre but n’est pas de viser notre propre rentabilité, ce qui impliquerait de minimiser les risques…”
Un peu de tout
Le stade de maturité, ou de solidité, atteint lors de l’acceptation du dossier est très variable. “Nos critères de sélection”, souligne Sébastien Doyen, “ce sont avant tout la qualité de l’équipe, principal facteur de réussite, ensuite la faisabilité du projet, la nature du marché visé et l’existence d’un prototype, même s’il n’y a pas encore de chiffre d’affaires. Un prototype dont on peut en effet conclure qu’il en sortira quelque chose à terme.”
Mais il arrive encore, trop souvent, que les dossiers qui se présentent soient trop légers, mal préparés, aux perspectives peu évaluées. “On ne compte plus par exemple les idées d’appli de gestion de biens immobiliers alors que le marché en regorge déjà…”
Il n’est pas rare non plus – et de manière finalement étonnante – que le porteur de projet n’ait pas réalisé d’analyse d’opportunité ou n’ait pas ne serait-ce qu’un début de notion de ce qu’est réellement le marché auquel il veut s’attaquer ou de l’identité de ses concurrents potentiels. “Trop souvent, il y a déjà trop de concurrents. Accepter le dossier n’a donc aucun sens, les chances de succès étant nulles…”
Qu’espèrent trouver les porteurs de projets et start-ups en s’adressant à Digital Attraxion pour une “accélération”? Là encore, on trouve de tout dans les motivations. Prenons quelques exemples de start-ups déjà relativement bien connues sur la place ou dont nous avons déjà eu l’occasion dans Regional-IT.
Snugr – Projet ayant fait ses débuts du côté de NestUp, dès 2012, Snugr explore les potentiels de l’optimisation des économies de chauffage, notamment par le déploiement de vannes connectées. “La société tourne mais n’a pas réellement décollé”, explique Sébastien Doyen. “Elle ne compte encore que quelques clients et cherche encore à montrer son potentiel. Il fallait donc trouver une accroche pour déclencher la progression.” Autrement dit, l’accompagnement se définit pour elle davantage en termes d’incubation que d’accélération.
Comme d’autres, le porteur de projet “s’accroche”. Les résultats engrangés sont maigres mais l’abandon n’est pas envisagé.
Cikisi – Cette société dont nous vous avons récemment parlé cherchait conseils et support pour le positionnement commercial de sa solution de veille technologique automatisée (Internet et réseaux sociaux). “Ils avaient besoin de structurer leur approche et leur stratégie marketing et d’identifier les créneaux auxquels s’attaquer en priorité.”
cPark (rebaptisé entre-temps Seety) – Cette société, bruxelloise, qui est l’auteur d’une appli d’aide à la mobilité (parking “malin”) en zone urbaine, s’est tourné vers Digital Attraxion pour obtenir de l’aide dans la structuration de ses mécanismes commerciaux. “Par exemple pour déterminer comment vendre leur solution, comment mieux approcher les villes et leur proposer un autre discours qui puisse contribuer à accélérer la passation de contrats…, comment bien identifier des partenaires selon une approche B2B2C.”
Oh Chef – Cette start-up d’origine bruxelloise, qui se positionne depuis 2013 sur le terrain de la réservation de chefs-cuistots à domicile, est passée (par deux fois!) par le programme d’accélération du Microsoft Innovation Center (de Bruxelles). Le projet a été repensé, “pivoté” à plusieurs reprises. Qu’est-il venu chercher dans le Hainaut? “La start-up avait un proto, un premier produit mais manquait encore de traction et ne savait pas comment faire progresser rapidement ses ventes. Nous avons testé pas mal de choses, envisagé une entrée sur d’autres marchés que le seul territoire belge… Une solution a sans doute été trouvée qui devrait porter ses fruits en 2020…”
Une année 2020 décisive pour certains?
2020 risque d’être une année décisive pour certains projets accompagnés. “Risque” parce que pour un certain nombre d’entre elles, ce sera sans doute l’arrêt de l’aventure.
Comme on l’a vu plus haut avec quelques exemples, qui en sont certes à des stades différents, plusieurs start-ups ou projets font déjà figure de vieux-de-la-vieille. Au bout de cinq ou sept ans, leur idée n’a toujours pas suffisamment décollé ou trouvé la “traction” espérée. Déjà à l’époque de leur création, une vague propice semblait pourtant pouvoir les porter mais jamais le déclic ne s’est fait, les conditions n’ont pas été trouvées, les clients se font attendre… “Mais ils s’accrochent, n’abandonnent pas. Même si nous sommes là pour leur rappeler la vérité des chiffres…”, rappelle Sébastien Doyen.
Parmi les quelque 90 dossiers sélectionnés à ce jour dans le cadre du programme Digital Attraxion, 9 ont arrêté les frais, par clôture de dossier ou faillite. “Ils ont fait le constat qu’ils avaient tout essayé, que rien ne marchait”, que les ventes – s’il y en avait – étaient au ras des pâquerettes et ne permettaient pas de couvrir les frais…
En 2020, estime Sébastien Doyen, il y aura encore d’autres abandons et sans doute pas mal.
Parfois une dernière tentative est faite, “en tentant de faire fusionner les équipes pour, malgré tout, en sortir quelque chose. Quitte à changer d’optique…” Cela peut être une option “s’ils tiennent vraiment à continuer avec la casquette d’entrepreneurs”. Mais ce n’est pas toujours possible ou, autre possibilité, les compatibilités entre les personnes ou les volontés ne se manifestent pas!
Des frontières géographiques diluées
Autre dimension d’analyse du bilan que tire Digital Attraxion pour son troisième anniversaire: un rapide examen de la provenance géographique des start-ups qui ont frappé, avec réponse positive, à sa porte montre que les projets candidats sont loin de tous venir du Hainaut.
On sait, depuis quelques temps déjà, que les invests chassent désormais sur les terres de leurs consoeurs, loin des périmètres provinciaux traditionnels.
Si ce phénomène n’est donc plus une nouveauté, cela ne manque toutefois pas d’étonner dans la mesure où le but d’une invest est de favoriser et de promouvoir le développement économique et l’emploi dans “sa” (sous-)région. Comment dès lors Digital Attraxion justifie-t-elle cet accompagnement et ces investissements dans des sociétés nées et même implantées hors Hainaut?
Le gros des start-ups viennent du Brabant wallon, du Hainaut et de la province de Namur. Moins de 20% de nos dossiers viennent de Bruxelles.
L’explication de Sébastien Doyen s’appuie sur quelques “nuances”. Première ligne de défense: “le numérique ne connaît pas de frontière”. Un rien facile… La deuxième explication n’est pas exempte non plus de faiblesses: “souvent, les porteurs de projet n’ont même pas encore de bureau, travaillent de chez eux”. On pourrait même ajouter dans un espace de coworking, parfois. Ce qui n’empêche pas qu’ils soient bel et bien originaires de quelque part…
Et puis, il y a pas mal de start-ups qui ont bel et bien un pied à terre… plus ou moins loin du Hainaut. Sébastien Doyen en vient à plus de précision: “Un tiers des start-ups qui sont accompagnées sont suivies par l’un des trois CEI (Centres d’Entreprise et d’Innovation) hennuyers”, impliqués dans l’aventure Digital Attraxion (à savoir La Maison de l’Entreprise-LME, à Mons et La Louvière, et le Centre Héraclès aujourd’hui rebaptisé Charleroi-Entreprendre).
Le gros des start-ups viennent du Brabant wallon, du Hainaut et de la province de Namur, beaucoup moins de Liège (compte tenu des actions développées par NoShaq, anciennement MeusInvest et LeanSquare). “Moins de 20% de nos dossiers viennent de Bruxelles”.
Si elles viennent donc de divers horizons géographiques, c’est parce qu’il n’y a en effet aucune obligation de créer, en finale, une société dans le Hainaut. Du moins tant que les start-ups ne désirent pas obtenir des fonds d’une des trois invests hennuyères. Par contre, si elles désirent obtenir un investissement d’une invest, il leur faut ouvrir un siège d’exploitation ou un siège social dans la région de ces invests.
On ne parle ici que des injections en capital. S’il s’agit d’un prêt à rembourser, aucune obligation de s’implanter en Hainaut…
Mais, même à cette aune-là (capital, donc ancrage local), on repère encore des “allogènes”. Exemple? Piximate, dont le siège est ancré à… Ottignies Louvain-la-Neuve. “C’est vrai qu’il y a des exceptions”, reconnaît Sébastien Doyen.
Programme de “validation” Digital Attraxion, trois ans après…
Chiffres arrêtés à la mi-janvier 2020
96 start-ups ou projets sélectionnés
49 en cours d’accompagnement (validation ou accélération)
8 start-ups ayant bouclé le programme
8 autres ayant introduit un dossier de levée de fonds auprès de l’une des trois invests (citons notamment Smartbeam, Tafsquare, MySkillCamp, Piximate, Cyanview et Global Connection Apps)
Principales thématiques représentées par les start-ups accompagnées? Surtout – par ordre d’importance – des projets de types “marketplace”, industrie 4.0 et marketing. Quelques dossiers aussi en e-santé, en RH, fort peu en IoT (Internet des Objets).
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