C’est en 2014 que l’association française Framasoft a lancé sa campagne Degooglisons Internet. L’idée: proposer des services alternatifs à ceux fournis par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
Trois ans plus tard, fort de l’existence d’une quarantaine d’entre eux, dont Framasphere (vs Facebook), Framatalk (vs Skype), Framadate (vs Doodle) ou Framacloud (vs Google Drive) et d’une communauté de plus de 27.000 membres, Framasoft franchit une seconde étape en jouant la carte de la décentralisation.
Respect des données garanti
Pierre Yves Gosset: “Le succès de la campagne Dégooglisons Internet a démontré, à l’ère post-Snowden, un intérêt réel du public pour des services Web respectueux des données des utilisateurs, qui soient en outre basés sur du logiciel libre. Mais nous ne voulons pas créer ce que nous combattons, à savoir une centralisation des utilisateurs et de leurs données.
Nous sommes et voulons rester une petite association composée d’une bande de copains. Nous nous considérons comme une AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) du logiciel libre en train de se dire: Bon, c’est bien, nous on a bien réussi à cultiver notre jardin. Nous faisons de l’Internet bio et local. Ça marche bien. Il y a des gens, ils viennent chez nous, on est contents, mais il ne faudrait pas qu’ils soient trop nombreux.”
“Chaton”, un hébergeur alternatif. Logiciels libres, formats ouverts, pas de profilage publicitaire, et respect des données garanti.
“D’où l’idée de créer un réseau d’hébergeurs alternatifs qui s’engageraient sur une charte pour devenir un CHATON. Celle-ci prévoit de n’utiliser sur les serveurs que du logiciel libre et des formats ouverts. Aucun profilage publicitaire n’est autorisé et le respect des données est garanti: droit d’accès, interopérabilité, non-transmission à des tiers.”
Internet de proximité
“Notre objectif est d’essaimer le concept de Framasoft un peu partout à travers ce nouveau collectif qui va réunir un ensemble de structures proposant des services libres et éthiques”, poursuit Pierre-Yves Gosset
“De nombreuses associations et scop [sociétés coopératives] sont prêtes à rejoindre un mouvement de décentralisation pour créer des services mutualisés dans un Internet de la proximité et de la confiance. Nous nous adressons aux informaticiens en disant: “Montez votre propre Chaton, devenez votre propre hébergeur et proposez des services autour de vous.
Que ce soit sous forme d’entreprise ou sous forme associative, rencontrez vos utilisateurs. Remettez des valeurs et de l’humain dans vos mails, fichiers, partages et collaborations. »
Clomut, le premier chaton belge
La première portée de chatons compte une quarantaine de membres en France. Parmi ces derniers, on trouve des chatons ouverts à tous et couvrant l’ensemble du territoire français comme La Mère Zaclys ou L’Autre.net. Mais aussi des chatons plus “locaux” comme Infini (Brest), Assodev-Marsnet (Marseille) ou G3L (Valence).
Certains sont des associations, comme Alolise (Saint-Étienne), d’autres des entreprises, comme IndieHosters. Certains sont de taille conséquente, comme Framasoft (qui dépasse le million de visites par mois), et d’autres ne servent qu’un public plus restreint comme roflcopter.fr (Toulouse). En Belgique, c’est Clomut (concaténation de Cloud et de Community) qui a ouvert le bal, à Liège.
Des empreintes de Chatons appelées à se multiplier…
Hébergement particulier
François Goerlich, créateur du Clomut, développer de formation, suit depuis 2010 les activités de Framasoft et participe à la campagne Degooglisons Internet. Voici deux ans, une discussion avec un collègue, utilisateur d’iCloud mais désireux de s’affranchir d’Apple, lui donne l’idée d’un cloud communautaire et accessible à tous, grâce à une service d’installation et de suivi.
Cela permettrait à des néophytes de l’informatique d’utiliser un cloud libre et d’être secondés par un professionnel. Pour des raisons philosophiques, François Goerlich décide de ne pas louer des serveurs afin de garder la liberté caractéristique des hébergeurs alternatifs. Pour cela, en janvier 2017, il achète une première machine et effectue un test qui s’avère positif.
Puis il décide d’aller plus loin et de créer une communauté en hébergeant des machines chez des particuliers intéressés par le projet. “Pour les remercier, ils reçoivent deux abonnements Clomut gratuits et un serveur qu’ils doivent simplement laisser allumé et connecté à Internet. Et par souci de sécurité, nos amis hébergeurs n’ont pas accès aux données se trouvant chez eux.”
Les données restent en Belgique
La fiabilité et la rapidité? « Comme les serveurs de Clomut sont hébergés chez des particuliers, nous n’avons pas de connexion supersonique. La consultation des données via une page Web sera plus lente que sur iCloud ou Google, mais c’est le prix à payer pour un service libre et à prix raisonnable, avec des données qui restent en Belgique. C’est assez rare pour être souligné. Nos serveurs tournent sous Debian et sont pilotés par Yunohost et Nextcloud.
Une copie des données stockées est effectuée chaque nuit sur une autre machine. Pour l’instant, trois machines sont opérationnelles. »
Pas plus cher que les autres
“Clomut n’est pas plus cher que les offres payantes des autres services de cloud”, souligne François. “Il faut compter 60 euros par an pour 400 Go, à comparer aux 35,88 euros chez Apple pour 200 Go ou aux 19,99 euros chez Google pour 100 Go.
Nous sommes donc dans la moyenne des prix Apple et un rien plus cher que Google mais, chez nous, vous avez droit à une assistance comprise dans l’abonnement. Et nous ne revendons pas les données de nos clients à des sociétés publicitaires!
Clomut: “nous nous engageons à ne pas les consulter, les analyser, les revendre ou les divulguer, et ce à qui que ce soit.”
Clomut est un cloud libre. Cela signifie que nous n’avons rien à cacher à propos du fonctionnement de notre service et de l’utilisation de vos données. En ce qui concerne l’utilisation des informations de nos clients, nous nous engageons à ne pas les consulter, les analyser, les revendre ou les divulguer, et ce à qui que ce soit.”
Une coopérative dans les nuages
Le deuxième Chaton devrait voir le jour début 2018 sous la forme d’une coopérative à finalité sociale. “Nous voulons proposer des services en ligne – libres, éthiques, décentralisés et solidaires – pour contrebalancer la collecte et la centralisation des données personnelles à des fins mercantiles”, insiste Agnez Bewer, co-fondatrice du Chaton bruxellois et par ailleurs réalisatrice de sites Web, militante Vie privée numérique et culture de partage. “Nous voulons que tout le monde puisse trouver un service local, éthique, transparent et simple d’utilisation à la fois.” Nubo [Ndlr: nuage en esperanto] sera la coopérative qui offrira ce type de services.
Sur quelle infrastructure? Martin Cocle, co-fondateur: “Actuellement, nous ne disposons pas encore des infrastructures sur lesquelles les services finaux seront rendus. Nous testons cependant les outils et nous en servons pour notre usage quotidien. Nous sommes pour l’instant hébergés par des structures partenaires, essentiellement chez Nestor.”
Enquête de faisabilité en cours
Nubo s’est inscrit dans le programme Seeds mis en place par Coop City. Martin Cocle: “Le projet bénéficie ainsi d’un accompagnement all-inclusive sur le plan des conseils, d’une durée de 7 mois et de façon relativement intensive. Nous travaillons aussi avec les réseaux propres des associations partenaires: Domaine Public, Cassiopea, Nestor, Abelli et Petites Singularités.”
Une étude de faisabilité est en cours. Elle s’appuie sur une enquête en-ligne concernant l’intérêt du public pour des services en ligne respectueux de la vie privée numérique. “Selon les données techniques et les réponses que nous apportera l’enquête, le seuil critique devrait se situer entre 2.500 et 4.000 utilisateurs. Les premiers services disponibles devraient inclure les services mail et cloud, pour le stockage et le partage de documents, calendrier et carnet d’adresse.”
Co-propriétaire du cloud
Pourquoi choisir la forme d’une coopérative à finalité sociale? Agnez Bewer: “Nous travaillons pour le bien commun. C’est un de nos objectifs fondamentaux. De plus, l’agrément des coopératives à finalité sociale limite la taille des dividendes qui peuvent être versés aux coopérateurs. Nous souhaitons en effet nous réunir autour de notre objectif social, pas autour du profit.
Être coopérant chez Nubo signifiera être copropriétaire des serveurs qui hébergent les données. Les décisions seront prises de façon collective, depuis la gestion et la protection des données jusqu’au fonctionnement de la structure.
“L’idée est de construire un réseau de multiples hébergeurs alternatifs, disséminés sur un territoire large. Si un acteur s’éteint, les autres maillons peuvent compenser la perte.”
Nubo s’inscrit dans le projet CHATON et adhère à sa charte. L’idée est de construire un réseau de multiples hébergeurs alternatifs, disséminés sur un territoire large, en tissant des liens de manière décentralisée. Dans un tel réseau, si un acteur s’éteint, les autres maillons peuvent compenser la perte. Dans un réseau, nous pouvons aussi unir nos forces et échanger les expériences et les outils.”
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Liens utiles:
Site du collectif d’hébergeurs alternatifs Chatons
Charte du collectif Chatons
Campagne Dégooglisons Internet
Premier “Chaton” belge: le Clomut à Liège
Autre Chaton belge: Nubo, à Bruxelles
Enquête de faisabilité de Nubo (portant sur le choix de services en ligne, respectueux de la vie privée numérique)
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