L’IT est source d’innovation. Mais l’impulsion peut-elle encore venir de l’intérieur, alors qu’en période de récession, les entreprises raisonnent en termes de “lean operations”? Le CIO d’une grande entreprise, redevenu “simple” IT manager, doit rechercher de nouveaux mécanismes et de nouveaux alliés, à l’extérieur, pour espérer maintenir l’innovation vivante. Tel est l’avis de Patrick Crasson, associé auprès de BeNovate, jeune société de consultance en stratégie et innovation, et BeAligned, spécialisée en “alignement business/IT”.
Un éternel recommencement
Le CIO n’est plus. Le “Chief Information Officer” flamboyant, co-pilote et inspirateur de son entreprise, celui par qui l’innovation arrive et s’installe au quotidien, dans une perspective de progression, voire d’accélération constante à long terme, ce CIO-là n’existe plus.
Ou si peu. Les contraintes, l’inertie, les modes de fonctionnement, les pressions conjoncturelles qui caractérisent les grandes entreprises ont eu raison de cette facette du “job description”.
“En période de crise ou de dépression, CIO est un titre plus qu’un rôle. Il doit avant tout rentabiliser, “performer”, standardiser, restructurer. Avec, peut-être, à l’avenir, le droit de penser à autre chose.”
Bridé par les contingences et autres contraintes économico-conjoncturelles, le CIO est redevenu “simple” IT manager, un exécutant, un garde-chiourme. Dans la définition du job qu’on lui a longtemps prêté, il a perdu sa place. Le “I” dans CIO est dévalorisé. Et la lettre C pose encore plus de questions! Il est impératif, pour reprendre l’expression de Patrick Crasson, que ces responsables informatiques “regagnent leur C pour préparer l’entreprise à la future relance.”
Au détour ou, plus exactement, au coeur de ses activités, Patrick Crasson rencontre des sociétés qui sont confrontées à la nécessité de “serrer les boulons”, de rechercher sans cesse de nouveaux moyens d’optimiser processus, fonctionnement et coûts.
Au départ, le fameux “alignement IT/business” (1) avait pour but (ou pour légitimation marketing) de briser la couche de verre ou d’ivoire qui isolait ces deux mondes. De faire réaliser par l’IT des choses qui profitent directement aux départements et aux métiers de l’entreprise. De réconcilier offre et demande. Et aussi de mieux faire comprendre au business ce que l’IT pouvait faire – ou ne pas faire – pour eux.
Depuis, le ton, le contexte ont changé.
Aujourd’hui, et depuis quelque temps déjà, l’“alignement IT/business” se résume souvent à l’imposition de contraintes (de budget et de moyens humains) avec lesquels l’IT doit composer. Plus question de déployer nouveaux outils et solutions pour le seul plaisir d’être “hype”.
Quelle marge de manoeuvre pour le CIO?
Ce qu’une entreprise attend d’un CIO, selon Patrick Crasson, est fortement influencé par sa situation économique, financière, concurrentielle et par sa position face aux cycles de maturité – et d’adoption par sa clientèle-cible – des produits, services ou technologies qu’elle propose. “Lorsqu’il s’agit avant tout pour une entreprise de consolider ou d’intégrer ses processus, on remarque que l’IT est souvent placée sous l’autorité du directeur financier. A ce moment, les paramètres de TCO (total cost of owernship) sont plus importants que les critères et concept de ROI (retour sur investissement).”
Qu’il fasse encore partie du comité de direction (ce qui n’est pas une certitude) ou non, le CIO “doit avant tout donner des réponses en matière d’efficacité, en ce compris sur un plan financier.” La règle de base, pour l’IT comme pour le business, est d’être le plus “lean” possible.
Pour le département et les équipes IT, les choses se corsent encore lorsque l’entreprise évolue dans un cycle ou une phase de dépression. “C’est alors le vrai struggle for life. Perdre ne serait-ce qu’un client peut s’avérer une catastrophe. Pour l’IT, c’est le moment de penser à l’externalisation (outsourcing) si ce n’est pas déjà fait. La priorité se concentre sur les outils de relation avec le client. Qu’il s’agisse de CRM, de solution pour call center… Tout doit se concentrer sur la conservation des clients. L’IT n’a dès lors plus un rôle d’innovation technologique. Sauf peut-être au niveau des processus. Le business exige un environnement informatique et opérationnel stable, mature, le plus standardisé possible. C’est l’ERP qui dicte la vie de l’entreprise.” Avec rigueur, sans dérogation aux règles.
Le CIO n’a plus rien d’un “chief”. Il n’impulse plus rien. “CIO est un titre plus qu’un rôle. Il doit avant tout rentabiliser, “performer”, standardiser, restructurer. Avec, peut-être, à l’avenir, le droit de penser à autre chose.”
La crise n’arrange rien
En ces temps de crise prolongée, c’est l’“utilitaire” qui prime. “Business et IT entretiennent souvent des relations de type “utility”. Du service, de la prestation à la demande, dosée avec précaution, activable de manière parcimonieuse et ciblée. “L’IT doit être très mature, disponible et prédictive.”
Il fut un temps, pas si éloigné que cela, où le cycle d’un alignement IT/business (tout au moins pour ce qui est des grandes entreprises) s’étalait sur 7 à 11 ans, déclare Patrick Crasson. “Aujourd’hui, ce cycle a été ramené à 1 ou 3 ans. Plus question de consacrer 6 mois à l’analyse de la stratégie. Il faut le faire en 6 semaines. de même, la phase de veille permettant d’identifier une solution est raccourcie. Et on n’a plus deux ans pour déployer un projet. Il faut le faire en 6 mois, sinon l’opportunité de croissance est passée.”
Résultat: le CIO, dans un rôle d’innovateur, n’a plus le temps d’exercer son art.
“Le rôle du vrai CIO est éphémère. Il n’a de sens qu’en phase de croissance. Or, ces phases sont de plus en plus courtes.” Et pendant les phases de décroissance qui, elles, durent plus longtemps, le CIO a été éjecté des comités de direction et n’a donc plus le même poids- dans les décisions ou les rouages.
Est-ce à dire que ce rôle d’innovateur n’a plus aucune raison d’être? “Le fait est”, souligne Patrick Crasson, “qu’une entreprise n’est pas constamment en récession, ou pas dans sa totalité. Il y a toujours quelques business units qui évoluent dans des cycles plus positifs, voire qui sont en réel essor. Il peut s’agir de petites unités opérationnelles en pleine croissance, de nouvelles opportunités en termes de clients ou de partenaires… Le problème est que ces business units ont besoin d’aller puiser des ressources ailleurs que dans des entités plus malades.” Or, les ressources et missions allouées à l’IT sont au diapason du mal-être de ces dernières. “La gouvernance des activités est à ce point centralisée et rigoureuse que c’est pur wishful thinking que d’espérer jouer les contributeurs IT pour les nouvelles business units. N’empêche que le besoin existe pour elles de disposer de moyens personnalisés.”
Et l’innovation dans tout ça?
Le CIO, par la force des choses, par obligation plus que par choix, est redevenu simple IT manager orienté efficacité. Il a perdu ses compétences en créativité et innovation. Parce qu’il n’a plus pu les exercer. Parce que les cycles conjoncturels lui imposent une efficience accélérée. Parce qu’il ne peut plus s’installer dans une perspective à long terme. “Soit il doit assumer un rôle de patron d’une IT opérationnelle. Il devient alors un expert en l’une ou l’autre matière, se plonge dans la mécanique fine de l’infrastructure. La pression pour “performer” est énorme et cela use vite, humainement. Preuve en est que le taux de rotation des CIO ces 3 ou 4 dernières années est de 35 à 40%!
Soit il assume un rôle plus transversal, qui lui fait toucher à tout, sans plus de prise de distance. Soit encore, il change d’entreprise en espérant trouver mieux ailleurs…”
Patrick Crasson: “Les CIO doivent arrêter de s’imaginer qu’ils sont les grands innovateurs de la société. Ils améliorent. Ils ne changent pas.”
Toutes ces contraintes ont conduit Patrick Crasson et ses nouveaux partenaires au sein de la société BeNovate à tirer une double conclusion.
L’innovation demeure essentielle, “prépondérante puisqu’elle est le moteur de relance de l’entreprise, apte à lui ouvrir de nouvelles opportunités.”
Mais dans le même temps, le CIO a dû faire le deuil de ce rôle d’innovation. Il faudrait donc, soit réinculquer cette capacité de créativité ou engager un nouveau profil – mais les contraintes du type utilitarisme ne le permettent pas forcément, soit externaliser ce rôle d’innovation. S’allier à un partenaire, éventuellement de manière toute provisoire, qui injecterait ce sang nouveau, alimenterait les business units ou les projets qui l’exigent. Permettre à un mécanisme de se mettre en oeuvre pour “alimenter” les axes ou entités de l’entreprise qui ont besoin d’un mode de fonctionnement et de progression autre que l’utilitarisme et la rationalisation à court terme.
C’est le modèle d’extrapreneurship que défend et professe BeNovate.
Accepter l’inévitable
“Les CIO doivent accepter leur rôle actuel d’utility, ne pas être frustrés, ne pas exiger de siéger à tout prix au comité de direction. L’IT n’est pas différente de la finance ou des ressources humaines. C’est un service presté à l’entreprise. Les CIO doivent arrêter de s’imaginer qu’ils sont les grands innovateurs de la société. Ils améliorent. Ils ne changent pas. L’innovation, aujourd’hui, ne peut venir que de l’extérieur. Le CIO ne doit pas freiner ce phénomène mais être prêt à réintégrer l’initiative et l’innovation, plus tard, dans l’enceinte de l’entreprise.”
(1) Processus de rapprochement et de mise en corrélation entre ce que fournit ou preste le département IT et la stratégie de l’entreprise, en ce compris dans une optique de déploiement de projets pertinents. Cet “alignement” passe notamment, dans un premier temps, par une optimisation des processus de l’entreprise.
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