En début de semaine, nous publions déjà un article au sujet de Medispring, cette coopérative de médecins généralistes (essentiellement) et sa solution DMI (dossier médical informatisé). Relire Medispring: la coopérative-éditrice de DMI remet le collaboratif sur la table
Comme promis, nous revenons sur le sujet pour donner cette fois la parole à ceux qui dirigent la coopérative. Après le départ de Sébastien Deletaille.
Bref, très bref, rappel des enchaînements.
Créée par des médecins qui désiraient ne pas voir leur DMI (Epicure) passer misérablement à la trappe, après l’arrêt du support par Corilus, Medispring s’est donc donnée pour but de préserver et de faire évoluer une solution DMI “par et pour” les médecins.
Après avoir réussi son pari d’obtenir, fin 2019, un enregistrement (accréditation) auprès de l’INAMI, la coopérative voit soudain non pas une mais trois personnes de son équipe dirigeante quitter leurs postes.
Que cela implique-t-il? Pourquoi ces départs? Quels sont les éléments qui ont provoqué une divergence de vues sur le chemin à suivre? Quelles sont les (nouvelles) priorités?
Une interview avec Tanguy de Thier, médecin généraliste à Ciney et vice-président du conseil d’administration de la coopérative.
L’équipe de Medispring. De g. à dr.: Olivier Marievoet (Président du CA), Alain François Bleeckx, Didier Sauvage, Nicolas Raevens, Pierre Bets, Pierre Masscheleyn, Silviu Braga, Annemieke Jong, Tanguy de Thier (Vice-Président du CA), Charlotte d’Huart, Vincent Haufroid.
Regional-IT: Pouvez-vous expliquer pourquoi les chemins se séparent avec Sébastien Deletaille, pourquoi son profil et ses vues, apparemment, ne convenaient plus pour la nouvelle phase qui s’annonce pour la solution Medispring?
Tanguy de Thier (Medispring): Sébastien Deletaille est arrivé, fin 2018, au milieu d’une crise, en tout cas d’une période compliquée. A savoir, la migration d’Epicure vers Medispring. Son prédécesseur n’avait pas réussi à relever le défi, il nous fallait donc quelqu’un d’autre.
Compte tenu des délais impartis et de l’échéance à respecter pour l’enregistrement auprès de l’INAMI, le travail accompli fut nécessairement rapide et intense – beaucoup d’ailleurs nous prédisaient qu’on n’y arriverait pas… Mais cela s’est fait avec certains dégâts collatéraux, en termes d’insatisfaction de certains coopérateurs par rapport à l’évolution du produit. [A cet égard, Sébastien Deletaille – voir notre premier article – explique qu’en effet certains arbitrages ont dû être faits. Impossible de toujours concilier les impératifs fixés par l’INAMI avec les demandes de fonctionnalités attendues par les médecins].
La vision des options était donc différente. Sébastien Deletaille est quelqu’un qui a toujours trois coups d’avance. C’est certes une bonne chose mais il faut parfois mieux que les deux coups précédents soient appliqués et résolus. Le rythme de croissance que Sébastien Deletaille envisageait pour la solution n’était pas ce que les utilisateurs attendaient.
Medispring est en effet une coopérative qui compte actuellement environ 1.200 membres, essentiellement des médecins généralistes.Plusieurs statuts de coopérateurs ont été prévus:
– ceux qui détiennent des “parts garantes” (mise de fonds de 2.000 euros) et qui ont en mains les destinées réelles de la coopérative puisque toute cession de la coopérative ou décision fondamentale concernant la solution devra par exemple être votée à l’unanimité de cette catégorie de coopérateurs
– les parts “citoyennes”
– les parts “utilisateurs” [on compte évidemment aussi des utilisateurs dans les deux autres catégories de coopérateurs – tout comme il y a des coopérateurs qui ne sont pas utilisateurs de Medispring parce qu’utilisant encore d’autres logiciels DMI; ils sont éventuellement désireux de passer à Medispring mais ne peuvent encore le faire actuellement, “faute de code de migration”].
Nous sommes une coopérative, qui compte aujourd’hui quelque 1.200 coopérateurs (voir encadré ci-contre). Nous devons donc être à l’écoute de leurs préoccupations.
De quel type de croissance parlez-vous? Evolution fonctionnelle, acquisition de nouveaux utilisateurs? A quel niveau se situait la divergence de vues?
Nous sommes dans un marché complexe. Pour acquérir de nouveaux utilisateurs, la première condition est de disposer du code de migration. Et ainsi attirer des utilisateurs qui actuellement utilisent d’autres logiciels DMI. Sans ce code, pas de migration possible. La phase de croissance est donc, par définition, limitée.
Nous avons donc décidé de privilégier d’abord ceux qui, parmi les médecins, font déjà confiance dans la solution [essentiellement des anciens utilisateurs d’Epicure], d’assurer et de retrouver leur confiance. La première étape consiste à stabiliser le produit Medispring, ses fonctionnalités, avant d’envisager de nouveaux marchés – extensions pour les médecins spécialistes, attaque du marché néerlandophone…
Les attentes des coopérateurs n’étaient pas prioritaires dans la perspective définie par Sébastien Deletaille. Ce qui ne veut pas dire que nous n’ayons pas, lui et nous, les mêmes finalités en tête mais la vélocité et les chemins à emprunter divergeaient.
Ce n’est pas une seule personne – Sébastien Deletaille – mais trois qui quittent la coopérative. Comment ce départ en bloc est-il vécu? Quel impact pour la suite? Qui pour prendre le relais?
Il faut faire ici une distinction. Le contrat qui avait été passé avec Sébastien Deletaille n’a pas été renouvelé. A noter donc au passage qu’il ne s’agit pas d’une démission ou d’un licenciement à proprement parler…
François-Xavier Orban [Ndlr: directeur produit] et Antoine Pairet {directeur technique], eux, ont démissionné. Pour eux, contrairement à ce qu’avait décidé le conseil d’administration de la coopérative, le scénario n’était donc pas écrit d’avance. Ils sont d’ailleurs encore là et assurent le passage de témoin.
[Ndlr: petite précision, François-Xavier Orban preste ses tout derniers jours, Antoine Pairet lui, pliera bagage fin février. Tous deux semblent avoir préféré suivre Sébastien Deletaille pour lancer un nouveau projet, toujours dans l’e-santé, dont on devrait découvrir les contours d’ici quelques semaines. Relire, dans notre précédent article, ce qu’en disait Sébastien Deletaille.]
Dr Tanguy de Thier (Medispring): “ Sébastien Deletaille est quelqu’un qui a toujours trois coups d’avance. C’est certes une bonne chose mais il faut parfois mieux que les deux coups précédents soient appliqués et résolus.”
Pour ce qui est du ou des remplaçants, la réflexion est encore en cours. Dans l’intervalle, depuis décembre, l’intérim est assuré par les docteurs Frédéric Dujardin et François Roucoux.
François Roucoux est lui-même informaticien et intervient désormais dans le conseil d’administration. Le Dr. Dujardin se charge de prioriser les fonctionnalités. Un autre médecin, le Dr Silviu Braga, qui a lui-même développé deux logiciels médicaux, leur prête main forte.
Quant à l’équipe de développement proprement dite, elle reste la même. La continuité est donc assurée. [Ndlr: il s’agit d’une équipe externe puisque Medispring fait appel à B12 Consulting, de Louvain-la-Neuve, et à une société roumaine].
Quelles sont priorités immédiates pour 2020?
Les attentes, en termes de fonctionnalités, ont trait au coeur du système. Une personne qui jouera un rôle important en la matière est le Dr Frédéric Dujardin qui fait en quelque sorte office de product owner et qui collecte et relaie les demandes et travaux des groupes d’utilisateurs.
On parle ici, dans un premier temps, de fonctionnalités certes basiques mais importantes. Environ 300 demandes ont été collectées. Il s’agira, en 2020, de stabiliser le logiciel qui a été développé très rapidement – en l’espace de neuf mois alors que d’autres prennent trois ans pour arriver au même résultat.
Une analyse est actuellement en cours pour déterminer les priorités à définir en termes de codes de migration [visant tel ou tel autre DMI].
Mais la priorité, c’est stabiliser et assurer la satisfaction des utilisateurs de l’ancien Epicure, de rencontrer les attentes des utilisateurs. La migration Epicure est terminée, à l’exception peut-être de certains médecins qui rencontrent encore quelques bugs mais il s’agit de cas particuliers…
En parallèle, nous travaillons sur notre plan financier.
A cet égard, quels sont les besoins de la coopérative? Son modèle économique suffit-il?
La première chose que je voudrais dire, c’est que sommes déjà très heureux d’avoir autant de personnes qui nous ont fait confiance. Nous sommes 1.200 coopérateurs, ce n’est pas suffisant mais c’est déjà très important.
Il s’agit en priorité de les fidéliser.
Mais c’est vrai que cela ne suffit pas au regard de nos objectifs. Il est vrai, de même, qu’une coopérative n’attirera sans doute pas les investisseurs classiques dans la mesure où nous ne recherchons pas le profit et ne pouvons guère leur promettre de valorisation. Nous sollicitons donc davantage des organismes financiers ou d’autres coopératives pour nous supporter. Nous avons ailleurs déjà pu compter sur l’aide de la MMH (Mutuelle Médicale Hippocrate) [Ndlr: fondée par un groupe de médecins généralistes du Hainaut] qui a investi dans le capital de la coopérative sous forme d’un prêt convertible.
La majorité des utilisateurs actuels sont des médecins généralistes? Ou y a-t-il d’autres profils parmi les utilisateurs?
La majorité sont en effet des médecins généralistes. On compte aussi quelques autres métiers, notamment quelques médecins spécialistes et des infirmiers mais de manière marginale. L’objectif par contre est d’en arriver à une multi-disciplinarité.
Quelles seraient les évolutions prioritaires que vous envisagez ensuite pour le produit?
L’extension fonctionnelle touchera sans doute d’abord les médecins spécialistes dans la mesure où leurs souhaits ne sont pas très différents de ceux des généralistes.
Parmi les fonctionnalités attendues par les coopérateurs, nous devrons prioriser, en fonction des délais et efforts de développement que cela implique. Parmi ces demandes, je peux par exemple citer le schéma de médication, le courrier spécialiste… Nous commencerons sans doute par de petites choses, rapides à implémenter, en fonction de la disponibilité des développeurs.
Pensez-vous et avez-vous recours à des briques open source?
Une partie du back end est déjà en open source [Ndlr: en l’occurrence, la plate-forme de gestion back end, développée en Java, de Taktik qui héberge la solution Medispring]. Une réflexion est en cours, sous la conduite de François Roucoux pour développer certaines choses en source libre et évoluer vers de la mutualisation avec des partenaires. C’est là quelque chose qui nous parle en tant que coopérative…
En plus de la stabilisation du produit dont vous parliez, quelles seront les prochaines grandes étapes pour Medispring – tant la solution que la coopérative?
Le grand rendez-vous de 2020 sera la rencontre avec les utilisateurs lors de notre assemblée générale de juin. Ce sera l’occasion de présenter l’état des lieux, le premier exercice fiscal, la roadmap et les objectifs. Cette rencontre conditionnera dans une large mesure l’évolution de la coopérative.
Au-delà, il y a donc aussi la mise en place des fonctionnalités souhaitées [déjà exprimées] et l’ouverture à de nouveaux marchés. En commençant par les spécialistes puisque les adaptations ou extensions n’impliquent pas un travail énorme. Il y a également la mise en oeuvre des fonctionnalités qu’exige l’INAMI. Nous avons certes obtenu notre enregistrement et, dès lors, la garantie que les médecins utilisateurs pourront bénéficier de la prime télématique mais l’enregistrement INAMI est un processus dynamique. Nous devons continuer à répondre aux attentes de l’INAMI et ce n’est pas une mince affaire.
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