Suite de notre interview avec Julien Compère, administrateur-délégué du CHU de Liège. Il a participé aux travaux du Conseil du Numérique et livre ici sa vision des défis prioritaires à relever, dans le secteur des soins de santé, par les acteurs (professionnels et autorités publiques), de ressources à y allouer et de recherche de meilleure collaboration “intelligente” entre les divers rouages.
Quels sont, selon vous, les premiers défis prioritaires à relever [en matière de soins de santé]?
Julien Compère: Pour moi, le premier défi – et cela peut paraître évident mais on est encore loin dans le processus – consiste à améliorer l’intégration entre les différentes lignes de soins. La première priorité est la communication entre les hôpitaux et entre hôpitaux et médecins généralistes. Au-delà du Réseau Santé Wallon.
La deuxième priorité reste la manière de favoriser le développement de la télémédecine pour résoudre le problème du taux de remplissage des hôpitaux. Nous faisons des expériences notamment dans le domaine du télé-fond d’oeil, de l’hospitalisation à domicile…
C’est aussi un moyen de diminuer toute une série de consultations. C’est là un concept que nous devons intégrer avant qu’il ne s’impose à nous.
Avec la télémédecine, on touche au défi de l’infrastructure [l’équipement du territoire en un potentiel de communication] et de son financement et donc le rôle des pouvoirs publics…
Effectivement. Entre hôpitaux, la bande passante ne pose pas de problème. Les débits sont extrêmement élevés. Vers le patient, c’est autre chose.
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Mais, malgré tout, le principal frein, à mes yeux, est un problème de financement plus qu’un frein infrastructurel. L’infrastructure informatique disponible en général, à travers le pays, est de qualité. Peut-être pas partout, bien entendu.
Par contre, les incentives pour évoluer vers la télémédecine me semblent encore peu développés.
Julien Compère: “intégrer le concept de la télémédecine avant qu’il ne s’impose à nous.”
Quels incentives verriez-vous pour débloquer les choses?
Par exemple, mener des projets-pilote. Par exemple, si on lance une télésurveillance de patient à domicile, un financement serait prévu, avec un code spécifique de prise en charge… Cela permettrait d’avoir un return financier. Le fait est que le secteur hospitalier dispose d’énormément de données mais il est plus compliqué de pouvoir se doter des personnes qui puissent les analyser. C’est une catégorie de personnel qui n’est pas associée au concept de “rentabilité” mais qui a un coût. Demain, si on évolue vers de la cardiosurveillance à domicile, il faut pouvoir s’appuyer sur des médecins qui puissent surveiller les paramètres des patients… Or, rien de tout cela n’est financé à ce stade.
Au vu des échanges et des travaux du Conseil du Numérique, identifiez-vous une volonté voire la naissance d’un espace pour répondre à ce genre de demande?
La volonté est là. Ce dont il s’agit désormais c’est, secteur par secteur, mesure par mesure, de concrétiser les différents axes qui ont été définis.
Dans le chapitre e-santé, nous sommes prêts à venir avec des propositions très concrètes qui sont celles que j’ai évoquées, pour améliorer les choses, pour jouer notre rôle d’institution de référence en Wallonie, pour sensibiliser l’ensemble du monde hospitalier à la problématique, par exemple, du trajet de soins trans-muraux.
Comment voyez-vous l’articulation des responsabilités et des projets entre les différents niveaux de pouvoir (fédéral et régionaux) en Belgique?
Le niveau régional a pas mal de compétences, notamment sur le volet infrastructure où il peut intervenir, en matière de support, de création d’une grappe, de financement… L’un des points importants est la mise en place du Fonds numérique wallon.
Il conviendra aussi, à un moment donné, d’avoir une discussion avec le fédéral pour voir quels sont les incentives qu’il peut déployer pour l’utilisation de l’informatique. Pour le remboursement de la télémédecine, c’est clairement le fédéral qui doit jouer un rôle.
Vous parlez d’incentives. A ce propos, André Vandenberghe, directeur du Réseau Santé Wallon et directeur informatique du CHU de Charleroi, estime pour sa part [relire son interview] qu’il manque peut-être aussi des “bâtons” pour forcer le secteur des soins de santé à adopter davantage les outils informatiques…
Oui mais même si le bâton est important, ce qu’il faut surtout, c’est une carotte. Je pense que s’il y a des incitants, les gens, y compris les praticiens, intégreront l’adoption de l’informatique. C’est aussi le rôle, à un moment donné, des directions hospitalières de faire en sorte que les gens adhèrent. Je ne suis pas de ceux qui pensent que c’est uniquement sous la pression du bâton qu’on avancera. Il faut la carotte et le bâton mais je suis plutôt demandeur d’une carotte que d’un bâton…
Vous évoquez le Fonds numérique wallon. Qu’en attendez-vous?
Le secteur du numérique devient de plus en plus technique ou spécifique et la compétence d’analyse devient de plus en plus compliquée. La capacité à analyser le potentiel de développement du concept ou du produit qu’imagine une start-up et le potentiel de return sur investissement représente une difficulté technique croissante. C’est un métier en soi.
Si on veut développer le numérique en Wallonie, il faut un fonds qui, non seulement, apporte des moyens importants mais qui s’appuie également sur une équipe suffisamment experte pour pouvoir analyser les dossiers.
Qui pour endosser ce rôle, une structure existante ou nouvelle? Certains mettent en garde contre la création d’une structure supplémentaire…
Il faut sortir des querelles d’ego. Il faut avant tout quelque chose qui fonctionne. Il existe d’ailleurs déjà une structure qui a la taille suffisante pour jouer ce rôle; c’est clairement la SRIW. C’est à mon avis en son sein que le Fonds numérique wallon doit se développer. Certes, il faut capitaliser sur ce qui a été fait au sein de Wallimages Entreprises, qui investit aussi dans des sociétés numériques [Ndlr: à noter, au passage, que Julien Compère est par ailleurs le président du CA de Wallimages Entreprises], mais si on veut atteindre une masse critique, il faut sans doute accepter qu’il y ait une fusion ou un lien entre les deux structures… Ou voir comment les réunir. Il existe en tout cas une structure qui est armée pour prendre le rôle à son compte.
En ce compris en termes de disponibilité des compétences d’analyse dont vous parliez?
Je pense qu’elle devra en partie aller les chercher à l’extérieur. Mais dès l’instant où on est dans une situation de fonds plus important, il est possible d’aller recruter des personnes disposant de la compétence suffisante ou de faire des partenariats avec des structures privées… Tout est envisageable.
En termes de ressources, de moyens et de financement, l’enveloppe qui est en théorie allouée au futur Plan numérique wallon serait de 300 millions d’euros. C’est trop peu pour couvrir l’ensemble des axes et mesures qui ont été définis dans le rapport du Conseil du Numérique. Faut-il réserver des portions à l’e-santé? Ne risque-t-on pas d’éparpiller les moyens? Où placer les priorités? Et tous secteurs et priorités confondues, où placez-vous l’e-santé?
Je suis, par principe, contre la répartition par secteur, parce que c’est assez arbitraire et que cela ne permet pas de soutenir les dossiers les mieux construits. Il faut donc d’abord réfléchir aux domaines dans lesquels l’intervention du gouvernement wallon est nécessaire. Il y a des choses qui peuvent être faites par le privé, si on lui supprime toute une série de freins. Je crois que Proximus est par exemple disponible pour investir dans l’infrastructure moyennant peut-être l’abandon de la taxe Pylônes. L’ouverture du câble peut avoir un impact sur les investissements de Nethys. On a dès lors là deux exemples d’acteurs qui peuvent investir beaucoup d’argent dans les infrastructures – ce qui est nécessaire.
Julien Compère (CHU Liège): “Il faut donc d’abord réfléchir aux domaines dans lesquels l’intervention du gouvernement wallon est nécessaire. Il y a des choses qui peuvent être faites par le privé, si on lui supprime toute une série de freins.”
Pour le reste, il faut supporter les meilleurs projets, ceux où la défaillance du marché est la plus présente, où on sait que le privé n’investira pas. Typiquement, je ne crois pas que le privé supportera un jour le remboursement des consultations de télémédecine…
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