Suite de notre interview avec Frédéric Jourdain, directeur de l’Infopole Cluster TIC (relire la première partie). Il y est notamment question de la nécessité qu’il y a selon lui pour la Wallonie de se positionner, de poser certains choix technologiques. Autre sujet abordé: les efforts à fournir du côté de l’enseignement et d’un alignement des agendas entre opérateurs de formation et entreprises.
Régional-IT: Comment qualifieriez-vous la nécessité qu’il y a pour la Wallonie à se positionner, à poser certains choix technologiques? Quels sont les axes de positionnement intéressants? Les six grappes constituées au sein du cluster sont-elles définies par le politique ou le résultat du positionnement et de l’attente, des besoins, des entreprises locales?
Frédéric Jourdain: Elles sont définies par les entreprises. Elles sont issues du terrain. Sur des thèmes où on a identifié des potentiels importants de croissance et de développement. Les grappes sont au nombre de six: data centers, Internet des objets, sécurité, développements Web, serious games, et transmédia.
Chacune de ces grappes représente des besoins et des potentiels de développement importants. Exemple avec les data centers. Si on peut installer données et applications où l’on veut, la proximité demeure importante dès l’instant où l’on veut gérer efficacement l’évolution de l’infrastructure. Les entreprises du secteur ICT doivent avoir cette proximité avec les data centers.
“Les grappes sont définies en fonction des acteurs de terrains et représentent des besoins et des potentiels de développement importants.”
Côté Internet des objets, ce qui nous intéresse, c’est leur importance pour le développement industriel. Par exemple dans les domaines de la maintenance prédictive, de la santé, de la gestion énergétique. La Wallonie dispose en outre d’importantes capacités de création d’objets à valeur ajoutée.
La grappe Sécurité est importante parce qu’elle permet d’aborder, en transversal, les problématiques des data centers, des contenus de données, de l’Internet des objets, du big data, de la gestion complète des flux de données et leur authentification, etc.
La grappe transmédia est importante parce qu’elle traite du contenu de l’information et non plus de l’infrastructure. Or, la fracture numérique n’est plus une fracture technologique mais la problématique se pose désormais en termes d’accès aux contenus, de protection, de sécurité et de gestion des contenus, en ce compris en off-line, parce que les télécoms n’ont pas encore rempli leurs promesses en streaming.
L’un des axes à explorer est d’établir des relations plus pertinentes entre producteurs de contenus, sociétés technologiques et diffuseurs vers le citoyen. On y travaille avec le cluster TWIST. Cette dynamique fait parie des aspects sociétaux du programme Horizon 2020 sur lequel la Wallonie doit se positionner.
Quelle est l’urgence? Bien des choses ne vont-elles pas se jouer cette année? Tant du côté du programme Horizon 2020 que du côté des projets Feder? La lenteur de mise en oeuvre de la plate-forme commune est-elle un obstacle?
Il est temps en effet. Tout va se décider cette année. C’est évidemment trop tard pour la mise en oeuvre de la plate-forme.
Mais l’infopole Cluster TIC est sollicité par des intervenants d’autres régions pour collaborer et participer à un certain nombre de projets. J’espère que Horizon 2020 nous permettra de renforcer les collaborations avec les autres structures, que ce soit au sein de la Wallonie ou avec d’autres structures. On est en relation avec des Italiens, des Grecs, des Portugais qui sont demandeurs de collaborations avec divers outils dont nous disposons.
Frédéric Jourdain: “Le manque de cohésion empêche, en région wallonne, d’avoir une facilité de diffusion de compétences, en Wallonie et à l’étranger, et c’est sur cela que nous devons travailler.
C’aurait été mieux si on avait pu avancer en bon ordre mais cela ne nous empêche pas d’avoir des projets. Je suis assez confiant sur cet aspect des choses.”
L’absence d’une structure cohérente dans la gestion des fonds wallons est un handicap mais pas dans la perspective Horizon 2020. Elle l’est plutôt en termes d’image forte de la Wallonie et de pilotage du développement économique sur le territoire. Horizon 2020 est tellement large que les collaborations sous-régionales ont une importance limitée. Il est plus important de collaborer avec les autres régions et pays d’Europe.
N’est-il pas important malgré tout d’avoir d’abord identifié et assemblé les briques de compétences dont on dispose?
Il est clair que nous ne travaillons que sur les thématiques que traitent les six grappes. De 8 à 10 entreprises ont été identifiées par grappe et ont envie d’avancer sur le sujet. On peut prouver là de la cohérence. Par contre, dans les mécanismes de dissémination de l’information et de collaboration vers les centres de formations ou d’autres structures de financement, privées ou publiques, il faut encore justifier de cette expérience de collaboration. Il est clair qu’on pourrait aller plus loin…
Qu’en est-il des projets Feder?
Pour ce qui est des fonds Feder, les noyaux de collaboration sous-régionaux se sont mis en oeuvre. Sur Mons, Liège, Namur… On a été contacté pour servir de relais pour mettre en contact des organismes de ces sous-régions.
Mais cela reste sous-régional…
Tout-à-fait et on ne pourra pas aller au-delà. On n’est pas dans une volonté de développer le marché mais dans une volonté de développer la compétence dans les entreprises. Dans ces sous-régions, les entreprises se sont mobilisées avec leurs partenaires sous-régionaux, dans des thématiques qui sont complémentaires, en inter-régions.
N’y aurait-il pas intérêt à mettre ensemble ces compétences sous-régionales qui se complètent en inter-régions?
Quand les compétences existent dans les entreprises, notre rôle est de les mettre en collaboration dans un esprit régional.
La problématique qui se pose surtout se situe au niveau de l’acquisition de compétences. Pour une partie, le tissu économique des entreprises ICT s’est un peu appauvri. Certaines se sont développées il y a 10 ou 15 ans sur base de technologies qui étaient alors en pointe.
“De nombreuses sociétés devraient développer de nouvelles compétences par rapport à des fondamentaux qui ont vieilli.”
Certaines sont parties à l’international. D’autres sont restées très locales et se sont un peu appauvries intellectuellement, en continuant à vendre leurs produits et leurs services avec la même approche. Depuis 2007, il y a eu une grosse évolution des business models que n’ont pas suivi certains acteurs ICT locaux qui se sont concentrés sur leur business model traditionnel.
De nombreuses sociétés sont en attente de redéveloppement de nouvelles compétences par rapport à des fondamentaux qui ont vieilli.
On voit par exemple peu de sociétés belges et encore moins wallonnes dans les différents stores. Peu de sociétés se sont valorisées dans un business model qui vise la masse. Or, les outils existent. Il serait simple pour une société locale de déployer une application qui toucherait des millions de personnes et se vendrait à 1 ou 2 euros.
Les acteurs locaux ont préféré continuer à travailler dans leur secteur industriel. Or, ces secteurs bougent. On a de moins en moins de banques, d’industries… Les développements se font en Inde, en Russie, en Tchéquie…
Un autre élément a changé. Aujourd’hui, les centres de décision américains, asiatiques, ne développent plus en off-shore mais chez eux et nous imposent les applications.
Frédéric Jourdain: “Si les sociétés ne bougent pas et n’exportent pas beaucoup plus, à terme, on aura de gros soucis.”
On ne décide donc plus de développer ici. Et on nous impose les développements applicatifs. Si les sociétés ne bougent pas et n’exportent pas beaucoup plus, à terme, on aura de gros soucis. Il y aura toujours de l’ingéniosité et une activité économique ici mais il faut se rendre compte que les développements qui se chiffraient en centaines de jours/homme en RPG400, en Java pour des applications bancaires pour le Web, ne cessent de s’amenuiser et que la tierce maintenance applicative suit le même mouvement. On est désormais dans des développements de 50 ou 100 jours, plus agiles, à grosse valeur ajoutée. A des prix corrects qui permettent de dégager des marges. Il faut donc aller chercher les clients plus loin, développer de manière différente.
Il faut donc développer, grâce aux fonds Feder, des compétences qui nous permettront ensuite de faire collaborer les sociétés et de favoriser leur export. Ce qui sera le rôle du cluster. Mais pour l’instant, on est dans la phase amont de création de compétences.
Avez-vous des souhaits à formuler en matière d’enseignement?
S’il est un secteur qui est abandonné par tout le monde depuis longtemps, c’est bien celui de l’enseignement qui est en manque criant d’infrastructures, d’outils, de technologies, de formation. Et pour lequel on ne voit rien venir. Or, Dieu sait si c’est un secteur fondamental pour nous. Mais les enseignants ne sont pas formés aux nouvelles technologies, ont difficilement accès aux outils, sans parler des bandes passantes.
“Le monde de l’enseignement est en manque criant d’infrastructures, d’outils, de technologies, de formation. Et pour lequel on ne voit rien venir.”
Il n’y a pas d’intranet de l’enseignement qui permettrait d’y stocker de manière sécurisée des contenus pour les enfants. Il y a un manque criant à tous les niveaux. C’est quelque chose qui devrait être pris en charge, une fois encore de manière cohérente. Et cela manque.
C’est un point essentiel du Master Plan TIC qui ne s’est pas du tout réalisé. Et quand on voit la volonté de revendre l’ensemble des réseaux de fibre… Je ne suis pas convaincu que confier l’exploitation à une structure extérieure soit la meilleure manière d’offrir un accès à tout le monde à la fibre…
Qu’en est-il des rapports entre enseignement, formation et besoins en compétences des entreprises?
Au niveau de la formation, il y a des acteurs forts, qui fonctionnent bien- Technifutur, Technofutur… Cela nous permet de savoir quelles sont les tendances, sur quoi les gens sont formés et aux différentes structures de savoir quelles sont les attentes des entreprises. Le b.a.-ba est assuré. Mais là où il faut être plus pertinent, c’est dans l’intégration des formés dans les entreprises. Ces dernières ont des difficultés à trouver des compétences. Elles veulent des gens ayant un minimum d’expérience parce qu’elles doivent aller vite, parce que les cycles sont plus courts, parce qu’il faut sortir un développement en 10 ou 20 jours. Les entreprises ne recherchent pas forcément des gens fraîchement formés.
On pourrait donc être plus efficace en identifiant la manière dont les stages doivent être organisés.
Et les entreprises ont trop la tête dans le guidon pour accueillir efficacement des stagiaires. Alors qu’elles en ont besoin. Notre rôle serait donc d’alerter les entreprises plus tôt dans l’année, de créer des structures de collaboration entre les centres de formation, les Hautes Ecoles et les entreprises, d’identifier les besoins dans les entreprises, qui ne sont pas toujours formalisés, pour coller aux rythmes de l’enseignement.
En octobre, quand elles doivent s’inquiéter des stagiaires, les entreprises sont dans la relance dans la dernière ligne droite avant la clôture de décembre. Elles sont peu ouvertes.
Il y a un décalage entre l’année académique et le cycle économique de l’entreprise. Nous devons y travailler.
D’un point de vue humain, on est confronté à des problèmes de générations. Les directeurs informatiques des entreprises sont des gens qui sont de purs IT et se posent des questions sur leur avenir. De leur côté, les sociétés IT qui sont leurs prestataires doivent intégrer des très jeunes. et doivent donc faire le grand écart. Notre rôle, en tant que cluster, est d’aider les sociétés du secteur ICT à mieux intégrer les compétences des très jeunes et à mieux vendre ces compétences vis-à-vis de leurs propres clients.
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