Pierre Guisset, Innovity: nous vivons parfois en Absurdie, mais ce n’est pas une fatalité

Interview
Par · 07/05/2014

Invité à partager sa vision de la situation du secteur ICT local et des initiatives qui devraient ou pourraient être prises pour en assurer l’essor, Pierre Guisset, fondateur et partenaire chez Innovity et par ailleurs ancien directeur du CETIC, commence son réquisitoire par un bilan bien peu réconfortant de la situation (globale) actuelle.

“Notre modèle de société est en péril”, estime-t-il: croissance insuffisante des entreprises, “gazelles” de plus en plus rachetées par des groupes étrangers avant d’avoir pu se développer, centres de décision stratégique qui quittent le pays, attitude défensive et uniquement réactive de Bruxelles et de la Wallonie vis-à-vis de la Flandre, manque de logique et de « responsabilisation des responsables »…

Mes idées

Mesures à prendre par le prochain Ministre de l’Economie

  • favoriser l’accès à certains marchés publics par les PME régionales
  • créer un nouveau pôle de compétitivité IT
  • simplifier la procédure d’obtention d’aides publiques
  • défiscaliser les revenus du travail, conditionnellement à la croissance de l’emploi
  • favoriser l’utilisation des nouvelles technologies produites par des entreprises régionales, dans un esprit Small Business Act
  • rééquilibrer les moyens financiers consacrés à l’enseignement afin d’assurer un fonctionnement correct des “outils” (IT comprise)
  • réaliser une véritable intégration politique et économique de Bruxelles et de la Wallonie
  • concentrer les compétences de l’économie, de la recherche et des technologies nouvelles entre les mains d’un même ministre

Tous ces problèmes sont à ses yeux interconnectés. Ce qui le pousse à proposer 10 mesures que le prochain Ministre de l’Economie devrait prendre pour inverser cette spirale négative. Nous reprenons ici celles qui concernent directement le secteur IT et numérique local mais nous ne pouvons que vous encourager à lire l’ensemble de ses propositions et de ses arguments, publiés in extenso dans notre rubrique Tribune.

Pierre Guisset plaide pour une généralisation de l’application du Small Business Act, cette initiative calquée sur le “SBA pour l’Europe” initié par la Commission européenne en 2008. Le SBA wallon a, lui, été mis sur les rails en 2011 qui vise à renforcer la politique PME de la Région. Il s’articule autour de quatre grandes thématiques: l’entrepreneuriat, l’internationalisation, le financement et l’innovation.

“Favoriser l’accès des PME régionales à certains marchés publics est une des dispositions majeures du SBA”, rappelle Pierre Guisset. Cela doit permettre de favoriser l’emploi local, de crédibiliser les acteurs locaux au travers de nouvelles références-client, et de conférer aux services publics des “pratiques et outils innovants, ce qui devrait permettre d’améliorer leur propre efficacité en réduisant les coûts.”

Nous valons bien un pôle

Autre cheval de bataille de Pierre Guisset qu’il a enfourché depuis de longues années: la création des pôle de compétitivité dédiés aux technologies de l’information et des communications (TIC).

Pierre Guisset: “ La transversalité de l’ICT ne peut déforcer le secteur IT.”

Il n’a en effet jamais été convaincu par les arguments des autorités régionales (notamment un secteur trop morcelé et des technologies trop transversales, cross-secteur) pour ne pas en faire le 7ème pôle.

“Les TIC”, raisonne-t-il, “sont à la base de plus de la moitié des gains de productivité et de compétitivité dans tous les secteurs industriels. Il est impensable pour une région de ne pas mettre l’accent sur le soutien au secteur des TIC. Dans l’actuel Plan Marshall, la transversalité des TIC déforce ce secteur. Nos entreprises informatiques ont besoin de souffle, d’ambition, de modèles.

Nos entreprises IT sont orientées vers le service; elles doivent apprendre à concevoir des produits et à les commercialiser globalement. Cela devrait être la mission de base du nouveau pôle de compétitivité IT, et cela ne réduirait en rien le soutien que les entreprises et centres de recherche TIC pourraient apporter aux autres pôles de compétitivité.”

 

Des aides publiques plus accessibles

Trop lourds et trop lents. Tel est le regard que jette Pierre Guisset sur les mécanismes d’obtention d’aides publiques en Région wallonne. Autre regret: elles ne sont pas suffisamment ciblées vers les entreprises qui pourraient donner un réel coup de fouet à l’économie locale. La logique voudrait, selon lui, que l’on actionne mieux les leviers des réels gisements d’emploi. Combien faut-il créer de spin-offs pour générer autant d’emplois qu’une entreprise de 50 personnes qui triple son activité?, s’interroge-t-il.

Les procédures en place n’ont par ailleurs pas encore suffisamment recours à des outils qui permettraient de les dynamiser et de simplifier la vie des sociétés: “à l’heure de l’Internet et de l’e-commerce, donnons aux entreprises plus de transparence et de visibilité dans le suivi de l’instruction de leurs dossiers de demande d’aide, par exemple sous la forme de tableaux de suivi accessibles sur le site de la Région.”

Acclimater les gazelles

Le phénomène de “fuite des cerveaux” a depuis longtemps quitté la sphère des professeurs Tournesol et des pères de l’atome. Outre les start-ups, le rachat de nos “super-entreprises” ou autres “gazelles” par des groupes étrangers prive le pays et la région de sources d’innovation et de centres de décision. Les stratégies d’“exit”, parfois très précoces, sont favorisées, aux yeux de Pierre Guisset, par un cadre légal qui taxe davantage les revenus du travail que les plus-values sur actions. Il préconise dès lors une défiscalisation des revenus du travail des dirigeants-actionnaires de PME en croissance, “conditionnellement à la croissance de l’emploi.” De quoi encourager le dirigeant d’entreprise à soutenir la croissance de son entreprise sur la durée. Avec l’espoir de voir enfin naître et prospérer chez nous des “leaders mondiaux consolidants plutôt que consolidés.”

Autres terrains d’action prioritaires:

  • l’amélioration des outils dont disposent les établissements d’enseignement, pour lutter notamment contre une dégradation concurrentielle vis-à-vis de l’étranger et contre la démotivation des enseignants
  • la modernisation et l’amélioration de la productivité des services publics, en simplifiant les structures, en ayant recours aux nouvelles technologies produites par des entreprises régionales, “ici aussi dans un esprit SBA.”