Un peu avant l’été 2014, une nouvelle spin-off fleurissait du côté de l’ULB, à Bruxelles. AMIA Systems se propose de commercialiser la solution Simogga, un logiciel de modélisation graphique d’aménagement et d’optimisation de sites de production. Ce logiciel est le fruit de longues années de recherche au sein de l’université. Relire l’article consacré à cette start-up et à sa solution.
La “tête chercheuse” qui en est à l’origine est… une femme. Ce qui peut paraître étonnant au vu de la cible: l’usine, le monde industriel, les lignes de production et montage. Atypique? Sans doute. Toujours est-il qu’Emmanuelle Vin vient récemment de séduire le jury – très masculin – des BetaGroup Awards, dans la catégorie femme entrepreneur(e).
La voilà donc propulsée “Best Woman In Tech Startup” made in Belgium.
Comment cette chercheuse de l’ULB s’est-elle retrouvée propulsée dans le monde de l’entrepreneuriat? Quel fut son parcours, les embûches rencontrées en chemin, les défis qu’il lui faut encore relever? Les avantages et inconvénients de l’environnement académique qui fut le sien? Et l’une ou l’autre leçon retenue de son parcours? Nous l’avons interviewée pour entendre ses réponses.
Pouvez-vous nous retracer votre parcours?
Emmanuelle Vin: J’ai fait Poytech à l’ULB puis j’ai enchaîné avec un projet de recherche d’optimisation de la production, sur le thème de la fabrication cellulaire (“cellular manufacturing”), financé par le CRIF [aujourd’hui Sirris]. Ce projet ne devait durer qu’un an parce que je n’avais pas pour objectif de faire de la recherche mais bien de me lancer dans le business.
Au départ, je voulais me lancer dans le monde des entreprises. Mais l’optimisation de production m’intéressait très fort et un an de projet de recherche me permettait de faire de l’optimisation de production. J’ai donc sauté sur l’occasion.
A l’issue de ce projet, de nombreuses problématiques avaient été identifiées. J’avais ouvert de nombreuses portes et la prolongation de ce travail était très tentant. J’ai alors eu la possibilité de prolonger sous le statut d’assistante. Sujet: la mécanique rationnelle, pour les 2ème bacheliers. J’ai ensuite réalisé une thèse et j’ai ainsi pu développer l’algorithme d’optimisation de production au niveau de la mise en cellule [Ndlr: en l’occurrence l’algorithme SIGGA inspiré par les groupements… génétiques].
Après le dépôt de la thèse, un des membres du jury a estimé qu’il serait dommage de ranger le travail dans un placard. Vu le potentiel, nous avons cherché le moyen de valoriser la recherche. Le projet a alors été retenu par le programme “Spin-off in Brussels”.
Pendant deux ans, le projet a ainsi bénéficié d’investissements et de l’accompagnement par InnovIris, avec même deux prolongations (respectivement un an et six mois) afin de préparer la phase de commercialisation de la solution.
Une thèse. Trois ans de financement via InnovIris. Mais toujours, donc, en restant chercheuse au sein de l’ULB. En quoi ce cocon universitaire a-t-il été une bonne chose ou, au contraire, source de contraintes?
Cocon est un beau terme. Seule, je n’aurais pas été capable de faire aboutir le projet. Il y avait trop de choses à développer.
Je dis toujours qu’on est très chouchouté et qu’on a une opportunité énorme de se développer grâce à ce subside. Je ne suis pas sûre qu’un projet, issu de la recherche, aboutirait si on n’avait pas cet encadrement.
Pour quelle raison?
Parce que les chercheurs n’ont pas d’office le côté entrepreneurial dans la peau. Et parce qu’on est subsidié pendant toute la période test et que passer, du jour au lendemain, d’un projet académique subsidié à la création d’une entreprise représente un énorme pas à franchir.
Emmanuelle Vin: “passer, du jour au lendemain, d’un projet académique subsidié à la création d’une entreprise représente un énorme pas à franchir.
La première année, par exemple, nous ne savions pas exactement quelle direction prendre. Ce n’est qu’à partir de la deuxième année, quand on a commencé à travailler sur l’interfaçage, sur l’interaction avec les industriels, que le projet s’est mieux redéfini.
3 fois “Best”
Avant de décrocher le titre de “Best Woman In Tech Startup”, Emmanuelle Vin avait déjà épinglé deux “Best” récompenses à son tableau de chasse.
En 2009, elle se faisait déjà remarquer au Japon lors du symposium GT/CM (Group Technology and Cellular Manufacturing) qui la récompensait d’un “Best student paper”. Le sujet? “A Double Grouping Problem in Generalized Cell Formation Solved Simultaneously by an Adapted Grouping Genetic Algorithm.”
En 2001, le CRIF (aujourd’hui devenu Sirris) lui avait déjà décerné la “Best french industrial dissertation”, prix du meilleure mémoire industriel de fin d’études.
J’ai pu aboutir grâce à des stagiaires et à d’autres partenaires qui sont intervenus dans les développements [à savoir, trois stagiaires de l’ESI, dont Philippe Van Damme, finalement devenu co-fondateur d’AMIA et premier employé; et, de l’autre… le mari d’Emmanuelle Vin, Abdelkrim Boujraf, qui, actif dans l’informatique, le mari d’Emmanuelle Vin qui, actif dans l’informatique, l’a notamment aidée pour la mise en oeuvre, le bug tracking, le versioning… “tout ce qu’on n’apprend pas à l’école”].
Démarrer, en tant qu’entrepreneur, dans son garage, c’est très bien quand on est jeune ou quand on a un boulot sur le côté et qu’on peut se permettre de développer en parallèle. Dans ma situation, mariée, avec charge de famille, c’était plus délicat. J’aurais pu me financer, moi, mais pas financer une équipe.
Vous parlez de cet encadrement en termes positifs mais ce contexte universitaire a-t-il aussi ses inconvénients lorsque l’on veut lancer un projet?
Oh oui, bien sûr! On nous demande d’avoir l’esprit entrepreneur et d’agir comme si on était déjà le patron de la société mais sans la liberté qui s’y rattache classiquement. En raison de l’apport de subsides, nous sommes soumis à des règles très strictes en matière d’utilisation des subsides – ce que je comprend – mais ce n’est pas toujours facile de s’en sortir. J’ai par exemple dû en passer par plusieurs appels d’offres pour les développements… et quelques galères. Donc, oui, il y a quelques points négatifs mais qui ne font pas le poids par rapport aux points positifs…
Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ou assoupli à votre avis?
Du côté du processus Spin-off, un subside plus rapide pour un co-fondateur serait intéressant. Pour moi, le gros défi est de sortir d’une thèse, où on est tout seul, et de repartir sur un projet spin-off où on est à nouveau tout seul. Trouver rapidement un partenaire permet de gagner beaucoup de temps. C’est plus facile d’avancer quand on a quelqu’un avec soi.
Ce co-fondateur, ou cette personne mise à disposition, doit avoir quel profil?
De manière personnelle, je dirais un background IT, pour la conduite du projet informatique, et un background MBA, ce qui était complémentaire à ma propre formation technique. D’autres porteurs de spin-off recherchent davantage un alter ego commercial qui puisse, à terme, prendre le poste de CEO. Tout dépend du profil du porteur de projet et du projet lui-même…
En dehors de l’aspect purement financier [par InnovIris], avez-vous bénéficié d’une aide, d’un support, d’un encadrement?
Nous sommes en effet très suivis par le service TTO [Technology Transfert Office] de l’ULB qui encadre les chercheurs pour le dépôt du projet, pour la rédaction d’un plan financier et les négociations. Mais pour beaucoup d’autres compétences, nous sommes un peu laissés à nous-mêmes. Or, quand on se lance, on n’est pas suffisamment formé à tout. Il faut gérer la partie RH, le recrutement, la partie légale… C’est surtout cela qui est compliqué pour un porteur de spin-off.
EEBIC nous aide aussi à nous préparer pour passer devant le Fonds Theodorus [pour l’obtention d’un financement] mais on reste, là encore, dans la lignée plan financier-investisseurs.
Quid du droit de premier regard, de premier investissement de l’université, qui vous empêche de choisir, au départ, le partenaire financier de votre choix… N’est-ce pas là une contrainte, un inconvénient potentiel?
Deux choses à ce sujet. L’IP [propriété intellectuelle] appartient à l’ULB puisque le projet a été développé à l’ULB. On est donc lié au processus de passage devant un comité de valorisation où on négocie une licence et de passage devant le Fonds Theodorus qui a le droit de premier refus. Ce n’est qu’en cas de refus qu’on peut s’adresser à d’autres investisseurs. Le problème est le suivant: lorsque l’on en arrive à ce stade, les délais sont tellement courts [le projet arrivant alors en fin de financement par InnovIris et devant se trouver une assise financière] que les chercheurs ne sont pas dans des conditions très confortables pour aller chercher une solution ailleurs…
Plus on tarde dans la négociation, plus la date de création de la société recule et plus on se trouve en situation inconfortable. Dans mon cas, par exemple, je ne voulais pas voir s’envoler le stagiaire [et futur co-fondateur].
On est certes lié au Fonds Theodorus mais il y a là aussi un avantage. Si le comité apprécie le projet, cela nous évite la phase de recherche de fonds et, dès lors, de devoir éventuellement passer un an à chercher un financement. Pouvoir solliciter le Fonds Theodorus nous fait gagner du temps.
Ndlr: A noter que le Fonds Theodorus n’a plus de priorité pour les tours de financement ultérieurs. La spin-off peut dès lors les mettre en concurrence avec d’autres investisseurs. Au Fonds dès lors de décider à ce stade s’il désire réinjecter du capital [plafond: 1,5 million par projet] et continuer d’accompagner le projet.
Emmanuelle Vin tient par ailleurs à souligner que le Fonds Theodorus est représenté au conseil d’administration “et a donc son mot à dire. D’autant plus qu’il est majoritaire dans le capital. “Comme l’IP appartient à l’ULB, Theodorus investit en nominal. Ce qui constitue une grosse épine pour certains chercheurs…”
Premier investissement
AMIA a bénéficié d’un apport de fonds du Fonds Theodorus à hauteur de 650.000 euros, “de quoi tenir au moins les deux premières années mais en se focalisant sur la commercialisation. Ces capitaux, par contre, ne seront pas suffisants pour poursuivre les développements. Nous devrons donc trouver une solution: dépôt d’une autre thèse, recherche de subsides du côté d’InnovIris ou au niveau européen…”
Cette éventuelle thèse pourrait porter sur le développement d’une solution de positionnement optimisé dans un layout, une sorte de solution “pousse-bouton” qui automatiserait l’aménagement de l’espace en fonction de la disposition physique des lieux, des surfaces de machines et outillages…
Quels ont été pour vous les principaux obstacles?
L’embauche de la bonne personne, un bon commercial en supply chain. Toute la paperasse administrative.
Les qualités à maîtriser? “La volonté de créer quelque chose. Toujours en vouloir plus, vouloir aller jusqu’au bout.”
Restez-vous liée, d’une manière ou d’une autre, à l’université?
J’ai gardé un pied dedans en restant collaborateur industriel. On a toujours un lien parce qu’on garde la possibilité d’encadrer des mémoires ou des thèses. J’ai pour ma part décidé de garder un lien fort afin d’avoir des contacts avec les étudiants, les stages, les mémoires…
Quelles sont les qualités requises pour lancer et réussir dans l’aventure du lancement d’une spin-off?
La volonté de créer quelque chose. Le côté entrepreneur dans la peau. Toujours en vouloir plus, vouloir aller jusqu’au bout.
Pour ce qui est des qualités à acquérir, elles se trouvent plutôt du côté management puisqu’en tant que chercheur, on y est moins habitué. Une formation de coaching personnel serait utile, de même qu’être suivi davantage sur le terrain pour gérer une équipe, recruter…
Au-delà de cela, il faut avoir l’esprit ouvert, pour avancer dans la négociation, faire aboutir son projet. Et ne pas avoir peur d’aller à la rencontre des autres pour échanger, se former… On est finalement peu de chose en démarrant.
Avez-vous vous-même, en cours de projet, beaucoup cherché à rencontrer des entrepreneurs chevronnés ou d’autres débutants, porteurs de projet?
J’étais très demandeuse de cela parce que dans le monde de la recherche et de l’université, on n’échange pas énormément entre services. J’avais besoin de rencontrer d’autres chercheurs qui étaient plus avancés dans leurs projets, dans le processus de négociation… On avait mis au point, avec le TTO, des “Midis d’échanges” entre porteurs de projets. C’était important. Aujourd’hui, je continue d’avoir des contacts avec d’autres créateurs de spin-off… On a beaucoup à en apprendre.
Quels sont désormais les prochaines étapes, les prochains défis?
Agrandir l’équipe. Savoir vers quoi s’orienter. En fonction des contrats qu’on pourra décrocher, il faudra déterminer si on s’oriente davantage vers du développement de logiciel ou vers des missions. Et donc s’il faut rechercher davantage des développeurs ou des consultants pre-sales techniques.
Deuxième défi: le return de la mise en place d’un réseau indirect, return qu’on sait long. Il faut donc bien valider les partenaires cette année afin de décrocher des projets par leur entremise.
Il faut aussi se faire connaître. Ce qui explique que nous multiplions actuellement les présentations, les présences à des événements de réseautage…
Est-ce plus difficile de percer en tant que spin-off – ou start-up – dans le secteur industriel que dans d’autres?
Probablement. J’ai l’impression que dans le monde Web ou des applications mobiles, ils sont tous petits, ils sont tous jeunes. Dans un sens, c’est donc plus facile pour eux. Le monde industriel, lui, a déjà ses partenaires, est difficile à convaincre pour des changements en interne. Le fait de devoir s’imposer comme nouveau partenaire est plus ardu encore. Autre problème: les cycles de vente sont très longs.
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