Les comportements “risk averse” qui, trop souvent, défavorisent les jeunes pousses et les petits acteurs locaux sont un obstacle majeur à la percée de talents. François Van Uffelen invite les associations patronales à agir plus concrètement et à y porter remède pour favoriser l’innovation.
François Van Uffelen, directeur de Babelway, se trouve sans doute aujourd’hui à une étape charnière dans la vie de sa société, créée en 2008. La majorité des investissements consentis, obtenus pour partie auprès d’investisseurs locaux, ont été faits dans le volet technologique. Pour déclencher la prochaine étape de croissance, il lui faut penser davantage marketing, expansion commerciale et présence à l’international.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il a décidé de participer au programme DIV Dragons.
Ce programme, estime-t-il, tombait à pic pour épauler le parcours de Babelway. La société avait atteint un plateau dans sa croissance. Les conseils- et le carnet d’adresses- d’un coach ayant une expérience concrète de la gestion et du développement de sociétés technologiques sont un coup de pouce essentiel pour débloquer des situations de stagnation et combler un manque de compétences internes. Surtout lorsque l’ambition est au rendez-vous alors que les moyens locaux se font désirer.
A cet égard, François Van Uffelen regrette amèrement qu’“en Région wallonne, on voie les choses trop en petit, avec trop peu d’ambition.” Comme d’autres sociétés, Babelway a bénéficié d’aides publiques (subsides, avances récupérables). Son capital s’est ouvert à des intervenants tels que Sherpa Invest, e-merge ou NivelInvest. Mais son problème actuel est de trouver le moyen d’“accélérer le business”.
“J’aimerais que les gens [et il vise en cela le monde des investisseurs locaux au sens large] comprennent mieux quels sont nos besoins, quelles sont les conditions de réussite pour une société hi-tech. Aucun produit technologique, en fait, n’est local. Soit on joue dans la course du leadership mondial, comme c’est notre ambition, soit on se contente d’une course où l’on devient un simple service provider local. Le problème, en Belgique et en Wallonie, est que si une société a un beau produit et un bon potentiel, mais qu’il se trouve un produit quelque peu similaire aux Etats-Unis, cet autre acteur trouvera de l’investissement mais pas le produit wallon. Et les Wallons achèteront le produit américain.” Même s’ils pouvaient trouver l’équivalent, voire mieux, à côté de chez eux.
Une start-up a plus de valeur intrinsèque
Le fait qu’une société hi-tech locale ne perce pas à l’international ne peut sans doute pas être uniquement imputé à un manque de financements. Une réalité qu’admet et souligne même François Van Uffelen: “il y a tout d’abord cet autre paramètre de la taille du marché. Il est petit. Juste petit. Et en plus on veut encore le découper… [allusion à nos problèmes égoïstement communautaires]. Mais un autre phénomène doit être combattu. Les personnes responsables des achats technologiques sont sensiblement moins start-up et innovation friendly que leurs homologues anglo-saxons, par exemple. Un Américain aime acheter un produit d’une start-up. Pour lui, c’est un comportement amusant, valorisant. Chez nous, c’est vu comme un comportement risqué. On a donc beau innover, il y aura toujours moins d’acheteurs qui s’extasieront devant le produit, plus de gens qui se montreront méfiants face à l’innovation. J’ai pu le vérifier lors d’une mission de l’Awex aux Etats-Unis. Nous n’avons eu aucune difficulté à rencontrer 8 ou 9 prospects de taille relativement importante. Quand je leur ai demandé pourquoi ils acceptaient de nous rencontrer, nous une petite start-up wallonne, ils m’ont répondu: parce que, justement, vous êtes une start-up, parce que vous allez sans doute m’apprendre quelque chose. Cette heure que je vais passer avec vous sera plus instructive qu’une heure passée avec un grand groupe établi”.
Moins de paroles, plus d’actes
Cette spontanéité à aller vers les start-ups n’existe pas (ou peu chez nous), déplore François Van Uffelen. Selon lui, les autorités publiques wallonnes commencent à modifier leur discours, à se faire l’apôtre de cette veine d’innovation. Mais, à elles seules, elles ne peuvent inverser la tendance, ou les comportements trop ancrés.
Pour François Van Uffelen, la cible à convaincre et convertir se situerait donc plutôt du côté d’acteurs tels la FEB ou l’UWE, ceux-là même qui sont (en principe) les représentants des entreprises. Petites comprises.
“Il faut s’adresser à eux [et, à travers ces organes, aux membres qu’ils représentent] et leur dire: soyez ouverts, voyez l’intérêt que vous avez à travailler avec une société près de chez vous. Vous en retirerez plus de valeur. Vous susciterez plus de valeur ajoutée que si, par vos comportements d’achats, vous condamnez l’acteur local à ne rester que simple service provider.”
Autrement dit, il faut agir au niveau du réflexe d’achat, combattre la frilosité face au risque perçu, toujours ressenti comme plus important lorsqu’il s’agit d’une start-up ou d’un acteur modeste. “Jean-Claude Marcourt, à lui seul, ne résoudra pas le problème. Mais Jean-Pierre Delwart, par exemple [président de l’UWE], a un rôle à jouer. Lui et son discours sur une Wallonie ambitieuse, sur l’urgence de l’ambition.”
Ce qu’il faut attendre voire exiger de lui et d’autres? “Organisez des sessions de sensibilisation, avec les patrons de la vingtaine de sociétés basées en Wallonie qui emploient plus de 500 personnes. Les Arcelor et autres sociétés de cette envergure. Faites passez ce message: lorsque vous achetez de l’IT, arrêtez d’inclure des freins dans vos appels d’offres. Du genre, 10 ans d’existence. Voyez l’intérêt que vous avez à faire exister des champions dans votre jardin plutôt que de les étouffer.”
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François Van Uffelen : “La mantra est souvent: faites d’abord avec vos moyens, on vous aidera ensuite alors que notre point de vue en tant que managers serait plutôt de dire donnez-nous d’autres moyens et nous ferons mieux”.
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L’ambition du risque
Pour François Van Uffelen, ce devrait être un devoir de tout acheteur IT, qu’il soit privé ou public, d’être à l’écoute de l’innovation. Et il y a, selon lui, à cet égard, un “problème structurel en Wallonie. Celui du no risk. Or, il est possible d’y remédier. Voyez, pas très loin de chez nous, le comportement des acheteurs néerlandais. Il est plus ouvert, quitte à prendre des risques en achetant un produit qui a tout juste un an, avec peut-être encore des maladies de jeunesse. Tant que nous aurons ce comportement no risk, tant qu’on achètera plutôt de vieux produits que de nouveaux, la Wallonie ne sera pas innovante. Une Wallonie ambitieuse est une Wallonie qui prend des risques.”
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