L’envie de se lancer, de créer, d’entreprendre n’est pas une discipline dans laquelle les Belges- et les francophones en particulier- se sont particulièrement distingués par le passé.
Certes, le nombre de “start-up” est en hausse mais les bases, les conditions fondamentales, de l’entrepreneuriat n’ont pas pour autant été améliorées. Il sera intéressant- et révélateur- d’ici quelques années de faire le bilan de ces créations de jeunes pousses- en termes de validité du projet, de longévité, de pertinence, d’ampleur de la réussite. Notamment parce qu’un degré trop élevé d’initiatives galvaudées fera resurgir le spectre de l’échec.
A quoi donc tient l’envie d’entreprendre? Quelles en sont les racines? De quoi se nourrit l’émulation? Et si tout commençait bien plus tôt, dans le cercle familial, la culture du qu’en-dira-t-on, le terreau de l’enseignement… C’est là, avant tout, qu’un changement est nécessaire, plaide Loïc Bar, responsable business development pour The Smart Company.
Manque de repères
Selon lui, l’un des problèmes des jeunes- et des jeunes entrepreneurs- est de n’avoir jamais été mis en situation de gestion avant de se jeter à l’eau. En cause, estime-t-il, “des repères, en milieu universitaire, décalés par rapport à la réalité économique.”
Dans les filières IT, dénonce-t-il, les cours ne préparent absolument pas les étudiants à se soucier et à gérer des contraintes telles que la satisfaction du client ou l’utilisabilité de la solution développée.
Loïc Bar: “J’ai plus raté que réussi des choses. Mais le fait de rater m’a apporté plus de choses. Si je suis là où j’en suis aujourd’hui- et j’en suis très heureux- c’est parce que j’ai raté avant…”
Lui, personnellement, estime avoir eu la grande chance que son école [l’Inpres, Institut Provincial d’Enseignement Supérieur de Seraing, désormais intégré à la Haute Ecole de la Province de Liège-HEPL] lui ait permis de se confronter à la réalité: “l’Inpres m’a laissé faire un parcours un peu à la carte, m’a laissé prendre le chemin de l’entrepreneuriat, en me laissant partir à des conférences, en me dispensant de travaux pratiques afin de pouvoir travailler dans le milieu de l’entreprise! Mon travail en société, qui était naturellement lié à ce que nous devions faire en laboratoire, a servi de travail de fin d’études. J’ai travaillé davantage et j’ai pu avoir une vision claire de ce qu’on attend sur le terrain.”
Il est vrai qu’il a été très tôt un “cumulard”: études, 12 heures de stage par semaine (dispensé de 4 heures de labo) et, pendant deux ans, un job de webmaster (8 heures/semaine). Le terrain, il l’a aussi appris à la faveur d’un stage d’été Erasmus (3 mois en Grèce) “pour une expérience professionnelle supplémentaire.”
Au-delà des formations classiques, ce qui compte plus que tout, d’après lui, c’est de pouvoir se construire son réseau, d’être confronté à des cas réels. Et la chose vaut aussi bien pour les études que pour l’accompagnement qui est traditionnellement proposé à des start-ups. En ce compris dans le cadre d’incubateurs, voire d’“accélérateurs”.
Formations? Des modèles à revoir
“Un (néo-)entrepreneur n’a pas le temps de suivre des formations.” Plongé dans son projet, il n’a pas la possibilité de lever le nez du guidon. “Ceux qui ont du temps pour de la formation ne font pas du business”, assène Loïc Bar.
En fait, les gens qui vont à des sessions de formation y vont moins pour le contenu que pour réseauter et créer des contacts. Car la formation pure, on peut aujourd’hui se la mitonner sans devoir se plier à des programmes et sessions rigides. “Un entrepreneur trouvera toujours le moyen de se former. Via Internet, via des cours en-ligne, donnés notamment par des institutions de grande réputation. On trouve d’ailleurs probablement sur Internet des contenus plus à jour que ce que proposent les formations classiques…” Consommer de l’apprentissage en fragments adaptés aux réels besoins, échanger des acquis et expériences. Voilà ce qu’un jeune entrepreneur tel que Loïc Bar privilégie, par souci d’efficacité.
L’un des problèmes des jeunes entrepreneurs est de n’avoir jamais été mis en situation de gestion avant de se jeter à l’eau.
A de la formation pure, classique, il préfère de toute évidence les échanges d’expérience. Il lui est par exemple arrivé lui-même de jouer les mentors à la demande de l’ASE (Agence de Stimulation Economique). Certes, cela représente un investissement non négligeable en temps mais “se retrouver avec des gens qui partagent un même intérêt a pour effet que j’en apprend peut-être plus moi-même que ce que j’y apporte. On apprend davantage en échangeant et en se confrontant aux autres qu’en formation, même avec un expert.”
Loïc Bar (The Smart Company): “Moins d’accompagnement, plus de réalisations. Moins de conseils, plus de mains dans le cambouis.”
Ce modèle échanges et de discussions libres, sans entraves, il le préconise aussi pour l’enseignement. Un peu à la manière des universités américaines. “Certains professeurs vont jusqu’à mettre tous leurs cours en-ligne afin que cet apprentissage-là soit extrait de l’enceinte des amphis. Les cours ne servent plus qu’à des discussions. De cet échange de points de vue multiples naît la créativité.”
C’est là l’une de ses autres recommandations: faire multiplier les opportunités de confrontations d’idées, dès les bancs d’école. Son exemple personnel? “J’ai suivi les cours mais je n’ai acheté aucun syllabus. Par contre, j’ai lu des livres écrits, sur le même sujet du cours, par d’autres professeurs. Cela m’a permis d’amasser plus de connaissances et de points de vue en même temps.” Et l’univers on-line n’est qu’une dimension exponentielle de ce modèle.
Un enseignement trop formaté
Loïc Bar n’est guère tendre avec le modèle d’enseignement qu’on connaît chez nous. Même si la cause des lacunes qu’il pointe du doigt ne sont pas uniquement à mettre sur le compte des structures et du corps enseignant. Les étudiants, eux aussi, doivent probablement revoir leur manière de “consommer” ce qu’on leur inculque.
Mais le fait est que Loïc Bar déplore amèrement que les jeunes que The Smart Company accueille en stages n’aient que très rarement une approche dynamique par rapport aux choses qu’on leur demande. “Ils sont perdus, ne parviennent pas à mettre leurs cours en pratique. Les rares qui proposent des réponses intéressantes sont ceux qui ont déjà entrepris des choses. Que ce soit parce qu’ils ont déjà travaillé, par exemple, dans l’entreprise de leurs parents ou parce qu’ils ont travaillé pour une asbl.”
Ouvrir les portes
Bien plus que de la formation ou du coaching, ce qu’attendrait et ce dont aurait surtout besoin un entrepreneur, selon Loïc Bar, c’est qu’on l’aide à se construire des relations, un réseau, qu’on lui ouvre des portes “là où il en a besoin.”
Qui est ce “on”?
L’entourage familial bien entendu. A cet égard, Loïc Bar a eu la chance d’avoir des parents qui “m’ont aidé, lorsque j’ai voulu me lancer, en ayant beaucoup d’ambition pour moi et en ouvrant des portes pour me pousser à aller au bout de mes idées. Ils ne m’ont pas formé, ni coaché, juste aidé à ouvrir des portes.”
Le “on”, c’est aussi l’école. Il faudrait selon lui davantage de profs qui se démènent pour trouver, pour leurs étudiants, des stages, des contacts avec le monde des entreprises ou celui des associations “toujours très demandeuses de renforts pour travailler sur des projets.” C’est là une source sous-exploitée de créativité pour les néo-entrepreneurs.
Mais le “on” concerne aussi et surtout les acteurs publics.
Aux Pays-Bas, par exemple, des quartiers ont été aménagés dans un esprit de développement durable, où il est possible aux jeunes entrepreneurs de venir placer leurs produits pour qu’ils soient utilisés, en situation réelle, par les habitants et occupants. Un principe de “living labs” qui favorise la fertilisation croisée de projets et d’usages.
“Ce genre d’initiative est une occasion fabuleuse. Cela permet aux néo-entrepreneurs de confronter leurs produits à la réalité de terrain.” Et ce serait du gagnant-gagnant aussi pour la Région” puisque ce genre de politique permet de mettre le pied à l’étrier, de faire mûrir des projets, de générer de l’emploi, de bénéficier de réalisations proposées à prix avantageux par des gens impliqués et motivés. Les concepts, eux, seraient validés concrètement, à coût réduit pour ceux qui servent d’environnement pilote. Les futurs entrepreneurs, eux, y gagneraient une carte de visite, un curriculum vitae renforcé.”
Et il y aurait même retour d’ascenseur possible: “si vous donnez cette chance à un étudiant ou à une start-up, il ou elle sera prête demain à tester à son tour un produit, une innovation qu’on lui demanderait d’accueillir.”
Un besoin de proactivité
S’il est un point sur lequel l’avis de Loïc Bar rencontre celui de nombreux autres observateurs, c’est sur l’élément qui, généralement, bloque un projet. A savoir: son financement. Là encore, il évoque le problème du “nez dans le guidon” pour expliquer qu’un jeune porteur de projet (ou porteur de jeune projet) n’a guère le temps de partir à la chasse aux aides. A la fois par manque de temps et par manque d’expertise pour monter le dossier. Et parce qu’il n’a pas les moyens financiers pour engager l’expert qui pourrait le faire à sa place.
Exemple-type de montagne infranchissable, selon lui: les projets européens: “comment un néo-entrepreneur pourrait-il concurrencer une grande entreprise qui a une équipe de 20 personnes dédiées à la seule préparation du dossier?”
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