Notre royaume bénéficie aujourd’hui d’un écosystème favorable permettant l’émergence de nombreuses start-ups, même si des défis persistent face à la concurrence mondiale.
Le parcours de Fabien Pinckaers, fondateur d’Odoo (ERP et CRM open source) est prometteur. Signe avant-coureur, il montre qu’aujourd’hui, en Belgique, le major d’une école d’ingénieurs va choisir l’entrepreneuriat. Les top-entrepreneurs sont de plus en plus jeunes. Cette mue est une excellente nouvelle. La Belgique a une histoire d’inventeurs, de chercheurs, d’ingénieurs, mais n’a fait émerger quasiment aucune grande ou très grande compagnie technologique ces 40 dernières années, quand les Américains et les Chinois en comptent des dizaines.
La faute, en bonne partie, à ne pas avoir réussi à prendre dès le départ la vague du numérique mais également au fait de ne pas être parvenu à se doter d’une vraie industrie financière du capital-risque. Dans ces domaines-clés, les Belges ont accusé un retard à l’allumage. Résultat, Odoo ne rivalisera jamais avec SAP.
Et pourtant, l’Etat n’a cessé d’augmenter les moyens mis à disposition des entreprises innovantes pour les soutenir. Mais l’impulsion des pouvoirs publics n’a pas été déterminante pour faire émerger, en nombre, des pépites belges.
L’impulsion étatique s’est aussi manifestée, à la marge, à travers des réformes de la fiscalité favorables aux start-ups (fiscalité sur les stock options, tax shelter entreprises). Certes, tout cela a permis à la Belgique de renvoyer une image d’un pays où l’entrepreneuriat n’est pas un gros mot. Avec un résultat – nettement – insuffisant: la Belgique ne compte qu’une licorne “made in Belgium”, ces start-ups valorisées à plus d’un milliard de dollars.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Pas de grand acteur techno-numérique belge? La faute, en bonne partie, à ne pas avoir réussi à prendre dès le départ la vague du numérique mais également au fait de ne pas être parvenu à se doter d’une vraie industrie financière du capital-risque.”
Aujourd’hui, les fonds américains n’ont toujours pas découvert le lilliputien marché belge et ne viennent donc pas y faire leurs emplettes, à quelques exceptions près (comme récemment le fonds privé Summit Partners pour Odoo…).
On réussit, à grand peine, à faire de la Belgique un pays de start-ups (nos entreprises font plus “start”, que “up”), mais il faut qu’on passe à un autre niveau, qu’on réussisse à créer de très grandes entreprises technologiques.
De nombreux obstacles sont identifiés. Tout d’abord le vivier n’est pas assez riche. Un récent rapport du fonds Atomico (fonds d’investissement britannique qui produit le rapport annuel “State of European Tech”) établit que la Belgique produit trois fois moins de créations d’entreprises que la France, qui elle-même en produit trois fois moins que l’Estonie…
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Faisons en sorte qu’avant cinq ans les start-ups belges passent ensemble le cap du milliard d’euros levés.”
Autre point faible, nous n’avons pas de fonds d’investissement capables de mener de très gros tours de table, pour éviter que les entreprises du royaume ne passent sous pavillon étranger.
Ce fut le cas de Collibra (Intelligence Artificielle dans la gestion des données), devenue la première (et jusqu’ici la seule) licorne made in Belgium… mais dont la majorité du capital est détenue par des acteurs étrangers. Sur des levées de tels montants, les Belges ont du mal à suivre.
Faisons en sorte qu’avant cinq ans les start-ups belges passent ensemble le cap du milliard d’euros levés. Voici quelques idées pour souffler le vent dans les voiles de la scène tech du royaume, réduire drastiquement la frilosité des investisseurs, développer les levées de fonds importantes (plus de 50 millions d’euros) et éveiller l’intérêt des grands argentiers de la tech (tels que le groupe japonais Softbank et consorts…).
Lançons un fonds public de financement, pour une fois totalement indépendant des structures faîtières telles la SRIW, Finances&Invest.brussels, ou la GIMV. Totalement indépendant afin qu’il ne soit pas contaminé par la lourdeur, la torpeur, le manque d’imagination, de ces dinosaures qui, malgré leurs efforts épars, n’ont pas réussi à éviter que des start-ups made in Belgium prometteuses aillent chercher des capitaux à l’étranger.
Nos coupoles d’investissement n’ont créé que bien trop peu d’émulation parmi leurs filiales régionales mais, surtout, une terrible “médiocratisation” de l’ensemble des acteurs du financement des entreprises.
Leurs diverses stratégies, visant à multiplier les start-ups en leur facilitant l’accès au financement ou en y prenant une participation, ont été mal conçues et encore plus mal appliquées. Il faut les juger aux résultats: la Belgique reste en queue de peloton des statistiques européennes en matière de création d’entreprises… et un désert en matière de financement des scale-ups.
Du prêt participatif public
Ce fonds public d’un nouveau type (une primauté belge) doit devenir un bras financier original de l’Etat pour soutenir à la fois les entreprises émergentes et celles qui “changent d’échelle”. Son principe de financement sera exclusivement le prêt participatif, sous forme de contrats de royalties. Il ne s’agira donc plus de prêts classiques ou de prises de participation au capital des entreprises émergentes. Techniques traditionnelles trop contraignantes, trop longues, trop peu flexibles, trop coûteuses, bref, trop dissuasives.
Pour les emprunteurs, le financement participatif par royalties évite la dilution et l’endettement. On entend souvent les entrepreneurs dire qu’ils n’ont pas envie de perdre le contrôle, la richesse, le pouvoir, voire leur âme, en ouvrant leur capital. De même, on entend souvent des gens dire (notamment lors du sauvetage de nos banques en 2008) que l’Etat n’a pas pour vocation de devenir actionnaire de telle ou telle activité…
Pour les prêteurs, cette technique de prêt basée exclusivement sur des modèles de revenus prévisibles amenuise l’aléa moral (beaucoup moins de risques d’asymétrie d’information entre les parties puisque tout prêt dépend d’un critère simple observable, mesurable, paramétrable: le revenu brut (ou net) des ventes effectuées…) et diminue significativement les risques de perte totale. D’ailleurs, il n’y a ici plus de risque d’“illiquidité” (lorsqu’il n’y pas d’acheteurs pour les actions détenues par l’investisseur).
Comme les royalties (un pourcentage sur le chiffre d’affaires réalisé) sont reversées périodiquement (principe du remboursement fractionné), cela engendre un flux continu de trésorerie pour le fonds public permettant à tout contributeur au fonds de récupérer progressivement (et parfois rapidement) son argent si nécessaire.
Bien conçu et bien utilisé, le financement par royalties est moins long et moins risqué que l’investissement en capital tout en étant suffisamment rentable. Ce mode de financement qui optimise les flux de trésorerie (y compris ceux du fonds public) a beaucoup pour plaire également aux assureurs belges, des contributeurs institutionnels occasionnels assis sur de colossaux volumes de trésorerie et pourtant peu présents dans le financement de nos entreprises.
5 milliards d’ici fin 2024
Et c’est un argument que le gouvernement doit invoquer pour qu’il obtienne d’eux qu’ils investissent 4 milliards d’euros dans les sociétés innovantes. Ce qui devrait permettre de réunir 5 milliards d’ici à la fin de l’année 2024: 0,5 milliard d’euros mise de départ de l’Etat + 0,5 milliard d’euros provenant de fonds structurels européens + 4 milliards des assureurs belges.
Un partenariat public privé (PPP) doté de 5 milliards d’euros, exclusivement basé sur le principe de la Revenue Based Finance, afin de financer des start-ups/scale-ups à divers stades de leur croissance. Aujourd’hui, il nous faut être pragmatique et attirer les investisseurs étrangers mais l’ambition qui doit être portée par l’Etat est de faire croître les fonds belges.
Ce PPP d’un genre nouveau est la pierre angulaire pour fortifier et valoriser (ajouter de la valeur) nos entreprises qui passent à l’échelle supérieure. L’argent prêté permettra de financer tout ce qui favorisera le développement de leurs ventes (matériel, équipement, marketing, recrutement…), ce qui accroîtra leur valeur transactionnelle leur permettant ainsi d’ouvrir leur capital à de grands argentiers internationaux à de bien meilleures conditions (notamment en réduisant la dilution et en gardant intacte leur capacité d’emprunt bancaire ou d’obtention de subsides).
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Aujourd’hui, il nous faut être pragmatique et attirer les investisseurs étrangers mais l’ambition qui doit être portée par l’Etat est de faire croître les fonds belges.”
Créons en même temps le label “Belgian tech” pour promouvoir les entrepreneurs belges du numérique.
Par ailleurs, beaucoup d’entrepreneurs déplorent la faiblesse de la commande publique. La Belgique n’a jamais été exemplaire à ce sujet. Pour propulser le secteur, le gouvernement doit miser sur la “deep tech”, la deuxième vague de la révolution numérique.
Contrairement à la première, qui reposait sur l’avènement d’Internet, celle-ci s’appuie sur la recherche fondamentale pour faire émerger des innovations de rupture dans la santé, l’environnement, la sécurité, la mobilité… Pourquoi ne pas ambitionner d’y voir émerger 50 nouvelles start-ups par an?
Autre piste à explorer: la création d’un Nasdaq à la belge. Plaisons-nous à imaginer un Bel20 composé à moitié de valeurs technologiques…
Enfin, espérons que le gouvernement comptera profiter de son prochain passage à la présidence tournante de l’Union européenne, pour faire progresser le dossier du numérique. Faute d’avoir réussi à créer un marché réellement unifié, le Vieux Continent reste un terrain de jeu compliqué pour ses start-ups, quand un entrepreneur américain est assuré à domicile de pouvoir accéder directement à un marché de plus de 300 millions de consommateurs.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Miser sur la “deep tech” qui s’appuie sur la recherche fondamentale pour faire émerger des innovations de rupture dans la santé, l’environnement, la sécurité, la mobilité…”
L’enjeu est majeur. La Belgique et l’Europe risquent de se faire définitivement distancer par la Chine et les Etats-Unis. La seule réponse est de se donner des objectifs ambitieux. En France, Emmanuel Macron a justement déjà fixé un nouvel horizon: que l’Europe fasse naître 10 entreprises valorisées à 100 milliards d’euros d’ici à 2030 (1). Mais combien seront belges?
Carl-Alexandre Robyn
Architecte financier pour entreprises émergentes
Çabinet VALORO
(1) L’Allemagne a déjà sa première “décacorne”: le groupe Celonis (logiciels de service – process mining and execution management software) a dépassé la valorisation de 10 milliards de dollars.
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