Changements d’habitudes, recherche d’économies en période de crise, nouvelles possibilités données par les technologies (géolocalisation, réseaux sociaux…), l’un des grands thèmes du moment est l’“économie participative” ou “économie de partage” (sharing economy).
Une conférence, organisée la semaine dernière par le CESE (Comité Economique et Social Européen), avait choisi ce thème, invitant des représentants de l’Union européenne, des acteurs traditionnels et des “newcomers” – parmi lesquels Uber ou encore OuiShare – à venir échanger points de vue et arguments.
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Uber… survolté
Il n’y a pas réellement eu de débat direct entre les “anciens” et les “nouveaux”, lorsque le sujet abordé fut celui des partenariats à envisager en matière de “mobilité partagée” entre acteurs participatifs et associations professionnelles et/ou industrielles. La représentante de l’IAPT (International Association of Public Transport) s’est contentée d’un discours assez traditionnel, soulignant notamment que “la ville doit demeurer attractive” et qu’il s’agit dès lors de “garder un oeil prudent sur l’impact des innovations et des nouveaux modèles économiques.”
Dominick Moxon-Tritsch (Uber): “A Bruxelles, le régulateur se fait défenseur des prestataires. C’est un échec de la politique.” (Source photo: Helsingin Sanomat)
Par contre, Dominick Moxon-Tritsch, responsable Politique publique pour Uber dans la zone EMEA, n’a pas hésité à ruer dans les brancards et à critiquer ouvertement l’establishment.
“La désintermédiation se produit aujourd’hui à une échelle plus massive que par le passé. Les législateurs tentent désespérément de suivre le rythme. Certains y arrivent et oeuvrent dans le sens de la promotion de l’économie du partage mais il y a surtout beaucoup de résistance.
C’est le cas à Bruxelles où la réglementation [dans le secteur des taxis] est particulièrement lourde et ne prend pas en considération le point de vue et l’intérêt du consommateur. Le régulateur se fait défenseur des prestataires. C’est là un échec de la politique. L’innovation et la technologie sont inévitables et sont clairement du côté de l’économie du partage.
La désintermédiation radicale qui est à l’oeuvre permet en fait aux consommateurs d’économiser de l’argent et de dépenser leur argent de manière plus intelligente.”
A ses yeux, Uber permet à des personnes qui ont besoin de compléter leurs revenus de le faire et, ce faisant, d’apporter leur écot à la communauté. En ce compris en termes économiques et fiscaux.
Philippe Vanrie, directeur de l’EBN (European Business and Innovation Centers Network): “Les acteurs de l’économie du partage sont-ils une menace pour l’économie traditionnelle? Peut-être sont-ils au contraire un stimulus qui la poussera à se réinventer. Et les acteurs traditionnels qui émergeront se distingueront par la technologie qu’ils auront adoptée sous la pression de ces collaborative economy rockers. Il s’agit de promouvoir la concurrence plutôt que de renforcer uniquement la législation et les réglementations.”
Pour Dominick Moxon-Tritsch, il ne fait aucun doute que les dés du modèle traditionnel sont pipés. “Les opérateurs traditionnels contrôlent le législateur. Ce dernier a été subverti, agit contre les intérêts du citoyen. Les gens qui viennent vers nous pour devenir des chauffeurs Uber ne viennent pas à nous parce que nous sommes sexy mais parce qu’ils sont sauvagement exploités par les centrales de taxis. Le modèle existant est prédateur.”
Gare aux business models opaques
Dans l’assistance, plusieurs personnes faisant entendre leurs doutes sur la stabilité de modèles business qui, à leurs débuts, apparaissent comme très attrayants, quasi-altruistes. Mais qui, pour diverses raisons, évoluent rapidement vers des formes moins vertueuses. Au risque de se muer en nouveaux intermédiaires qui, voire qui se muent en quasi-monopoles. Où serait alors le bénéfice d’avoir changer de monture?
Exemple? Le cas de BlaBlaCar. Cette start-up française, née sous le nom de Covoiturage.fr, est aujourd’hui présente dans 10 pays européens. Elle a développé un portail et une appli de gestion de covoiturage sur de longues distances (en moyenne 300 kilomètres). A ses débuts, les covoiturés payaient en espèces leur conducteur d’occasion. Avec le temps, à mesure que la communauté prenait de l’ampleur et que les fondateurs tentaient de monétiser leur projet, les règles ont changé. Il est désormais nécessaire de payer par carte de crédit. Ce qui dénature l’objectif premier du projet qui était de permettre à des gens ayant de faibles moyens de voyager à moindre coût à travers l’Europe sans devoir en passer par des modes de transport chers. Qui, parmi les chômeurs ou les (très) bas salaires, a une carte de crédit? Et s’en servirait pour payer ce genre de voyage?
Autre exemple en forme de point d’interrogation, cette fois: Uber. Certains, dans l’assistance, se sont par exemple inquiéter de voir ce genre d’acteur, ardent apôtre de la désintermédiation, devenir en fait, à terme, de nouveaux intermédiaires. “Quelle garantie de transparence pouvez-vous proposer? Par exemple, sur la nature des algorithmes que vous utilisez pour structurer votre offre? Comment peut-on être sûr que ces nouveaux modèles génèrent réellement de la valeur? Sont-ils suffisamment transparents pour que le consommateur puisse réellement faire les bons choix? N’y a-t-il pas un risque de vous voir vous transformer en un autre monopole, via la collecte de données [Ndlr: ici, l’intervenante fait clairement allusion à Google qui a pris une participation majoritaire dans Uber]? Un monopole que les petits acteurs ne pourraient pas concurrencer…”
Que peut – ou veut – la Commission?
Antonia Fokkema, responsable de politiques Consommation au sein de la DG Santé et consommateurs, soulignait que l’Union européenne avait besoin, notamment, de deux choses: un dialogue avec toutes les parties prenantes (en ce compris les porteurs de nouveaux projets participatifs et les consommateurs) et… du temps pour comprendre les phénomènes qui sont en train de se manifester.
Neelie Kroes (Commission européenne): être attentif et entamer le dialogue avec toutes les parties prenantes.
L’Union européenne, face à des initiatives et nouveaux acteurs tels que AirBNB ou Uber, n’a pas encore pris position. Mais elle rappelait les déclarations faites par la Commissaire européenne Neelie Kroes, notamment via son blog, à l’occasion de la passe d’armes intervenue entre Uber et les compagnies de taxi. En ce compris à Bruxelles. “Ce qu’on a pu y lire est une bonne indication de ce que vers quoi l’Union européenne veut se diriger. Il est nécessaire d’instaurer un véritable dialogue à propos de ces modèles disruptifs et ne pas voir uniquement les risques qu’ils impliqueraient.”
Tout en restant vigilant et en veillant à ce que ces nouveaux acteurs “respectent les règles du jeu”. C’est là, soulignait-elle, le rôle des autorités locales (nationales).
Luisa Prista (DG Recherche et Innovation, Commission européenne): “Il faut un changement de style de vie et d’optique. Dans le cadre du programme Horizon 2020, l’objectif est de faire naître des partenariats de plus grande ampleur et de chercher à résoudre des défis sociaux plutôt que des problèmes purement technologiques. En impliquant, pour ce faire, toutes les parties prenantes, en ce compris les communautés, les politiques et les citoyens. Il faut favoriser une innovation systémique.”
L’Union européenne ne jouera donc pas, inutilement, les gendarmes rigides et les gardes-chiourme empêchant les modèles économiques d’évoluer. “Rassurez-vous, il est parfaitement inutile pour nous, dans un premier temps, d’élaborer des règles pour l’usage en commun d’une tondeuse”, ironisait Antonia Fokkema. “Mais quand les initiatives prennent de l’ampleur et entrent dans le champ commercial, il nous faut y être attentifs et entamer le dialogue avec toutes les parties prenantes. La Commission aura un oeil sur tout ce qui concerne le respect des droits des consommateurs, les problèmes d’assurance, de garanties, de responsabilité, d’e-privacy…” Il s’agira également, à son niveau, “d’identifier les problèmes techniques, présents dans la législation existante, et qui sont source d’obstacles législatifs empêchant le développement de la sharing economy.”
Bonnes résolutions
A l’occasion de cette conférence sur la “Collaborative consumption”, quelques idées et suggestions ont été émises par les participants. Notamment:
- procéder à une compilation des droits et législations existant à travers les divers pays de l’Union en matière de protection des consommateurs afin de pouvoir, si possible, harmoniser
- constituer une plate-forme où seraient centralisées et échangées les expériences d’économie et de consommation collaboratives “afin de déterminer si certaines expériences peuvent être intéressantes pour les autres pays”
- faire évoluer la législation – et l’état d’esprit des législateurs – de telle sorte à pouvoir adopter une attitude proactive, plutôt que réactive, face aux nouvelles technologies et modèles business qu’elles inspirent
- faire naître des cénacles ou plates-formes où communautés, municipalités et législateurs pourraient “mieux apprendre à se connaître”
- multiplier les partenariats public/privé, en ce compris entre communautés et villes, entre communautés et associations professionnelles
- favoriser une innovation systémique, en impliquant, pour ce faire, toutes les parties prenantes, en ce compris les communautés, les politiques et les citoyens.
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