Dindons de la farce ou pauvres grenouilles piquées par de rusés scorpions? Deux faits récents ont récemment braqué les projecteurs sur deux jeunes pousses locales qui avaient choisi, voici déjà quelques années, de lancer des solutions novatrices pour répondre à des problématiques publiques. L’une – BetterStreet – s’est focalisée sur le signalement et le suivi des “incivilités” ou problèmes touchant à l’espace public: dépôts sauvages de détritus, chaussée en mauvais état, éclairage public déficient… L’autre – ProchainBus, rebaptisée ensuite NextRide – misait sur les besoins en infos des usagers des transports publics: horaires, retards, arrêts, trajets…
Ces deux derniers mois, ces deux start-ups ont soudain vu les pouvoirs publics tenter de récupérer le terrain conquis par elles.
En décembre, les TEC, avec qui ProchainBus avait passé une convention afin de pouvoir utiliser les open data de l’opérateur, décidait de lancer sa propre appli mobile. Quant à BetterStreet, il apprenait début février que l’asbl Be Wapp (“Pour une Wallonie Plus Propre”) avait choisi d’adapter la solution FixMyStreet, développée par le CIRB bruxellois, au territoire wallon. Voir notre article à ce sujet. L’arrivée de l’appli FixMyStreet Wallonie n’est pas pour tout de suite mais l’annonce d’une solution gratuite (quoique…) pour les communes n’est pas un bon signal pour elle.
Jean-qui-pleure et Jean-qui-rit?
Comment les deux fondateurs de ces start-ups réagissent-ils et interprètent-ils ces annonces d’acteurs publics?
En décembre, voici le message que Thomas Hermine, co-fondateur de ProchainBus/NextMoov, publiait sur Facebook: “Nous avons les larmes aux yeux. Aujourd’hui, le TEC lance son application mobile officielle. Depuis octobre 2012, c’était NextRide qui faisait le job. Une histoire à laquelle nous avons été fiers de participer, un projet étudiant qui a propulsé notre carrière, et qui, surtout, nous a permis de contribuer à moderniser la mobilité en Wallonie. Et maintenant?
La technologie n’est pas encore maîtrisée partout, surtout dans les entreprises publiques qui restent encore souvent sur la touche. Nous voulons continuer à faire du numérique un levier pour améliorer le quotidien des citoyens — et surtout leur mobilité !
La mobilité de demain est un défi formidable, qui impliquera de la réalité virtuelle, des réseaux sociaux, des intelligences artificielles. On a hâte d’inventer tout ça avec nextmoov [Ndlr: le studio de développement de Thomas Dermine, prolongement de sa start-up NextRide].
Le plus important: les gens sont merveilleux. Parce que NextRide, c’est une communauté d’un demi-million de personnes, avec qui nous avons eu le plaisir d’échanger pendant de nombreuses années. Nous sommes heureux d’avoir appris avec eux, avec vous. Merci à ceux qui ont construit cette histoire avec nous !”
Mais qu’on ne s’y trompe pas: lorsqu’il écrit “nous avons les larmes aux yeux”, ce n’est pas par rage ou par désespoir, nous précise Thomas Hermine. “Nous sommes en fait ravis de l’arrivée de l’appli mobile des TEC, qui est un progrès pour les usagers puisqu’elle apporte une dimension d’information en temps réel [sur les horaires] qui n’existait pas jusqu’à présent.
Nous avons pu tester l’appli, qui est bien faite, donner notre opinion. Nous avions d’ailleurs concouru pour le développement de l’appli mais nous n’avons pas réussi à proposer la meilleure solution.”
Beau joueur, Thomas Hermine? Pas seulement.
En fait, jamais les relations avec les TEC n’ont été rompues et l’opérateur public demeure un “partenaire” – notamment dans le cadre d’une autre appli – baptisée Smart Mobily Planner – qui est actuellement développée par un consortium réunissant… nextmoov et les quatre opérateurs de transports publics que sont les TEC, la SNCB, la STIB et De Lijn. Voir l’article que nous consacrons à ce Planner ainsi qu’aux autres projets de nextmoov.
Par ailleurs, nextmoov (on le verra dans ce même article) vise désormais bien loin qu’une simple “application spécifique aux TEC, très wallonne” et se positionne même au-delà du seul terrain de la mobilité.
Inquiétudes par contre du côté de BetterStreet
Chez BetterStreet, par contre, l’annonce récente de Be Wapp est synonyme de douche froide et de grosse inquiétude pour l’avenir. C’est aussi l’incompréhension ou, pire, le sentiment d’avoir quasiment été arnaqué.
“A l’heure actuelle, 43 communes francophones utilisent BetterStreet, dans son plein potentiel, c’est-à-dire en ce compris les fonctionnalités de back-office. Toutes les autres communes wallonnes bénéficient déjà – gratuitement – de l’envoi gratuit de signalement et ce, depuis le début c’est-à-dire depuis 6 ans. De surcroît, elles ont, depuis deux ans, la possibilité de répondre au citoyen et de changer le statut du problème en-ligne”, souligne Jean-Marc Poncelet, fondateur de BetterStreet.
Autrement dit, la solution BetterStreet, en termes purement financiers, est très sensiblement comparable à ce que veut faire Be Wapp avec FixMyStreet. Pour retrouver l’argumentaire de l’asbl Be Wapp au sujet de son choix, nous vous invitons à relire l’article que nous y avons récemment consacré.
Jean-Marc Poncelet (BetterStreet): “Il y a une véritable volonté de concurrencer le secteur privé en sortant une solution identique et en mettant en péril notre société.”
Jean-Marc Poncelet va plus loin dans la manière dont il voit la situation: “J’ai moi-même été présenter l’idée de BetterStreet au ministre Carlo Di Antonio [ministre wallon en charge de la mobilité] en 2014. Je lui ai même remis un dossier pour faire une application spécialisée sur la propreté.
Plus récemment – il y a moins d’un an -, j’ai encore alerté les autorités compétentes, à savoir les instances de Digital Wallonia, le cabinet de Madame Debue [Ndlr: ministre chargée des Pouvoirs locaux], de Monsieur Jeholet [Ndlr: Economie, Numérique] ainsi que le cabinet de Monsieur Borsus sur les problèmes de concurrence que posaient les activités de Be Wapp. Je ne peux que constater que sous le couvert d’asbl, qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes que les marchés publics, les pouvoirs publics créent des solutions informatiques en concurrence avec le secteur privé.
Contrairement à Bruxelles où les autorités travaillaient sur FixMyStreet avant de connaître l’existence de BetterStreet, dans le cas de figure présent, il y a une véritable volonté de concurrencer le secteur privé en sortant une solution identique et en mettant en péril notre société.
Au moment où la Région sort un programme d’investissement pour les Smart Cities de 6 millions d’euros, où des acteurs comme Idelux sortent des appels d’offre smart city afin d’accélérer la mise en œuvre de solutions existantes et wallonnes, Be Wapp, soutenu par le ministre Di Antonio, sort un copy-cat, ce qui va avoir pour effet de créer une confusion sans précédent pour les communes.”
Il affirme également que dans la tournée des villes et communes qu’il avait effectuée voici deux ans ou plus, il avait suscité l’intérêt d’une certaine commune hennuyère – Dour dont le bourgmestre empêché est Carlo Di Antonio. L’administration avait estimé qu’“une solution du type BetterStreet était souhaitée et souhaitable.” Jusqu’à ce que le collège indique “pas le peine de rencontrer BetterStreet, la Région va sortir quelque chose d’équivalent et de gratuit dans les mois à venir”. C’était il y a deux ans, précise Jean-Marc Poncelet.
Miroir aux alouettes?
Jean-Marc Poncelet ressent donc le choix et l’action de Be Wapp comme une concurrence – déloyale. Mais il y voit également une fausse promesse pour les communes. “On leur promet la gratuité mais, un jour, le message changera. On leur annoncera un jour que l’organisme qui leur propose la solution ne peut plus la faire évoluer ou la supporter gratuitement. Entre-temps, un opérateur privé aura été chassé de la place.
Ce genre de pratique ne permet absolument pas l’émergence de nouveaux acteurs. La méthode “pré-annonce” qui a été choisie [Ndlr: pour rappel, la solution FixMyStreet Wallonia ne pourra être réellement déployée que d’ici neuf mois] a pour effet de geler le marché. Cela rend pratiquement impossible tout contrat avec une société telle que BetterStreet qui contacterait les décideurs locaux, même avec une solution pleinement opérationnelle.
Tout cela me pousse évidemment à me poser des questions fondamentales: changer de secteur ou changer de pays?”
Jean-Marc Poncelet (BetterStreet): “Cela me pousse évidemment à me poser des questions fondamentales: changer de secteur ou changer de pays?”
Comment son collègue de chez NextRide/nextmoov voit-il les choses, lui qui, de son côté, sans quitter son terrain de prédilection initial (la mobilité) et bien que gardant des relations de collaboration avec les TEC, élargit son champ d’action?
Thomas Hermine dit ne pas comprendre la démarche de Be Wapp. “Qu’une asbl propose soudain gratuitement une solution qu’avait déjà développée et que propose une entreprise est étonnant. En tout cas, ce n’est pas un signal positif pour les start-ups.
Pourquoi n’a-t-il pas été possible d’envisager un partenariat [avec BetterStreet] plutôt que de se tourner vers la solution du CIRB qui n’est déjà pas perçue comme la meilleure solution sur Bruxelles?
Les choses ont pourtant évoluer dans le bon sens, ces dernières années, en Wallonie en termes de soutien et d’accompagnement des start-ups. Il est dommage toutefois que certains n’embrayent pas. Il serait peut-être bon que le ministre Carlo Di Antonio connaisse mieux l’écosystème local des start-ups…
Jean-Claude Marcourt avait fait de bonnes choses et la continuité semblait être assurée par Pierre-Yves Jeholet. Mais cela ne semble pas être le cas pour tous les ministres…”
Qu’en dit-on au cabinet Jeholet?
Il y a comme une contradiction flagrante entre, d’une part, la fin de non-recevoir que BetterStreet affirme avoir reçu suite à ses contacts avec les responsables gouvernementaux de la Région (voire même au niveau local, dans la commune du ministre Carlo Di Antonio) et, de l’autre, l’intention exprimée, dans le cadre du programme Digital Wallonia, de favoriser la naissance et la croissance de start-ups hi-tech et d’ouvrir plus largement aux start-ups et aux PME les portes des marchés publics.
Interrogé à ce sujet, le cabinet du ministre Pierre-Yves Jeholet botte en touche [sur le sujet FixMyStreet Wallonia]: “Le ministre ne fera pas de commentaire sur ce projet qui a été lancé par l’ancien gouvernement. Mais il est vrai que dans l’appel à projets Territoire intelligent porté par ce gouvernement, la participation de start-ups wallonnes est explicitement prévue.”
La première phrase est une petite opération Ponce Pilate. La faute en incomberait donc au prédécesseur de M. Jeholet au pupitre Economie/Numérique, Jean-Claude Marcourt? Un peu facile et sans doute biaisé comme “excuse”. C’est en tout cas passer sous silence le fait que le ministre concerné n’a pas changé lors du “coup du cdH”.
La deuxième phrase, elle, ressemble fort à une promesse. A suivre…
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