Il y a beaucoup de marketing autour de l’alternative, de l’innovation disruptive, de la créativité, de la productivité nouvelle qu’engendreraient les start-ups fintech. Pourtant, malgré une “com très provoc”, elles cachent souvent une histoire entrepreneuriale plus banale.
Que sont les fintechs ?
Fintech est devenu le mot à la mode aujourd’hui et beaucoup d’investisseurs sont enchantés d’investir dans des jeunes pousses qui promettent de révolutionner la banque traditionnelle. Beaucoup d’entrepreneurs veulent également entrer dans la place, parce que c’est un secteur hot. En effet, ce qu’il y a de bien dans la manipulation de l’argent, c’est qu’à chaque fois que l’argent coule au travers de votre chenal, une fraction s’y agglomère et donc vous en revient. Cela signifie que même si vous recevez un pourcentage très minime sur les transactions financières que vous engendrez, vous vous enrichissez sans avoir à trop travailler. Il s’agit d’un secteur tellement lucratif qu’il suscite énormément de convoitises.
Depuis quelques années, une myriade de jeunes pousses viennent contester l’hégémonie bancaire en venant s’intercaler entre les établissements traditionnels et leurs clients, en leur proposant de nouveaux usages. En jouant sur l’image écornée du secteur par la crise financière pour attirer des clients à la recherche de tarifs moins chers et d’un service plus simple et réactif, avec leurs applications mobiles séduisantes. En captant des marges qui devenaient injustifiables, en s’adressant à des clientèles qui n’étaient pas couvertes ou pas satisfaites.
C’est exactement ce que le Compte Nickel [Ndlr: service français de carte bancaire prépayée nominative et non nominative, présentée comme une alternative au compte bancaire] a réussi avec une offre et une promesse simples: vous ne paierez plus que les services que vous utilisez vraiment. Exit les packages et les frais inattendus. Et, contre toute attente, avec l’appui de buralistes trop heureux de se lancer dans une nouvelle activité, ils ont conquis en trois ans plus de 540.000 clients, bien au-delà de la cible (les exclus du système bancaire) visée au départ.
Ainsi les fintechs sont des entreprises innovantes, plutôt jeunes, utilisant les technologies du numérique, du mobile, de l’intelligence artificielle, etc. pour fournir des services financiers de façon plus efficace et moins chère.
A distinguer toutefois les fintechs BtoC (business-to-consumer) et les fintechs BtoB (business to business). La première catégorie inclut par exemple
- les néobanques : 100% digitales, sans agence, qui proposent un compte et une carte de paiement à bas coûts – Compte Nickel, Morning, etc.
- le crowdfunding : des plates-formes de financement participatif, qui mettent en relation des porteurs de projets, créateurs, commerçants, PME, et des investisseurs, particuliers ou professionnels – MyMicroInvest, Happy-Capital, etc.
- les robo-advisors : outils de gestion de finances personnelles, de patrimoine ou d’investissement automatisé comme Marie Quantier, Grisbee, Bankin, Linxo, etc.
- les cagnottes en ligne (comme Leetchi ou Le Pot Commun), les applications de paiement (Lydia, etc.).
Les fintechs BtoB (business to business), de leur côté, incluent les services financiers aux entreprises, PME ou grands comptes tels que les transferts de devises en ligne (Kantox) ou l’affacturage dématérialisé (Finexkap)…
Peu de fintechs sont pérennes
Les banques traditionnelles utilisent des procédures qu’elles savent éculées, chères et laborieuses, qui font rarement le délice des usagers, alors même qu’elles coûtent si cher. Elles sont mûres pour une rénovation, c’est pourquoi tant de start-ups innovatrices sont en mesure de les défier.
Mais il est probable que la plupart de ces jeunes pousses vont disparaître. D’autant plus qu’elles semblent être des clones les unes des autres. Tous ces nouveaux entrepreneurs ont des idées similaires, et leurs business plans semblent être des copies conformes, des modèles économiques “me to” de ce qui a marché aux Etats-Unis.
Si la technologie peut offrir un avantage compétitif, celui-ci ne dure généralement pas très longtemps. À court ou moyen terme, les banques finiront par adopter exactement la même technologie, ce qui signifie que toutes ces fintechs impétrantes, aussi turbulentes qu’elles puissent être, ne sont pas vraiment à même de creuser des douves (de protection) autour du château de leur avancée technologique et de l’avantage concurrentiel que celle-ci leur procure… momentanément. Remarquons au passage que les porteurs de projet fintech ont tendance à sous-estimer les investissements informatiques et de mise en conformité qui sont souvent beaucoup plus lourds qu’attendus.
Assurément, elles brûleront beaucoup d’argent pour acquérir des clients, mais comment les retiendront-elles ?
Les start-ups sont typiquement des éclaireurs, les premiers expérimentateurs. Elles endureront les retards, les pertes et autres déconvenues liées à leurs innovations, et les banques établies retireront beaucoup d’enseignements des échecs des nouveaux venus. Elles regarderont comment le marché évolue, et ensuite s’y engouffreront en adoptant alors une technologie murie, qui sera probablement bien plus robuste et pérenne, parce que les fintechs pionnières en auront extirpé les défauts.
“Tôt ou tard, les banques finiront par adopter exactement la même technologie, ce qui signifie que toutes ces fintechs ne sont pas vraiment à même de creuser des douves autour du château de leur avancée technologique et de l’avantage concurrentiel que celle-ci leur procure… momentanément.”
Immanquablement, les banques adopteront toute méthode innovante éprouvée. En effet, dans la mesure où elles savent que leurs méthodes sont élimées, voire cassées, elles ne veulent pas être prises au dépourvu. Elles recourent déjà volontiers au SMAC (Social, Mobility, Analytics, Cloud) pour devenir plus efficientes. Comme les banques ont les poches bien garnies, une fois qu’elles investissent dans une technologie financière confirmée, elles sont aisément en mesure de prendre de vitesse les start-ups défiantes, dont l’avantage s’évapore alors très rapidement.
Cependant, il peut être difficile pour les banques d’adopter une nouvelle technologie. En effet, le problème des grosses entreprises est qu’elles bougent lentement, ralenties par l’inertie d’une bureaucratie excessive. Mais, en règle générale, une fois que les CEO ont décidé que la technologie sera au cœur de l’Adn de leur banque, ces mastodontes sont capables de se réinventer remarquablement vite. On le voit déjà dans les transmutations d’un grand nombre de géants, tels ING Bank et JP Morgan.
Les banques ont un appétit d’ogre pour les fintechs
La profession bancaire ne sera jamais ni “ubérisée”, ni “ryanairisée”: tout au plus bouleversée par des impétrants perturbants, mais pas au point d’être mises réellement en danger mortel étant donné leur extraordinaire capacité de résilience (cf. la succession de crises financières qu’elles ont surmonté depuis un demi siècle).
A priori, on comprend intuitivement qu’il n’y aura jamais d’Uber de la banque parce que le secteur est trop complexe, trop règlementé, il repose trop sur la confiance – on ne confie pas son argent à n’importe qui – pour qu’un nouvel acteur inconnu renverse tout sur son passage.
Source: L’Atelier, BNP Paribas
Et puis, la profession bancaire est enchantée à l’idée d’utiliser les fintechs comme cobayes. Des rats de laboratoires qui conçoivent, développent et améliorent de nouvelles méthodes, de nouveaux procédés financiers et avec lesquels bon nombre de banques codirigent des projets expérimentaux, afin de réduire leurs propres risques et de mesurer à quel point elles pourraient déployer chez elles la technologie afin d’augmenter leur propre efficacité.
D’autres établissements bancaires ont créé des fonds de capital-risque dédiés à prendre des participations dans le capital de ces start-ups alliant finance et technologies, afin de construire des partenariats avec celles disposant déjà d’une solide courbe d’expérience.
Aussi, les Cassandre qui soupçonnent les colosses bancaires de vouloir tuer dans l’œuf leurs challengers se trompent. Les banques n’ont même d’ailleurs jamais regardé avec mépris ces nouveaux acteurs inventant des services et des modèles qu’elles n’auraient jamais pu développer elles-mêmes. En outre, contrairement à ce que beaucoup pensent, les banques n’ont jamais non plus fait fi de l’effervescence de ces petites sociétés innovantes surfant sur le numérique, en proposant des services financiers plus astucieux, moins coûteux.
En somme, les grandes institutions financières n’ont pas longtemps redouté d’être court-circuitées par la stratégie de niche des fintechs. Une tactique qui consiste à s’immiscer dans la relation bancaire en ciblant les zones d’insatisfaction pour les clients et de rentabilité élevée pour les banques (du transfert d’argent au crédit à la consommation en passant par le compte-courant low-cost).
D’ailleurs, condamnées à innover face aux transformations des usages, de plus en plus numériques, et à la menace d’une désintermédiation par les géants du Net (GAFA), elles affirment aujourd’hui sans complexe qu’il s’agit pour elles d’une forme d’externalisation de la R&D et certaines vont même jusqu’à clamer que les montants ne sont pas très importants à leur échelle. En fait, les grandes banques les plus réactives, opportunistes et agiles, ont assez tôt été prêtes à casser leur tirelire pour racheter la myriade des jeunes pousses qui ont su capter un flux important de clientèle et installer un modèle économique en un temps record.
Alliance de raison
Il est donc naïf de croire que banques et start-ups se font concurrence, il s’agit nettement plus de relations complémentaires. Mais le problème de celles-ci est qu’elles sont fort inégales dans la mesure où les banques établies ont une bonne longueur d’avance sur les nouveaux entrants. En effet, elles disposent déjà d’une base de clients existants, d’un solide pied de bilan, des agréments et des autorisations nécessaires (licences bancaires) pour satisfaire aux règlementations nationales et internationales – tout cela signifiant que, dans un marché très règlementé et aux fortes barrières à l’entrée, elles jouissent de l’immense avantage d’avoir les coûts les plus faibles pour lever des fonds et de disposer d’un réseau d’agences en dur réparties sur tout le territoire.
Carl-Alexandre Robyn: “Il est facile pour toute banque d’ajouter une technologie digitale éprouvée, une fois qu’elle en a décidé ainsi. C’est la beauté de toute technologie mûre: elle est extrêmement aisée à adopter.”
À cette puissante combinaison d’avantages compétitifs, il est facile pour toute banque d’ajouter une technologie digitale éprouvée, une fois qu’elle en a décidé ainsi. C’est la beauté de toute technologie mûre: elle est extrêmement aisée à adopter.
En comparaison, les fintechs pâtissent d’un énorme désavantage. C’est très bien de pérorer sur la banque virtuelle, mais s’installer dans le monde réel est une affaire très coûteuse pour les start-ups. Par exemple, le modèle de “néobanque”, généralement un service simplifié de compte avec une carte pour le grand public, sans agence et 100% mobile, nécessite d’importants moyens, en coûts d’acquisition de clients, même si les frais de structure sont faibles. L’expérience du terrain démontre aux fintechs qu’il ne suffit pas de concevoir la plus belle interface du monde pour “ubériser”, “ryanairiser” une profession si encadrée et aux si fortes barrières à l’entrée.
Tout comme les jeunes pousses ont l’avantage d’être vives et agiles, les banques résolument tournées vers l’avenir ont l’habileté (et les moyens) de se réinventer. Les meilleures adopteront, plus ou moins vite, toute bonne technologie de pointe. Cela leur est plus facile, comparé aux efforts que devront déployer les fintechs pour obtenir les licences bancaires, une forme de présence (point(s) de contact à défaut d’un réseau d’agences) dans le monde réel, et une base de clients.
Pour compenser leur handicap compétitif face aux banques établies, les fintechs émergentes n’ont souvent d’autre choix que de se focaliser sur une niche d’activité bien délimitée que les banques sont (momentanément) heureuses d’ignorer parce que celle-ci n’est (pour l’instant) pas au cœur de leurs compétences. Plutôt que d’essayer de “disrupter” les banques (ce qui peut être un processus douloureux pour tout le monde), les banques et les fintechs feraient bien mieux d’apprendre à collaborer dès le départ (par choix délibéré et non par la fatalité des évènements). Si, ensemble, elles aggloméraient leurs forces respectives, ce serait tout bénéfice pour leurs clients !
Carl-Alexandre Robyn, Startup Financial Architect
Associé-fondateur du Cabinet Valoro
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Dans le deuxième volet de son analyse (à lire ici), Carl-Alexandre Robyn se penchera sur les chances de pérennisation des fintech et sur le sens de certaines initiatives prises par des banques établies.
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