Comme tous les secteurs, celui de l’aéronautique et de l’aérospatial est de plus en plus confronté aux défis (et opportunités) du numérique, ce dernier étant, dans une large mesure, un instrument de survie pure et simple pour les acteurs locaux.
Voici comment Etienne Pourbaix, directeur du Pôle de compétitivité wallon Skywin (Aéronautique et Spatial), voit les choses.
“Il y a quelques années encore, le numérique, la numérisation, avaient essentiellement droit de cité pour les tâches de conception. Notamment par le biais de solution de simulations numériques. Depuis 3 ou 4 ans, la simulation a gagné les procédés, afin de procurer plus de cohérence au stade de la fabrication des produits.”
La simulation, au stade de la fabrication, a par ailleurs pris pied dans le domaine des composites. La fabrication additive (3D) s’est également développée.
Etienne Pourbaix (Skywin): “Depuis 2006, environ 20% des projets de R&D et d’innovation touchent à la simulation numérique, en collaboration entre l’industrie et les centres de recherche.”
Le recours à la réalité augmentée pointe le bout du nez dans la phase de production, par exemple pour projeter le canevas virtuel sur la pièce à produire afin d’identifier le moindre défaut ou écart avec les plans. Mais, en la matière, les acteurs wallons (ou belges) ont un temps de retard sur ce qui se fait déjà à l’étranger. C’est l’un des sujets – et l’une des compétences – que le Plan Marshall 4.0 a inscrits dans sa liste To Do des thèmes prioritaires à favoriser.
“De premiers projets voient le jour mais on en est encore au stade du prototype.” C’est qu’il s’agit aussi de faire évoluer les mentalités, les habitudes. Apprendre à travailler dans un espace virtualisé plutôt que sur plan. Les ateliers Make Different [Ndlr: programme de promotion de l’“industrie 4.0” initié par Agoria et désormais épaulé par l’AdN, Digital Wallonia et de premiers pôles de compétitivité – Skywin et Mecatech en tête] ont donc pour but, dans un premier temps, de sensibiliser.
“Nous préparons les entreprises à pouvoir réagir lorsque la contrainte sera imposée par leurs donneurs d’ordre.”
De nouvelles règles du jeu
S’y ajoutent encore les défis que représentent le stockage et l’analyse de données (générées et collectées) en pleine explosion. Et ces défis ne se définissent pas uniquement en termes d’infrastructure ou de compétences. Ce qui est en jeu, c’est véritablement l’aptitude des acteurs locaux à faire valoir leur valeur, leur raison d’être à l’heure où le modèle commercial de l’industrie aéronautique est en train de basculer.
La numérisation en est à la fois l’origine, l’instrument et la conséquence. Etienne Pourbaix prend l’exemple, emblématique, des nouveaux moteurs. “Ils génèrent d’énormes quantités de données. De 1 à 2 téra-octets de données par vol. Le traitement et l’interprétation de ce big data nécessitent des outils qui en détectent et exploitent la pertinence.”
C’est que les contrats que passent motoristes et compagnies aériennes sont en train de changer. “Les compagnies aériennes ne paient désormais plus l’avion lui-même mais des heures de vol. Les données générées par les moteurs permettent de contrôler ce que fait l’avion. L’analyse des données permet par exemple de déterminer la durée de vie d’une pièce en fonction des destinations de vol. Il devient ainsi possible d’anticiper les problèmes, d’adapter la facturation de l’usage qui est fait de l’avion. Si une compagnie aérienne change ses vols, le coût de l’avion évoluera…”
Il y a donc un intérêt grandissant à développer des compétences, une expertise et – mieux encore – une capacité d’innovation algorithmique et cognitive au niveau local.
Et ce qui est vrai en aéronautique l’est encore plus dans le domaine aérospatial, où la masse de données collectées et exploitables est en expansion constante. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Question de survie
La numérisation des processus est, ni plus ni moins, une question de survie pour les acteurs locaux de l’aéronautique, insiste Etienne Pourbaix. Et ce, sous la pression qu’exercent leurs donneurs d’ordre que sont les Boeing ou Airbus de ce monde. “Les volumes et les cadences augmentent. Les processus de fabrication doivent s’améliorer. C’est toute la chaîne logistique, jusqu’au producteur de rivet, qui doit devenir plus agile, qui doit pouvoir suivre la cadence imposée par ces géants [Ndlr: eux-mêmes engagés dans une joute concurrentielle de plus en plus âpre]. La seule solution est d’accentuer le rôle de la numérisation intégrée.”
Cette marche forcée en avant, numérique, peut être comparée à du “marche ou crève”. A moins que ce ne soit du “fonce et crève”… Car qui dit pression pour numériser de plus en plus une part croissante des processus et solutions sous-entend aussi de lourds investissements, que certains Petits Poucets ne peuvent pas toujours se permettre. Mais ils n’ont pas le choix: “sans cela, ils sont tout simplement boutés hors du marché.”
Et la pression est incessante. Un exemple? La renégociation, chaque année, par Airbus des contrats passés avec ses fournisseurs directs, qui répercutent l’exercice et la pression sur leur propre réseau de partenaires. “Il faut sans cesse baisser les prix, sinon on est éliminés. Et cela n’est possible, là encore, que si on numérise.” Ou… si l’on sous-traite à des pays lointains. Du moins, les composants et parties moins “nobles”. Personne n’aurait en effet intérêt à laisser filer pièces et tâches à haute valeur ajoutée!
A suivre, dans le deuxième volet de ce thème “SkyWin et le numérique”: pour donner toutes ses chances à la compétitivité des acteurs wallons, ne faudrait-il pas dépoussiérer certaines balises des projets R&D soutenus par le Plan Marshall? Etienne Pourbaix en est convaincu. Un message qu’il a déjà défendu par le passé et qu’il continuera de porter à l’heure où une nouvelle majorité politique s’installe en Wallonie. A lire dès ce lundi dans Régional-IT.
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