Silicon Valley: les effets d’une mission EPO*

Hors-cadre
Par · 04/06/2015

Qu’ont retiré de leur déplacement en Californie (conférence TieCON et visites d’entreprises dans la Silicon Valley) la dizaine de participants francophones, pour la plupart patrons de start-ups?

Pour nombre d’entre eux, ce fut l’occasion de gagner en expérience, en professionnalisme, que ce soit dans la manière de présenter son projet ou de s’imprégner de ce qu’il est possible – ou non – de faire dans la Silicon Valley. Cela leur a permis de mieux cerner le type de credentials sans lesquels on n’a même pas droit de cité, les critères de succès à respecter pour espérer, un jour, pénétrer sur ce marché. Ou, comme le dit Jérôme Wertz de Phasya, “c’était important d’aller voir sur place comment se passent les choses, pour penser global, pour ouvrir un maximum de portes et provoquer les choses.”

Voilà pourquoi nous parlons dans le titre de “mission EPO” – (vilain?) jeu de mots où notre EPO à nous signifie “Exploring Potential Opportunities”…

La ruche TiECon

La participation à la conférence TiECon, elle-même, a permis de combiner participation à des conférences, contacts directs avec des clients et investisseurs potentiels (soit sur le stand conjoint de la délégation, soit lors de rencontres nocturnes), et rencontres avec d’autres participants à la conférence, venus y faire le plein de contacts.

Une soirée franco-belge avait notamment été organisée qui n’a pas uniquement été placée sous le signe de la détente. Ce fut l’occasion par exemple pour Christophe Hermanns, de Vigo, de nouer des contacts avec le patron du groupe français Mulliez (connu pour un modèle économique qui privilégie diversification, complémentarité et réinvestissement stratégique), pour une conversation à bâtons rompus sur l’entrepreneuriat, le croisement des technologies et les modèles économiques.

Leçons retenues
  • Annoncer la couleur, proposer une valeur précise à laquelle on estime le projet et le besoin d’investissement. Il faut capter l’attention, en une minute. Convaincre de l’intérêt du produit mais aussi de la qualité et du potentiel de l’équipe. Passé ce premier sas, des entrevues de plus longue durée seront possibles. C’est le principe de l’entonnoir [à rebours], estime Slim Sediri du WSL: “les investisseurs américains n’ont pas le temps. Un premier tri s’effectue donc en une minute. Ensuite, lors de la 2ème rencontre, ils pourront vous consacrer 10 ou 15 minutes.”
  • Si s’établir en Californie est nécessaire pour y lever des fonds, cela n’implique pas pour autant de déménager la société. Une antenne commerciale suffira. L’équipe R&D, elle, peut/doit demeurer en Belgique et, surtout, ne pas être scindée. Gare en effet aux salaires surdimensionnés, à l’épuisement rapide des liquidités, à la volatilité des effectifs due à une chasse folle aux talents.

Tout au long de la conférence, les participants belges ont eu l’occasion de “pitcher” leurs projets devant une série d’interlocuteurs aux profils variés. De quoi affiner, voire professionnaliser, l’argumentaire.

Quelques exemples de la variété des interlocuteurs? Une soirée de pitch devant un trio de capital-risqueurs américains, invités par le résident local de la Belgian Trade Commission; des pitchs devant des business angels indiens; des rencontres avec des responsables d’une agence de relations presse très en vue dans la Silicon Valley; des exposés devant de grands pontes de Yahoo, davantage axés sur le technico-technique et le go-to-market…

Jérôme Wertz, patron de Phasya, en est revenu avec pas mal d’idées et de conseils sur la manière de présenter un projet de manière réellement efficace à des capital-risqueurs américains… qui n’ont pas forcément les mêmes façons de procéder et d’évaluer un pitch que leurs homologues locaux.

Des contacts fructueux?

Outre de premières prises de contact avec de possibles (futurs) investisseurs, les participants à la mission avaient évidemment comme espoir de pouvoir convaincre des clients ou partenaires commerciaux potentiels de l’intérêt de leur projet ou solution.

Si des contrats n’ont pas été signés sur place, plusieurs participants en sont toutefois revenus avec des adresses et coordonnées utiles et la perspective de concrétiser des conventions à plus ou moins long terme.

“La conférence mais aussi les rencontres, en marge du TiECon, nous ont donné une belle visibilité”, estime Vincent Keunen, patron d’Andaman7. “Nous avons également pu prendre contact avec une série d’acteurs locaux qui vont nous aider pour déployer notre projet aux États-Unis et éventuellement dans d’autres pays. Pour l’instant, les principaux contacts nous permettent de mieux comprendre le marché américain, la concurrence, les aspects légaux et les différences entre l’Europe et les États-Unis.”

Objectif atteint aussi du côté de MT Consulting, dont le premier objectif du déplacement en Californie était de (mieux) s’y faire connaître et de développer un réseau de contacts commerciaux et de partenaire technologiques. “Nous avons eu des discussions très concrètes avec des référents dans des entreprises actrices dans le monde du stockage de données mais également avec des cloud providers”, indique Valéry Guilleaume, patron de MT Consulting. “Nous avons pu présenter nos produits à des contacts tels que Cisco, Tintri, NetApp, l’objectif, pour nous, étant de pouvoir les intégrer au sein de leur offre et de leur solution globale.

Nous avons également entamé des discussions intéressantes avec le vice-président Software Engineering d’Illumina. Cette société, spécialisée dans le séquençage ADN, a des besoins importants en termes de stockage. Des discussions sont prévues, à terme, en direct avec les équipes ad hoc d’Illumina.” Pour l’heure, cette société américaine s’appuie encore sur du stockage disque pour stocker les données générées par leur séquenceur génétique. “Ils ont besoin immédiatement d’un espace 4 fois plus grand, voire plus dans un futur proche.”

Jérôme Wertz (Phasya): “L’optique est différente en Californie. Ce qui importe pour les investisseurs potentiels, c’est l’équipe, son potentiel. Ici, trop souvent, on nous demande des chiffres, un plan à 5 ans et un break-even dans deux ans…”

Vincent Vandegans, directeur stratégique de BCnet: “certaines sociétés, telles qu’IBM ou Yahoo!, nous ont ouvert l’esprit sur le modèle d’innovation. Chez Yahoo!, nous avons pu recevoir des conseils pertinents sur notre moteur de recherche et les techniques de classification. Nous y avons glané quelques trucs et astuces que nous pourrons utiliser.”

Le voyage lui a également permis d’identifier de “possibles partenariats avec des investisseurs locaux et des start-ups locales avec qui nous pouvons établir des synergies.”

La “méthode” ICT Guided Tour

Au fil des missions, la manière dont se déroule le programme de visites de sociétés s’affine. Les participants avaient déjà été “profilés” au-départ dans la mesure où ils devaient avoir fait preuve de motivations claires et d’un certain état d’esprit pour pouvoir participer à la conférence TiECon, co-organisée par l’Awex, l’antenne belge du réseau TiE et le WSL.

Dans l’antre de Yahoo!…

Pour les visites de sociétés technologiques (emblématiques et/ou particulièrement en pointe sur une technologie spécifique) qu’avait concoctées l’AdN, en parallèle au TiECon, le principe appliqué n’est pas celui d’une excursion en groupe mais plutôt d’un ciblage selon les points d’intérêts de chacun. Histoire de proposer des rencontres les plus individuelles et pertinentes possibles. Avec des interlocuteurs de haut niveau.

Une quinzaine de réunions avaient ainsi été organisées, n’impliquant à chaque fois qu’un ou deux participants belges. La règle étant que, de part et d’autre, visité et visiteur(s) doivent pouvoir apporter une réponse convaincante à la question “what is it for me”, souligne par exemple Carmelo Zaccone de l’AdN.

Vincent Vandegans (BCnet): “Nous avons pu constater par nous-mêmes l’importante différence qu’il y a entre ici et la Silicon Valley en termes d’ouverture d’esprit de la part de nos interlocuteurs. Et ce, quel que soit le stade qu’on a atteint – simple idée ou solution prête à la vente… Il y a là-bas une vraie culture de l’entrepreneuriat. Les portes ne s’ouvrent pas seulement aux grands groupes…”

Exemple de convergence d’intérêt et de complémentarité potentielle: la société californienne Skully Systems, auteur d’un casque de moto à écran incorporé pour réalité augmentée, a reçu la visite de Phasya (logiciel de détection de somnolence par analyse des signaux physiologiques) mais aussi de Visupedia, auteur d’une encyclopédie visuelle et qui était venue avec des visus tagués consacrés au produit de Skully (relire notre article pour se faire une idée de l’impact qu’a pu avoir la petite démo marketing de la start-up bruxelloise dans les murs de la société californienne).

Certaines visites ont permis à des starters belges d’aller puiser conseils et réactions auprès d’entrepreneurs (“pur jus” ou expat’) qui ont réussi dans la Silicon Valley. C’est ainsi que Vincent Keunen de la jeune pousse Andaman7 (projet de dossier médical mobile) a eu l’occasion de rencontrer Julien Penders, co-fondateur et directeur opérationnel de Bloom Technologies… un Belge qui, aujourd’hui, souligne Carmelo Zaccone a tous les arguments nécessaires pour servir de coach et de role model pour de jeunes entrepreneurs.

Julien Penders est en fait issu de l’IMEC où il s’était spécialisé en technologies “mettables” (ou corporelles – les fameuses “wearables”). Avant de rejoindre Bloom Technologies, il avait été en charge de l’agenda recherche et de la stratégie “wearable healthcare” pour l’antenne californienne de l’IMEC.

Les premiers contacts entre Andaman7 et Bloom Technologies sont qualifiés de “très intéressants” par Vincent Keunen. Ayant préalablement prévu de prolonger son séjour, il en a profité pour revoir Julien Penders. “Nous envisageons de nous aider mutuellement et pourquoi pas? de collaborer à terme…”

L’après-mission

Une erreur que les participants belges devront à toute force éviter s’ils veulent “capitaliser” sur leur (brève) expérience californienne: ne pas laisser retomber le soufflé ou, autrement dit, l’intérêt suscité auprès de leurs interlocuteurs.

Il faudra garder le contact, retourner aux Etats-Unis car “les Américains n’attendront pas” et le moindre début d’intérêt qu’ils ont affiché devra être alimenté et nourri s’il faut déboucher sur quoi que ce soit de tangible. De même, les contacts pris avec des membres (américains et indiens) du réseau TiECon devront être entretenus. Comme le souligne Ines Jurisic, directrice exécutive du TiE Brussels, “le TiE est un magnifique réseau [d’entrepreneurs, de mentors et d’investisseurs] mais il faut le travailler…”

La plupart des participants contactés à leur retour en sont conscients, affirmant que la balle, désormais, est dans leur camp. Avec l’aide espérée de WSL et de l’Awex “afin de concrétiser les contacts noués dans les mois à venir. Les organisateurs ont fait un travail fantastique en amont pour préparer les rendez-vous et organiser la mission”, déclare par exemple Vincent Vandegans (BCnet). “C’est maintenant, selon moi, notre tour de faire le suivi, mais nous savons qu’ils restent en support de nos contacts.”

Confirmation de cette attente d’aide au long cours chez MT Consulting. “Nous attendons de la part des personnes sur place [Ndlr: lisez des résidents de la Belgian Trade Commission, notamment Baudouin de Hemptinne] du support dans la mise en relation et, à un autre niveau, de nous aider à faire le relais afin d’accroitre notre visibilité”, déclare par exemple Valéry Guilleaume, patron de MT Consulting.

Echo similaire chez Andaman7: “Nous attendons des organisateurs et des contacts qu’ils continuent, tout simplement, à nous introduire auprès de personnes intéressantes et à nous accompagner dans les prochaines étapes de notre projet.”