Scale-ups: les petites recettes de ceux qui l’ont vécu…

Hors-cadre
Par · 29/11/2017

La croissance? Un chemin semé d’embûches et de défis à relever. Mais au bout de l’effort, il y a, en principe, une société qui en sortira non seulement plus grande mais plus forte. En substance, c’est là l’un des messages qu’ont voulu faire passer divers intervenants de la soirée “From Start Up to Scale Up” qu’avait récemment organisée le fonds d’investissement WING.

Comment et pourquoi une jeune pousse réussit-elle à s’engager dans l’escalier de la croissance? A quel rythme? Selon quelles priorités et contraintes?

Pas de pilule ou formule magique à proposer en réponse à ces questions, chaque parcours de croissance étant différent. Ce qui n’empêche pas les conseils de ceux “qui sont passés par là” d’être pertinents et sources potentielles d’inspiration…

La soirée “From Start Up to Scale Up” a ainsi permis à deux “pépites” locales de venir témoigner de leur expérience personnelle. Les petits conseils diffusés par Fabien Pinckaers, fondateur et patron d’Odoo (ex-OpenERP), et par Grégory Culpin, directeur commercial d’Elium (ex-Knowledge Plaza), sont parfois allés à contre-courant de ce qu’on attend parfois dans la bouche d’observateurs, experts et autres coachs. 

Vous avez dit “pivoter”?

S’il est bien une règle que certains considèrent comme coulée en or, c’est bien le principe du “pivot”. Ou encore du “fail fast”. Le principe: évitez de vous entêter dans une direction qui vous envoie droit dans le mur, changez de direction pour pouvoir faire réussir votre idée ou projet.

Fabien Pinckaers (Odoo): “Nous avons dû passer par des moments durs mais cela nous a forcé à être efficaces, à créer des processus efficaces. Cela forge une culture d’entreprise.”

En soi, rien que de très logique. Mais faut-il pour autant en déduire qu’il faut devenir une girouette, lâcher sa proie alors qu’elle pourrait, à certaines conditions, être juteuse et nourricière?

Parfois, s’accrocher, en adaptant bien entendu certains paramètres, peut s’avérer la bonne solution. Le parcours d’Odoo en est la preuve.

Tout feu tout flamme à ses débuts, Fabien Pinckaers se voyait bien en petit David renversant la table et bousculant le géant SAP. Même si la progression de sa société fut appréciable (voir quelques chiffres en fin d’article), on n’évince pas un major aussi facilement. Le découragement aurait pu l’inciter à abandonner la partie, à imaginer un autre produit, un positionnement sur un autre terrain. Il a préféré tenir le coup, revoir ses batteries, remettre à plat le développement du produit qui, à une époque, “était devenu moche, une hydre à têtes multiples, parce que nous développions tout ce qu’on nous demandait d’ajouter…”

Rétrospectivement, il avoue “en avoir bavé”.

Il y eut en effet de fameux trous d’air dans la trajectoire… Au moins à deux reprises, la société n’a eu en caisse, pendant de longs mois, que 2 semaines de trésorerie.

Même pendant les périodes où le nombre d’intégrateurs partenaires progressait à vive allure, “nous ne parvenions pas à concrétiser les objectifs que nous nous étions fixés – et pas uniquement en termes de business plan”.

Il lui a fallu, à une époque, réduire la voilure, licencier des collaborateurs qui n’avaient en rien démérité mais dont le sacrifice était nécessaire pour permettre à la société de survivre.

Quel enseignement en tire-t-il et que veut-il faire passer comme message? “Pour croître, il faut se battre. Mais les sociétés qui passent ce cap réussissent. Nous avons dû passer par des moments durs mais nous en sommes sortis plus forts. Cela nous a forcé à être efficaces, à créer des processus efficaces. Cela forge également une culture d’entreprise. La société y prend l’habitude de se battre.”

Croître sans risque ou donner un coup de reins?

Du côté de Knowledge Plaza, qui ne s’appelait pas encore Elium à l’époque, le parcours ne fut pas non plus des plus sereins. Le modèle SaaS (software as a service) adopté lui a permis de résister à des périodes difficiles “mais, malgré tout, nous avons parfois dû rogner sur nos salaires.”

Voici environ deux ans, “nous nous sommes posés la question de savoir si nous restions dans notre zone de confort, si nous continuerions à recruter sur fonds propres. Nos effectifs étaient stables, autour de 10 personnes, avec peu de rotation. Mais nous n’avions pas trouvé la recette magique pour réellement accélérer. Et cela, en dépit du fait que nous continuions à décrocher de gros clients, dont plusieurs cotés au CAC 40 [Bourse de Paris].”

Grégory Culpin (Elium/Knowledge Plaza): “Une croissance rapide de l’effectif est aussi source de chaos. Mais il faut accepter ce chaos permanent, accepter d’être constamment dans une phase de doute provoquée par une réflexion permanente.”

L’issue, la société l’a cherchée du côté d’un nouveau tour de financement de type Serie A mais en préparant le terrain… par un changement d’image. Si Elium a succédé à Knowledge Plaza, c’était pour imprimer une nouvelle marque – “plus légère, moins descriptive, une nouvelle connotation, afin de construire un nouvel écosystème.”

Bien entendu, au-delà de la façade, ce sont les rouages, le fonctionnement de la société qui sont bouleversés par le coup d’accélération de la Serie A [Ndlr: pour rappel, Elium a levé 4 millions d’euros – trois venant du fonds d’investissement français Serena, le 4ème venant de la SRIW].

“Il s’agit désormais de restructurer l’entreprise. De 15 personnes, très polyvalentes, on passe à une structure plus verticale, avec des spécialistes et des top managers. Il nous faut apprendre à recruter des gens qui sont meilleurs que nous [les fondateurs].”

 

Chez Elium, ils sont désormais déjà 26 et “si tout se passe bien, nous comptons pousser à 40 ou 50 d’ici la fin 2018”, indique Grégory Culpin. Premier critère pour les recrutements, en dehors des compétences: les valeurs défendues par les nouveaux recrutés qui doivent s’aligner sur les valeurs et la culture de la société, “point focal”.

Aux yeux de Grégory Culpin, “cette croissance rapide de l’effectif est aussi source de chaos. Mais il faut accepter ce chaos permanent, accepter d’être constamment dans une phase de doute provoquée par une réflexion permanente.”

Autre impératif pour réussir la phase de croissance: “projeter l’organisation à 6, 12, 18 mois et déterminer la manière dont elle va pouvoir grandir. […] Il faut savoir prendre la vague, à la fois contrôler et lâcher prise. Et faire confiance aux collaborateurs…”

Ne pas être des victimes consentantes

Si Odoo s’est vue contrainte, à certains moments, de licencier, c’est notamment sous la pression de ses investisseurs.

Des financiers qui, souvent, se montrent très exigeants quand une start-up vient frapper à leur porte pour une rallonge qui leur permettrait de tenir le coup, de payer les employés, dans l’attente d’un gros contrat qui se dessine à l’horizon et qui serait une belle bouffée d’oxygène.

La start-up étant en situation de faiblesse et d’urgence a tendance à passer sous les fourches caudines. Parfois à tort et/ou ignorant parfois que ses fondateurs – et actionnaires majoritaires – ont aussi des droits et, plus encore, du “pouvoir”.

“En tant que CEO et actionnaire majoritaire, j’aurais en fait pu virer le financeur du conseil d’administration. Je regrette d’avoir été obligé de licencier 35% de mes collaborateurs pour rester break-even”, confie aujourd’hui Fabien Pinckaers. “Rétrospectivement, cela a retardé de 6 à 9 mois le développement de la croissance de la société.”

Autre conseil, directement lié à ce qui précède: bien étudier les contrats mais aussi la législation. “L’investisseur principal se montrait très exigeant, voire “agressif”, refusant de remettre dans la corbeille les 500.000 euros qui auraient suffi pour payer les collaborateurs, mais proposant par contre de mettre 2 millions d’euros. Mais pour cela il voulait imposer des conditions de valorisation deux fois moins intéressantes que celles qui avaient été négociées à son entrée dans le capital.”

Odoo n’a pas ployé sous cette forme de chantage: “J’ai trouvé une faille dans le contrat. Quand on cherche, on trouve…”

Ce qui l’amène à ce conseil: “creusez, trouvez une solution, ne vous laissez pas bloquer par le premier obstacle que vous rencontrez.”

Investir dans la qualité

L’un des conseils que donne Fabien Pinckaers est de ne pas lésiner lorsqu’il s’agit de s’entourer des bonnes personnes, dès le départ. “Recruter les bonnes personnes est quelque chose d’essentiel. Ne faites pas de concessions sur les salaires de vos premiers employés parce que cela change tout. Au début, j’ai dû changer plusieurs fois toute la table.

Mieux vaut bien payer 2 ou 3 très bons profils que plusieurs moyennement bons et que l’on paie moins…”

Fabien Pinckaers (Odoo): “Recruter les bonnes personnes est quelque chose d’essentiel. Ne faites pas de concessions sur les salaires de vos premiers employés parce que cela change tout.”

La qualité, évidemment, doit aussi être le mot d’ordre côté produit ou service. Et, en la matière, se disperser, vouloir couvrir trop de richesse fonctionnelle dès le départ, n’est pas forcément une bonne idée.

Sans verser dans l’erreur d’un MVP (minimum viable product) qui serait trop… minimaliste et léger, “il faut éviter de trop allonger la liste des objectifs que l’on se donne. Divisez cette liste par deux”, déclare Fabien Pinckaers, “simplifier les fonctionnalités afin d’améliorer le produit.”

Patrick Polak, associé-gérant chez Newion Investments, gestionnaire hollandais de fonds d’investissements (capital-risque et capital de croissance), autre invité de la soirée WING, abondait dans le même sens: “Quand les ressources sont limitées, maximisez l’impact. Cela implique de faire des choix. Car quelle que soit l’importance des capitaux que vous avez réunis, il faut procéder de manière intelligente et être ultra concentré dans son positionnement.

Evitez de vous disperser. Soyez discipliné. Ne gaspillez pas votre énergie. N’oubliez jamais que vos concurrents sont peut-être des sociétés telles qu’IBM qui, elles, génèrent plusieurs millions de dollars de chiffre d’affaires par mois.”

Il soulignait par contre que “toute croissance est impossible si vous n’avez pas, au préalable, apporté la preuve de la “valeur” que vous proposez, que vous savez comment la monétiser et que vous savez comment le processus de conversion [attraction de clients] fonctionne.”

Motiver, motiver, motiver

Un point sur lequel se rejoignent Fabien Pinckaers et Grégory Culpin concerne la gestion des ressources humaines. Pour le premier, “il faut également considérer les top managers comme des employés et pas uniquement comme des cadres. Eux aussi ont besoin de défis, d’accompagnement, de formation. Les gens compétents ont besoin de cela comme les autres. Ils ont besoin de relever des contrats encore plus grands.”

Grégory Culpin confirme: “l’équipe de base [lisez: les fondateurs] a besoin d’être tirée vers le haut, d’être challengée en permanence.”

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Odoo, croissance XXL

A l’aune belge en tout cas, Odoo (ex-OpenERP) a cassé bien des codes. Sa croissance, à certains moments, fut vertigineuse. Pas en termes de revenus mais de nombre de téléchargements de sa solution, de désignation de partenaires et développeurs tiers…

Aux alentours de 2010, elle a par exemple fait le forcing pour augmenter le nombre de pays couverts, via désignation d’intégrateurs: “de 7 à 8 nouveaux pays, certains mois”.

Côté catalogue de (micro-)applications, elle annonce 11.000 réalisations à son compteur “contre seulement 6,500 pour Salesforce qui est pourtant le n° 2 du marché”.

Mais le rythme auquel la société a brûlé du cash et ses réserves (financements octroyés) a, lui aussi, été impressionnant par moment: “voici 2 ou 3 ans, nous perdions jusqu’à 450.000 euros par mois. Maintenant, on parle pratiquement des mêmes chiffres mais en cashflow positif mensuel.”

Autre paramètre inhabituel? Odoo est passée de 1 à 100 personnes entièrement sur fonds propres. Retour au texte ]