Revenons sur ce qui deviendra le deuxième chapitre du Plan wallon du Numérique. Nous vous en parlions récemment (relire ici), une note a été présentée – et adoubée par le gouvernement. Elle brosse dans les grandes lignes les orientations dans lesquelles le futur plan 2019-2024 devrait s’inscrire.
Où en est le processus, à quoi ressemblera ce nouveau plan? Il s’appuie largement sur celui qui a été déployé depuis 2015. Pour contribuer à en déterminer le contenu et les priorités, un exercice de réflexion collective avait été organisée à l’été avec les Digital Wallonia “Champions” (une bonne centaine de personnes, choisies en raison de “leur implication dans le développement du numérique en Wallonie et leur action sur la transformation numérique dans leur domaine d’activité”). Leurs idées et propositions ont été analysées et décantées par l’Agence du Numérique qui, avec le Conseil du Numérique, a dès lors remis un rapport et des suggestions au Cabinet du ministre Pierre-Yves Jeholet.
La parole est donc désormais au gouvernement dont on attend qu’il décide du sort qui sera réservé à toutes ces recommandations et au rapport structuré en propositions (priorités, actions, mesures). Si la note (orientation générale) a été acceptée en conseil des ministres, il reste à avaliser collégialement le vrai texte – celui du Plan. Même si des réorientations, certaines “inflexions” et, ne l’oublions pas, les vrais choix budgétaires, seront l’apanage de la prochaine majorité issue des urnes, en mai 2019.
Long préambule oratoire direz-vous avant d’en venir au coeur du sujet: que préconisent les “Champions”, l’AdN, le Conseil du Numérique? En compilant les informations qui ont déjà été exprimées ou dont on a entendu des échos, et en se basant sur le contenu de la note au gouvernement ainsi que sur les premières déclarations – prudentes – de Pierre-Yves Jeholet, plusieurs lignes de force se détachent.
Voici ce que l’on peut en dire – ou déduire.
20 mesures “prioritaires”
Pas de remise en cause du passé, donc, mais une volonté de resserrer l’action autour de problématiques et de mesures prioritaires. Le catalogue proposé en comporte une petite vingtaine (là où le premier Plan prévoyait une cinquantaine de mesures dont une bonne trentaine ont été engagées et en sont à des stades divers).
Ces “mesures prioritaires” sont sensées correspondre à des écosystèmes “clairement identifiés, impactants pour la Région” et à “des compétences technologiques fortes existantes ou émergentes pour ces secteurs.”
A déterminer: le “hit-parade” des secteurs ou sous-secteurs “impactants”. On peut imaginer que la logistique, par exemple, y figurera. Ou les soins de santé. L’e-santé figure en tout cas parmi les thèmes qui sont le plus souvent évoqués, aux côtés de l’industrie 4.0 et de l’intelligence artificielle (qui n’est toutefois pas un “secteur” en soi, à peine un début d’écosystème).
Qu’en sera-t-il d’autres pistes dans lesquelles des actions ont déjà été engagées: tourisme, agriculture, secteur du gaming…? A suivre…
La volonté, tant du côté du Conseil du Numérique que du cabinet Jeholet, serait en tout cas de “mettre le paquet” sur un nombre plus réduit de mesures, de leur concentrer davantage de ressources et de moyens. A enveloppe constante par rapport au premier Plan ou avec des moyens supplémentaires? Rien n’est encore décidé, voire même sur la table.
Quant à dire, par ailleurs, combien de ces 20 nouvelles mesures jugées prioritaires, seront réellement sélectionnées et initiées dès 2019, il faudra encore attendre quelque temps pour le savoir. Le gouvernement actuel, qui arrive en fin de mandat, pointera-t-il certains dossiers plus urgents à engager?
Quel budget pourra-t-il être décidé, ne serait-ce que pour faire la jonction avant l’entrée en scène du futur gouvernement? Questions encore ouvertes à ce jour.
Premières indications: e-santé, open data, industrie 4.0
Les seuls éléments confirmés par le ministre, le 6 décembre, portent sur des mesures déjà décidées dans le cadre du Plan actuel. Notamment la mise en oeuvre de “démonstrateurs” – lisez: espaces de démo, vitrines technologiques, bancs de tests technologiques et apprentissage de nouvelles technologies – dédiés à l’Industrie 4.0 et à la “construction 4.0”. Chose qui avait été prévue dès le lancement du “Plan Marshall 4.0”… en juin 2015 (objectif: “viser la dissémination des nouvelles pratiques pour l’usine du futur en intégrant les transformations nécessaires”) et dont l’activation avait été confirmée en début de législature.
Accélérer la “transformation numérique” de la construction via “démonstrateur”. Source : Digital Wallonia
Le sujet de ces deux démonstrateurs était à l’ordre du jour du conseil des ministres de ce jeudi 13 décembre. Des subventions ont été accordées aux “pilotes” de ces démonstrateurs. A savoir: le Cenaero, le CSTC (Centre scientifique et technique de la construction), le CETIC et la Confédération nationale de la Construction, côté “construction 4.0”, et TechnoCampus, le Pôle Mecatech, le Sirris et Technifutur, côté “industrie 4.0”.
Exemples de technologies qui seront présentes au sein du démonstrateur Construction à des fins de formation, d’expérimentation et de tests: impression 3D, chaînes de production robotisées, reconstruction 3D, drones, maquette numérique BIM, conception virtuelle, objets communicants, réalité augmentée, vision industrielle…
Le 6 décembre, Pierre-Yves Jeholet évoquait également la nécessité de progresser et de déployer des actions et projets en matière d’e-commerce, d’open data, d’analyse des données, de smart city (mobilité, participation citoyenne… – un nouvel appel à projets est sur la rampe de lancement en cette fin d’année).
Les “petits nouveaux”
L’open data semble être une volonté plus affirmée pour l’avenir. Il est vrai qu’on en parle depuis longtemps mais que la mise en oeuvre patine. Et la faute n’est pas uniquement à chercher du côté du blocage que l’on connaît au niveau des arrêtés d’exécution du Décret.
Le texte de la note passée en gouvernement le 6 décembre parlait de “cadre législatif clair et ambitieux”, de “donnée publique utilisée comme une ressource neutre, utilisable et accessible à tous dans une perspective de transparence et d’innovation des politiques publiques.”
Il faudra sans doute “en remettre une couche” pour inciter les premiers concernés (services publics, locaux…) à ouvrir leurs données. Ici encore, l’évangélisation sera la première étape – qui aurait dû être franchie depuis belle lurette… En passera-t-on par des appels à projets, des hackathons et autres meet-ups?
Il semble par ailleurs acquis que l’e-santé sera un accent nouveau que l’on retrouvera donc dans le prochain Plan. Un thème qui figurait certes déjà dans le premier plan, assez sommairement d’ailleurs, mais qui n’avait pas “décollé”. Il est vrai qu’il relève en bonne partie d’un autre portefeuille que celui du Ministre de l’Economie et que le transfert de compétences aux Régions, suite à la dernière Réforme de l’Etat, a suscité pas mal de soucis et d’interrogations…
Autre accent nouveau attendu dans le futur Plan: l’intelligence artificielle (IA). Mais compte tenu de la dimension très “transversale” de cette technologie – elle touche et touchera potentiellement tous les secteurs et solutions technologiques -, quels seront réellement les projets, les actions qu’impulsera la Région? Impossible de le savoir à ce stade. L’une des volontés, que l’on entend du côté du Conseil du Numérique, serait de miser sur une sensibilisation plus large – tant de la population au sens large que des entreprises – à ce que représente et implique l’“intelligence artificielle” et à ce qu’elle permet de faire.
Pour Pierre Rion, président du Conseil du Numérique, il faut, d’un côté, “démythifier l’IA aux yeux de la population”, changer l’état d’esprit du citoyen lambda mais aussi celui des PME, encore très dubitatives, hésitantes, voire totalement néophytes en la matière. Et cela passerait par des actions à grande visibilité, potentiellement articulées autour de thématiques “parlantes” et rejoignant les priorités du Plan: industrie 4.0, (e-)santé…
Deuxième levier à activer selon Pierre Rion par la Région en matière d’IA: constituer un pool de chercheurs digne de ce nom. L’idée a en également été émise, lors de l’“Université d’Eté” des Digital Wallonia Champions. Relire à ce sujet l’article “Où est le DW Hub?”
Que ce soit selon un ciblage spécifique IA ou dans un cadre numérique plus large, il s’agirait de (mieux) structurer l’écosystème de la recherche, d’articuler correctement les relations et la collaboration entre universités et centres de recherche académiques (en ce compris avec les homologues flamands), de renforcer ainsi l’écosystème local qui attirerait ou “ré-ancrerait” des chercheurs. “Il faut travailler de manière structurelle, sur des thèmes précis. Faire développer des algorithmes et des connaissances qui trouveraient ensuite leur chemin vers le monde des entreprises, par exemple par le relais de centres de compétences.”
Cela impliquera un effort financier pour attirer et rémunérer ce pool de chercheurs (doctorants). “En imaginant un coût annuel de 80.000 euros par chercheur, en visant un pool de 50 ou 100 chercheurs, et en tablant sur un programme à cinq ans, le coût serait de 20 à 50 millions, mais avec un effet structurant. L’investissement qu’a annoncé la France est largement supérieur…”, raisonne Pierre Rion.
Pourrait-on imaginer que l’effort financier soit réparti entre les autorités publiques et le secteur privé? De grands acteurs commerciaux seraient-ils intéressés? “Le problème est qu’ils sont rares chez nous et que les (grosses) PME se tâtent encore en matière d’intelligence artificielle… Il faudrait donc les amorcer au travers d’incitants financiers.”
Quels moyens?
Même si, comme d’aucuns l’espèrent, le présent gouvernement donne les premières lignes concrètes du prochain Plan numérique, les actions à mener et mesures à prendre n’entreront réellement en scène qu’après les élections. Trouvera-t-on des queues de budget, quelques deniers dans le budget 2019 voté? Toute enveloppe ne sera-t-elle que “prudente”? A vérifier…
Pierre Rion (Conseil du Numérique): “Dès que le gouvernement sera entré dans la phase des affaires courants et en période électorale, nous ferons le tour des partis pour présenter le contenu des propositions formulées dans le cadre du Plan du Numérique 2019-2024.” Histoire de limiter pour la continuité et l’adhésion.
L’une des choses qu’a soulignées le Ministre Pierre-Yves Jeholet lors de l’événement Shake de Digital Wallonia, le 6 décembre (le jour où il était sensé dévoiler le Plan 2019-2024), c’est qu’un certain nombre de mesures devraient s’inscrire et tenter de bénéficier des moyens à libérer dans le cadre du Pacte d’investissement fédéral. C’était évidemment avant que le gouvernement, mode “NVA à bord”, n’implose. Le dossier du Pacte d’investissement pourrait bien subir du retard… Ce qui semble en effet renvoyer une dose supplémentaire de dossiers et de décisions aux lendemains (surlendemains ou sur-sur-surlendemains des prochaines élections).
Quels sont ces dossiers et mesures potentiellement impactées? Ce qui touche à l’intelligence artificielle fait partie du lot. De même que des matières telles que la cybersécurité.
Par contre, même dans ces matières, tout gel au fédéral ne devrait pas impacter des actions plus “bas de gamme” de la Wallonie, notamment en termes de sensibilisation, de création de réseaux… pour, malgré tout, faire avance le schmilblick.
L’une des pistes de financement à l’étude serait celle des “social impact bonds”, instrument dont le rendement dépend de l’efficacité produite. Ces “obligations” seraient octroyées par un fonds spécial de type tiers-investisseur, réservé par exemple aux PME.
Le candidat-bénéficiaire introduit son dossier. Le financement est accordé sur base de KPI à atteindre. S’ils sont atteints (“preuve de gain de productivité généré par le recours, par exemple, à l’intelligence artificielle”), le bénéficiaire rembourse. Le fonds s’auto-nourrit (si la réussite est au rendez-vous).
Verra-t-on dès lors un nouvel opérateur financier faire son apparition? Pas forcément. Le W.IN.G se verrait bien (du moins certains le formulent-ils ainsi) jouer ce rôle, à la faveur d’une évolution de sa mission. Depuis quelque temps déjà, il est question de faire monter le fonds d’un cran dans la “chaîne de valeur” des financements, pour abandonner à d’autres acteurs (les LeanSquare et autres Digital Attraxion ou Digital BW) le soin de procurer du “pre-seed” (financement d’amorçage).
En plus d’un rôle de financeur pour stades ultérieurs, toujours en mode générique, le W.IN.G pourrait donc se doter d’un ou plusieurs axes plus thématiques. Dont un pouvant être dédié au financement “alternatif” de projets IA pour PME ou entreprises. Mais rien n’est encore véritablement décidé.
Le numérique au coeur de tout
L’un des éléments qui ressort de la note présentée au gouvernement wallon (et avalisée par lui ce 6 décembre) est la volonté des rédacteurs du futur Plan de placer davantage le numérique au coeur des actions et de la réalité économique et sociétale.
A commencer par un redoublement d’efforts pour favoriser l’acquisition de compétences numériques par tout un chacun. Le sujet de l’apprentissage de la logique algorithmique dès le plus jeune âge, de l’éducation aux médias, de la mise à jour des connaissances tout au long de la vie, figure en bonne place dans l’esquisse de futur Plan numérique.
Cela passera sans doute par des mesures qui concerneront l’école mais aussi les centres de formations (du genre Technifutur et Technofutur TIC). Sans oublier les EPN, dont on sait que l’intention, récemment, fut de leur confier des missions supplémentaires en termes d’apprentissage de certaines “habitudes” numériques. Outre les EPN, d’autres “tiers-lieux”, tels que les espaces de coworking, pourraient être sollicités (avec revalorisation ou redéfinition de leur mission?)
“Construire un socle de compétences de base [permettre à chacun d’]entrer dans la culture numérique et d’en bénéficier. C’est la condition pour être un acteur du numérique, c’est-à-dire un citoyen actif, un consommateur éclairé, un travailleur polyvalent, capable de s’adapter et de maintenir son employabilité.”
Le numérique doit par ailleurs devenir comme une seconde nature, figurer d’emblée, de manière plus systématique, dans l’analyse de dossiers examinés par les jurys des Pôles de compétitivité. Voici ce qu’en dit la note au gouvernement: “La dimension numérique doit s’inscrire comme un élément crucial des projets développés par les Pôles et les centres de recherche agréés afin de garantir la compétitivité internationale des entreprises bénéficiaires.”
Le souhait est donc que chaque dossier de projet pouvant bénéficier d’un financement dans le cadre d’un Pôle de compétitivité soit examiné par une personne qui, parmi le jury, aurait en charge de juger de la “coloration” numérique. Un point portant sur la “désignation d’un expert numérique au sein du jury international des Pôles” figurait d’ailleurs à l’ordre du jour (très chargé) du conseil des ministres, ce jeudi 13 décembre.
Il y a aussi cette idée, évoquée pour la première fois voici plus d’un an, d’organiser, plusieurs fois par an, un conseil des ministres dont le fil rouge sera – exclusivement – le numérique. Autrement dit, chaque ministre viendra avec ses dossiers incluant des touches, voire une colonne vertébrale, numérique.
Figures de proue
Autre idée où l’on retrouve la patte de Pierre Rion et qu’il avait déjà portée antérieurement: nommer un “ministre du Numérique”. On en a déjà un, direz-vous… Oui et non. Oui, le Numérique est dans les attributions de Pierre-Yves Jeholet, comme il l’avait été dans celles de Jean-Claude Marcourt.
Le Numérique avait failli être oublié par la majorité “orange-bleue”
Rappelez-vous. Pendant quelques jours, alors que le gouvernement MR-CdH entrait en scène côté wallon (à l’été 2017), Pierre-Yves Jeholet avait été présenté comme le ministre en charge de l’économie, de la recherche, de l’industrie… Mais pas de numérique à l’horizon. Le vocable et tout ce qu’il recouvre avait apparemment été “oublié”. Erreur rectifiée rapidement dans la mesure où la chose, évidemment, n’était pas passée inaperçue et avait soulevé plus que des sourcils…
Mais l’idée est d’aller plus loin. Pierre Rion pense à un “réel” Ministre du Numérique, dont ce serait le seul thème, mais transversal – touchant toutes les matières, ayant donc un regard et un poids dans les dossiers et les prérogatives de ses collègues. “Tout comme le ministre du Budget touche forcément à tous les dossiers… Un Ministre qui incarne véritablement et exclusivement le numérique.” Encore faudrait-il qu’il ait le poids, l’autorité et l’assentiment nécessaires.
Autre “figure de proue” du numérique: le CIO du SPW.
Il y a quelques mois, il avait été décidé de recruter une sorte de méta-chief information officer qui, au sein de l’Administration (toutes DG et départements compris), donnerait une impulsion nouvelle, plus profonde et prospective, à la transformation numérique publique ainsi que de la cohérence aux projets et décisions.
L’appel à candidatures ayant été lancé, sa désignation n’est sans doute plus qu’une question de mois. L’ayant appelé de ses voeux et ayant milité en ce sens, Pierre Rion imagine toutefois qu’il ne remplisse son rôle de “locomotive”, de “penseur” et de “coalisateur” que dans un deuxième temps ou, tout au moins, en parallèle à une “CIO Task Force” qui réunirait trois ou quatre personnes réellement versées, sinon nourries au biberon de l’IT et du numérique. Une petite équipe de choc IT/numérique, jeune et dynamique, “un peu à la manière de ce que la cellule Catch fait actuellement à Charleroi”. Son rôle: déblayer le terrain, esquisser des pistes et des actions, “structurer les choses à réformer”. Le CIO, lui, serait là pour continuer, pérenniser et mettre en oeuvre le travail de débroussaillement et d’orientation nouvelle de la “task force”.
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