8th Color est née Sybil. Du moins ce dernier patronyme était-il le nom du projet porté par Christophe Philemotte et Martin Van Aken. Objectif: développer un outil qui permette d’identifier automatiquement, au sein d’une équipe ou d’un département d’entreprise, les compétences personnelles et spécifiques dont cette société a besoin en termes de développements logiciels. Sybil se présentait comme un “talent management tool” destiné aux sociétés IT, un moteur de création et de recherche de profils pour équipes de développement. Cible: les éditeurs de logiciels mais aussi toute entreprise disposant de sa propre équipe de développement.
Se choisir un développeur sur mesure…
Le principe: l’outil identifie automatiquement les compétences de chaque développeur sur base des codes qu’il produit. Sans devoir remplir de profil ou de questionnaire. “Alimenter son profil, le tenir a jour est contraignant et reste subjectif”, déclare Martin Van Aken, l’un des deux fondateurs de 8th Color. “Certains développeurs ne signalent pas forcément des talents ou capacités qu’ils possèdent. Les mots-clé utilisés sont souvent vagues ou non représentatifs des métiers concernés. Les informations disponibles dans les profils sont trop lacunaires pour espérer en faire une analyse pertinente. Les évaluations sont faites par des personnes qui ne sont pas des développeurs et qui ne comprennent pas la signification réelle des renseignements qu’elles consultent. Par ailleurs, les compétences et les besoins évoluent dans le temps. Souvent les profils tels que documentés ne correspondent plus à la réalité.”
Sybil devait donc permettre non seulement de faire l’inventaire des compétences de telle sorte que les responsables d’une société puissent plus aisément constituer les équipes qui plancheraient sur des projets de développement mais aussi leur procurer une vue réelle sur les ressources latentes, sur les carences de certains profils, sur la nécessité de prévoir éventuellement des recrutements ou des formations à plus ou moins long terme.
Christophe Philemotte, l’autre fondateur de 8th Color, y voyait aussi un intérêt pour les développeurs eux-mêmes, qui pourraient ainsi mieux faire valoir leurs compétences, voire identifier leurs propres marges de progression- ou besoin de progresser.
Remise en question
L’année 2012 fut dédiée à la validation du produit et de la technologie auprès de trois sociétés-pilote (agence Web, éditeur de logiciels de gestion, société de conseils et de services d’intégration IT).
En cours de route, le duo Philemotte/Van Aken s’est rendu compte de plusieurs choses qui allaient les pousser à revoir leur copie ou, tout au moins, à se pencher une nouvelle fois sur les motivations qui les avaient poussés à lancer le projet Sybil.
D’une part, les attentes de certaines des sociétés auprès desquelles 8th Color validait sa solution étaient différentes du cadre que s’était imaginé le duo. CSC, l’un des trois “testeurs”, était plutôt à la recherche d’un outil de mesure de la productivité des développeurs. “Chose qui dépassait le cadre de Sybil et qui, de surcroît, est difficile à objectiver”, souligne Martin Van Aken.
D’autre part, Sybil suscitait surtout voir l’intérêt des responsables HR, “alors que notre idée de départ était de créer un outil pour les développeurs et les responsables d’équipe de développement. Nous nous retrouvions face à de nouveaux interlocuteurs, sur un nouveau marché. Ce n’était pas notre intention de départ”, explique Christophe Philemotte.
Le duo a certes pensé continuer dans cette voie. Pivoter de quelques dizaines de degrés par rapport à l’idée de départ. Cela aurait impliqué de viser, dans un premier temps, les entreprises, par le biais des départements et responsables HR, avant d’élargir le spectre, dans un deuxième temps, au secteur du recrutement et en englobant potentiellement un public de PME, éventuellement en mettant à disposition une solution SaaS, qui permettrait au développeur de rester en quelque sorte maître et propriétaire de son profil sans qu’il doive l’abdiquer le jour où il quitte par exemple son employeur.
Le fil rouge demeurait toutefois une perspective HR/recrutement. Ce qui impliquait certaines décisions: “soit identifier une troisième personne, spécialisée en HR qui nous rejoindrait comme co-fondateur, soit s’associer à une société spécialisée en HR. Ce qui ne nous parlait pas”, confie Christophe Philemotte.
Autre problème: l’engouement que suscite le “talent management”. Concurrents nombreux, quelques grosses pointures dans le lot, nécessité de mobiliser de gros moyens pour se faire une place au soleil… “Cela signifiait de devenir un tout autre type de société, de raisonner potentiellement dès à présent en termes d’exit.” C’est-à-dire de revente à terme à un gros acteur.
Christophe Philemotte (8th Color): “Cette expérience nous a permis de voir ce qui ne fonctionnait pas et nous a permis de nous retrouver au sein d’une société où nous nous sentons à l’aise.”
“Ce n’est pas pour cela qu’on s’était lancé dans l’aventure. Ce que nous voulions, c’est construire une société, avec nos valeurs. Pas la vendre. C’est peut-être cool d’être riche mais ce n’est pas ce qui nous motive. Nous voulons imprimer notre marque, laisser une trace, faire quelque chose de significatif dans le secteur.”
Virage à 360°
Résultat? 8th Color a poursuivi sa réflexion et a continué de pivoter. Jusqu’à en revenir à son concept de départ.
Un pivot de 360° degrés en quelque sorte. “Nous allons développer, comme on le désirait au départ, un outil conçu par des développeurs pour des développeurs. Un outil qui répondent à leurs besoins, au quotidien. Un outil que nous pourrons leur proposer en direct, ou quasi en direct, sans devoir passer par des intermédiaires. Un produit que nous pourrons développer nous-mêmes, au sein d’une petite structure.”
Temps perdu?
Mettre un an pour pivoter par crans successifs jusqu’à revenir à sa position de départ peut paraître étonnant. Une perte de temps. Un quasi aveu d’échec. Mais ce n’est absolument pas le bilan que tirent Christophe Philemotte et Martin Van Aken de ces 12 derniers mois. “Nous avons beaucoup appris en un an. Grâce à l’ABE et à Innoviris, nous avons pu engranger les conseils d’experts en ventes, en stratégie… Nous avons rencontré beaucoup de personnes. Nous avons constitué un comité d’experts-conseils. Nous avons structuré le fonctionnement de notre start-up.”
Martin Van Aken et Christophe Philemotte: “L’épisode 2012 est clôturé. Cela nous a amenés vers quelques chose qui nous correspond mieux.”
Mais- surtout- le duo se retrouve aujourd’hui dans un schéma dont il dit avoir envie. “Cette expérience nous a permis de voir ce qui ne fonctionnait pas et nous a permis de nous retrouver au sein d’une société où nous nous sentons à l’aise.”
“Nous redémarrons quasi à zéro mais en pouvant franchir plus vite les étapes dans la mesure où disposons désormais d’une boîte à outils, des enseignements des expériences vécues. Les problèmes rencontrés sont identifiés et résolus plus vite.
Au début, nous avions laissé ouvertes trop de portes. La cible était trop vaste, trop complexe. Nous n’avions pas osé nous fermer à certaines opportunités.”
Aujourd’hui, des choix ont été faits. La solution qui naîtra cette année visera un public précis. A savoir, les développeurs utilisant le langage Ruby.
Peer review virtuel
L’outil d’identification de compétences qu’était Sybil va se muer en outil d’évaluation de compétences et de pratiques. Dans une optique à la fois de validation du code écrit par un développeur et d’auto-correction et auto-amélioration des aptitudes de développement.
“En développement, une évaluation par les pairs est indispensable dès qu’une étape est franchie. Si la correction, l’adaptation ne peut pas être faite de suite, le développeur n’apprend pas de ses erreurs, ne corrige pas ses faiblesses parce qu’il passe à autre chose. Quand la ‘review’ intervient, il est déjà à l’étape suivante et il est difficile de revenir en arrière, de se replonger dans l’instant et le contexte passés.” Or, par manque de disponibilités, chaque développeur ne peut systématiquement compter, pour chaque bout de code livré, sur l’aide temps réel d’un senior.
D’où l’idée de 8th Color: concevoir un outil de review automatique qui identifie les mauvais codes “et, surtout, qui explique en quoi le code est mauvais. L’outil pourra aussi pointer certaines choses que le développeur connaît pourtant mais sur lesquelles il a fait l’impasse par manque de discipline. Les outils qui existent aujourd’hui s’attachent aux projets, pas aux personnes. Or, ce qui fait un bon projet, un bon code, ce sont les gens qui construisent le logiciel.”
Le logiciel- dont le duo ne veut pas encore trop dévoiler la teneur- s’appuiera sur des techniques d’analyse de code. Parmi ses grands différenciateurs: “l’une des clé sera l’analyse des modifications sur code et le fait de se centrer sur la personne.”
Une communauté Ruby fertile
Plusieurs arguments objectifs expliquent que Christophe Philemotte et Martin Van Aken aient décidé de dédier, dans un premier temps, leur futur produit à la communauté des programmeurs Ruby. “Les codeurs Ruby travaillent essentiellement selon un modèle SaaS. Leur code est donc accessible. La communauté est par ailleurs très active et dynamique. Elle est aussi de taille relativement modeste et très locale. Ce sont par ailleurs des technologies que nous utilisons nous-mêmes, qui nous concernent directement. Nous connaissons la communauté, nous savons où sont les projets, ce qui vit sur les forums. Nous pouvons nous adresser directement aux développeurs. D’autant plus qu’il s’agit essentiellement de freelances, qui n’arborent pas le badge d’une grande société comme c’est davantage le cas du côté de Java, de C++ ou de C#, pour lesquels des outils existent d’ailleurs déjà. Chaque communauté a ses caractéristiques. La communauté Ruby nous apparaît comme plus fertile.”
Elle servira de point de départ pour 8th Color. En espérant créer le buzz et toucher d’autres cibles plus tard.
Légende
Martin Van Aken et Christophe Philemotte: “L’épisode 2012 est clôturé. Mais nous l’avons fait avec un grand sourire parce que cela nous a amenés vers quelques chose qui nous correspond mieux.”
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