Lorsque les dirigeants des fonds publics ou privés d’investissement dans nos régions clament à l’envi qu’ils disposent en suffisance de capitaux mais pas de bons projets significatifs, en réalité, ils devraient avoir l’humilité de se demander si ces derniers n’ont pas plutôt préféré partir à l’étranger quérir les fonds nécessaires à la croissance de leur entreprise.
Toutes les start-ups belges installées à New-York, dans la Silicon Valley ou dans le Massachusetts vous le diront : en Belgique, personne n’aurait jamais accueilli ni financé des jeunes pousses aussi visionnaires que Google, Facebook, eBay, etc.
Nous pâtissons plus d’un problème de vision (vision déformée par un corset étouffant d’habitudes, de préjugés, de manque d’expériences, de méconnaissance…) que d’un problème d’insuffisance de capitaux à risque.
Et même si nous avions une véritable industrie du capital-risque, à l’instar de celle des États-Unis, nous n’aurions quand même pas pu financer aucun des GAFA (acronyme de : Google, Apple, Facebook, Amazon) ! Parce que nous n’avons pas la même culture d’investissement, ni les mêmes rapports aux risques que les Américains, ni d’ailleurs les mêmes réflexes : nous avons les mêmes outils mais nous ne les activons pas de la même façon.
Le curseur du business plan
Il faut bien se rendre compte qu’au tout début, aucun des GAFA n’avait de business plan à présenter à leurs investisseurs-pionniers. Aucun de leurs fondateurs respectifs n’avait de compétences en économie et encore moins en finances. Et pourtant, ils ont levé leurs capitaux d’amorçage et de démarrage !
Ce qui aurait été impossible en Europe où, sans le sésame d’un business plan, rien ne démarre ! Les Israéliens n’ont pas ce problème : là-bas, les financeurs et les structures d’incubation ont fusionné leurs réflexes d’investisseurs à risque avec ceux de leurs pairs américains les plus proactifs. Une start-up israélienne à vocation mondiale lève suffisamment de fonds en Israël-même, même si tous les capitaux apportés ne sont pas israéliens !
Dans nos régions, c’est habituellement le plan d’affaires complet qui ouvre la porte aux interviews. Pourquoi ne pas inverser le processus ? L’interview réussie ouvrant la porte à la préparation de business plans sur-mesure, selon les desiderata des intervieweurs-investisseurs.
Ce simple changement de priorités économiserait les énergies et dynamiserait, sans “disruptivité“, le processus de sélection de “bons“ projets. Chez nous, le plan d’affaires exhaustif est typiquement un préalable tandis que chez les Anglo-Saxons, c’est plutôt un co-produit : le fruit d’une collaboration.
La sélection sur base d’un business plan freine le deal flow ! Parce que cela implique un processus de sélection long et cher. Imaginez le temps, l’énergie et l’argent (étude de marché finement ciblée, enquête de terrain significative…) nécessaires pour élaborer un plan d’affaires adéquat. Plan qui de toute façon n’emportera pas la décision d’investisseurs chevronnés car ceux-là ne jugent de prime abord que par l’ “alchimie”: les facteurs subjectifs, les critères émotionnels…
Et plus si affinité
Christophe Colomb n’avait aucune notion économique : Isabelle de Castille et León a dû fonder sa décision sur autre chose… Les étudiants fondateurs de Google n’avaient aucune notion d’économie et encore moins financière. Ils ont pourtant convaincu leur premier investisseur en quelques minutes ! Tous les “investisseurs en série“ vous le diront : les critères déterminant leur décision d’investir sont à 80 % irrationnels. Ils misent sur l’enthousiasme, la détermination, les atomes crochus…
Même un business plan noté AAA ne trouvera pas preneur s’il n’y a pas d’ “alchimie” entre les acteurs. De ce constat, on peut en déduire que ce n’est pas le plan d’affaires qui fait un bon projet, ce sont plutôt les affinités, les sympathies profondes entre personnes et la façon dont la proposition d’investissement est transmise par les demandeurs aux apporteurs de fonds pour ce projet.
S’il apprécie le porteur de projet et s’il en a la volonté, un investisseur malin (qui a souvent plus d’un tour dans son sac) peut transformer un mauvais projet sur papier. C’est donc lui qui est plus à même de juger ce qui, à ses yeux, constitue ou non un mauvais projet, de manière bien plus sûre que ne le fait une structure d’intermédiation.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Christophe Colomb n’avait aucune notion économique : Isabelle de Castille et León a dû fonder sa décision sur autre chose…”
Or, le système de sélection prédominant dans les structures d’accompagnement de start-ups fait exactement le contraire ! Il ne prend en compte que les critères fallacieusement rationnels. Mais que vaut un plan techniquement parfait (sur papier) si les porteurs de projet sont facilement décontenancés et démotivés par l’adversité, par exemple, s’ils tombent facilement en dépression ?
Il ne s’agit pas de vouer aux gémonies le plan d’affaires, celui-ci est utile, mais essentiellement dans le cadre d’une coproduction entrepreneurs-investisseurs. Il serait plus judicieux de l’élaborer dans un second temps, une fois qu’on s’est assuré des atomes crochus entre fondateurs et apporteurs de capitaux d’investissement.
De toute façon, un investisseur chevronné ne lit pas un business plan in extenso s’il n’a pas rencontré auparavant le créateur. Il lira tout au plus l’executive summary ou la présentation d’un business modèle pertinent. Un investisseur astucieux et motivé construit, main dans la main avec l’entrepreneur dont il a senti le potentiel, le plan d’affaires qui lui convient.
Aujourd’hui, dans la plupart de nos structures d’intermédiation, les projets sont analysés, c’est-à-dire jugés porteurs ou stériles par des analystes financiers qui ne sont pas des visionnaires et qui n’ont pas d’expérience concrète de la création et du développement d’entreprise. Et dont la seule clé pour juger est le formalisme faussement rassurant du business plan.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Il ne s’agit pas de vouer aux gémonies le plan d’affaires, celui-ci est utile, mais essentiellement dans le cadre d’une coproduction entrepreneurs-investisseurs.”
Les réseaux d’investisseurs pourraient améliorer les performances de leurs procédures de tri et de sélection de leurs dossiers s’ils acceptaient de sortir de leur zone de confort. Leurs processus sont surannés. Même sans changer le taux d’acceptation des projets entrepreneuriaux qui leur sont soumis, il est encore possible d’améliorer les performances de leurs systèmes en accélérant le nombre de dossiers analysés en changeant simplement de paradigme.
Ainsi, si le taux de financement est maintenu – pour des raisons de marketing d’image du réseau d’investisseurs – à par exemple 2% des dossiers analysés (un taux bas apparaissant comme le gage d’un processus rigoureux de sélection), rien qu’en augmentant le nombre de projets analysés, on obtient mathématiquement plus de projets financés.
Carl-Alexandre Robyn
Start-upologue, évaluateur de jeunes pousses
Cabinet Valoro
A suivre:
– Le b.a.-ba dès le secondaire supérieur
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