Le débat parlementaire, à la Chambre, sur la transposition par la Belgique de la directive européenne sur la réutilisation des données publiques (2013/37/UE), aurait dû intervenir le 24 mars. Les attentats de Bruxelles ont tout naturellement bousculé l’agenda. La discussion sur cette loi “open data” est désormais planifiée pour le 13 avril.
L’occasion de jeter un coup d’oeil sur le texte du projet de loi, sur les contre-propositions des Ecologistes et sur quelques positions d’autres partis.
En vue de ce débat parlementaire, Ecolo et Groen avaient déposé une proposition de loi (relire ici) dans l’espoir d’amender quelque peu le texte proposé par le gouvernement. “Le projet de loi, porté par le ministre Alexander De Croo, est dans l’ensemble bon mais nous voudrions qu’il aille plus loin”, indique Benoit Hellings, député fédéral Ecolo, co-auteur de la proposition de son parti.
Les points sur lesquels Ecolo estime que le texte proposé n’est pas assez volontariste concernent essentiellement les conditions de mise à disposition, le type de formats et de licences utilisés pour cette mise à disposition, et la notion de gratuité (relative). Le parti regrette également qu’il ne soit pas prévu de désigner un responsable Open Data fédéral.
Obligatoire, ou presque
Le projet de loi, devant transposer la directive européenne en législation belge, a essentiellement été placé sous l’autorité du ministre Alexander De Croo, en charge de l’Agenda numérique. Le concept qu’il défend est celui du “comply or explain”. Autrement dit: les données “récoltées dans le cadre de missions de services publics sont considérées comme un ensemble potentiel de données ouvertes, devant être mis à disposition pour réutilisation, sauf motif juridique contraire”.
Benoit Hellings (Ecolo): “on ne peut se contenter d’une posture qui équivaudrait à faire “de l’open data si on le veut bien.”
Jusqu’en 2020, cette mise à disposition n’est pas forcément “spontanée”. Les services publics sont en effet “fortement encouragés” à “libérer” leurs données mais sans obligation stricte. Il revient donc aux (ré)utilisateurs – citoyens, entreprises, développeurs… – de signaler des jeux de données qu’ils désireraient pouvoir réutiliser, s’ils ne trouvent pas sur le portail open data fédéral des données qu’ils désireraient y trouver.
A partir de 2020, la mise à disposition devient – en principe – proactive et donc obligatoire de la part des autorités publiques.
Face à la formulation du projet de loi, Ecolo estime que le gouvernement fédéral ne se montre pas suffisamment incisif. “Il est question d’“inciter” les autorités publiques à mettre leurs données à disposition, de “souhaiter ardemment” qu’elles le fassent mais le texte n’est pas assez clair.”
Selon Benoît Hellings, on ne peut se contenter d’une posture qui équivaudrait à faire “de l’open data si on le veut bien”. Ecolo préférerait donc une prise de position plus nette, telle celle adoptée en Flandre où l’obligation est devenue la règle.
Pendant ce temps-là, côté wallon… on semble s’orienter également vers une “incitation”, un “encouragement” des administrations et instances publiques. Sans obligation ferme. L’évangélisation passera par des événements qui feront la promotion de l’open data et de ses avantages et par un travail d’information confié au futur Open Data Officer de la Région.
Format lisible par machine. “Si possible”
Dans le texte du projet de note stratégique élaboré à l’origine par le ministre Alexander De Croo, il était question de préconiser un “format facile à utiliser de façon automatique”. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose qu’un “format lisible par machine”.
Ce dernier concept, indispensable pour que l’on puisse parler de réutilisation des open data, implique en effet que les données des documents puissent être aisément lues, extraites et traitées par tout type de système. Honnis sont dès lors les formats propriétaires, même largement utilisés, du genre Excel. En matière de tableaux, le format ouvert requis serait plutôt le .csv.
Même rejet d’un format pourtant numérique tel que le PDF qui pose, à l’évidence, des problèmes d’extraction et de réutilisation efficace.
Contrairement à la note stratégique initiale, le texte du projet de loi évoque bel et bien des “formats ouverts et lisibles par machine” mais sans aller jusqu’à les imposer, regrettent les Verts.
Ce que prévoit le texte…
Le projet de loi stipule en effet que “si possible, l’autorité publique met à disposition les documents administratifs dans des formats ouverts et lisibles par machine et accompagnés de leurs métadonnées. Ces formats et métadonnées répondent à des normes formelles ouvertes.”
Ou encore: “il est recommandé d’utiliser dans la mesure du possible des formats électroniques tout en évitant que le format utilisé ne dépende pas d’un type de programme informatique particulier.”
Il est également fait mention de possibilités de dérogation qui ne sont pas totalement balisées. Du genre: “en tout état de cause, l’autorité publique n’est pas tenue de créer ou d’adapter un document sous un format particulier, si cette manipulation requiert des efforts disproportionnés.”
Ou encore, à l’article 9, “l’autorité publique met à la disposition des tiers les documents administratifs sous une forme et une langue préexistantes sans que cela entraîne d’obligation de créer, d’adapter, ou de fournir des extraits de documents qui engendrerait des frais disproportionnés dépassant la simple manipulation.”
Et plus loin: “l’autorité publique n’est pas tenue de poursuivre la production et la conservation de documents administratifs en vue de leur réutilisation par des tiers.”
L’obligation n’est donc pas totale, regrettent les Verts (Ecolo et Groen à l’unisson). “Le texte de loi utilise les termes “préférence”, “recommander”. Ecolo estime par contre que les jeux de données mis à disposition doivent être lisibles par tout le monde, même les personnes qui ne disposent pas de systèmes et logiciels considérés comme standard.”
Réponse d’Alexander De Croo à la Chambre lors de la séance du 15 mars: “D’ici 2020, les données devront être aussi lisibles que possible, mais aucun format ne sera imposé. L’obligation
d’utiliser un format lisible par machine n’est pas non plus prévue, car s’il en était ainsi, beaucoup de données ne seraient pas accessibles. Le niveau fédéral utilise Creative Commons 0 – CC0 – et Bruxelles utilise l’ODT.”
Une fin de réponse qui ne peut qu’étonner, le ministre mélangeant allègrement type de licence et format de données open source…
Préconiser ou imposer? Le fédéral ne va pas assez loin, estime Ecolo. Notamment côté licences avec par exemple ce passage : “l’usage d’une licence ouverte est très fortement recommandé, afin de limiter les conditions et contraintes de réutilisation par les tiers.”
Le recours systématique à des formats ouverts est d’autant plus important, aux yeux de Benoit Hellings, si l’on veut que l’ouverture des (jeux de) données favorise également leur enrichissement et l’amélioration de leur qualité. Il prend l’exemple de la cartographie souvent lacunaire des conduites et canalisations souterraines. Il arrive fréquemment qu’un impétrant, lors de travaux de voirie ou autres, “tombe” par hasard sur une canalisation non documentée. “Sans format ouvert, l’intervenant ou le simple citoyen ne pourrait mettre à jour, compléter, les données publiques, à la manière de Wikipedia…”
Pendant ce temps-là, côté wallon… Le texte en préparation côté wallon n’est pas plus “assertif” que celui du fédéral.
Que prévoit le décret wallon (dans son stade actuel, non finalisé)? “Le document administratif est, dans la mesure du possible, mis à disposition sous format électronique dans un format ouvert et lisible par machine, en l’accompagnant de ses métadonnées. Tant le format que les métadonnées répondent, autant que possible, à des normes formelles ouvertes”.
Pour ou contre un “Monsieur Open Data”?
Qui pour piloter la mise en œuvre de la stratégie et les actions open data du fédéral? Le gouvernement, Alexander De Croo en tête, a opté pour la création d’un “task force” commune, constituée par le Fedict et l’ASA (Agence pour la Simplification Administrative).
Ecolo, pour sa part, milite en faveur de la désignation d’un “administrateur général”, qui opérerait au sein de l’administration avec, pour rôle, de “faciliter le développement et l’adoption de bonnes pratique, veiller au transfert de connaissances et de définir la stratégie fédérale en matière d’open data. La manière dont la “Task Force” fédérale fonctionnera manque de clarté”, estime encore Benoit Hellings.
Alexander De Croo, lui, défend l’option task force, y voyant une garantie de “plus grande souplesse”.
Quels seront ses rôles? Essentiellement “promouvoir les open data, au niveau fédéral, auprès des administrations mais aussi apporter des réponses aux éventuelles questions de la population.”
Ajoutons encore qu’un groupe de travail a également été créé, à nouveau conjointement par le Fedict et l’ASA, pour assurer la concertation et les relations avec les Régions et Communautés, voire avec les villes disposant d’une politique et d’un portail open data.
Pendant ce temps-là… Côté wallon, il y aura bel et bien un “Monsieur – ou Madame – Open Data” régional(e). Le recrutement d’un Open Data Officer, qui opérera au sein de l’AdN (Agence du Numérique), devrait en effet bientôt être initié. Nous aurons l’occasion d’y revenir…
Du côté de Bruxelles-Capitale, par contre, pas d’Open Data Officer en vue. Du moins pas sous cette appellation et pas à titre dédié. C’est un chef de projet, au sein du CIRB, le centre informatique de la Région, qui gère la chose.
Si le fédéral préfère donc un groupe de travail à une personne précise, il est par contre prévu de désigner, dans chaque service public, un “Open Data champion” qui devra “faire office de point de contact pour la Task Force et se chargera d’élaborer une stratégie Open Data pour le service public concerné.”
Gratuité. Sauf…
Autre désaccord des Verts avec la proposition de loi fédérale: la porte que laisse ouverte le texte en termes de “monétisation” des données mises à disposition.
Ce que prévoit le texte…
Le projet de loi prévoit que les autorités publiques “devront en principe mettre les données à disposition gratuitement.”
Que choisir parmi les modèles de licences Creative Commons ? Entre autres…
A elles de déterminer si elles mettent leurs données publiques à disposition sans condition, selon les conditions d’une “licence type”, ou moyennant redevance. Dans ce dernier cas, “seule une redevance couvrant les coûts marginaux de mise à disposition, par exemple pour le stockage sur des supports électroniques, pourra encore être exigée.”
Les formes de redevance peuvent varier “en fonction de la méthode de diffusion utilisée (hors ligne/en ligne) ou du format des données (numérique/non numérique).”
La redevance, en principe, “ne peut dépasser le coût marginal de la reproduction, de la mise à disposition et de la diffusion.” Coûts éligibles? Les coûts d’infrastructure (développement, maintenance), de duplication, de gestion de la mise à disposition, frais de port, frais de formatage spécifique… Avec l’espoir, souligne Alexander De Croo, qu’“à l’ère du numérique, ce coût marginal ne tarde pas à évoluer vers zéro.” Mais, l’appréciation et l’évaluation de cette redevance semblent, dans une large mesure, être du côté du détenteur.
Signalons par ailleurs au passage qu’il y a des exceptions à ce “souhait” de gratuité ou au principe de plafonnement de redevance. Sont en effet exemptés de telles obligations les musées, les bibliothèques, les archives “afin de ne pas entraver leur fonctionnement normal.” Ces organismes doivent toutefois se limiter à majorer le coût réel (de collecte, production, diffusion…) par un “retour sur investissement raisonnable”. Notion qu’il faudra sans doute préciser…
La position des écologistes est de dire qu’il n’y a aucune raison que le citoyen (ou le professionnel qui est aussi un citoyen) paie deux fois le même service. Ses impôts servant à financer le travail des autorités publiques, dont découle la création et l’existence des jeux de données concernés, pourquoi devoir payer à nouveau pour y avoir accès?
Faire payer aurait également pour effet de limiter la réutilisation et, par conséquent, le développement de nouveaux produits et services, estime Benoit Hellings. “Le projet de loi rate, ce faisant, la case partage d’expérience et facilitation du transfert de l’information.”
Qu’en pensent les représentants d’autres partis?
Lors du débat à la Chambre, le député Peter Dedecker (N-VA) faisait remarquer: “Le prix de revient de la mise à disposition ne peut dépasser le coût marginal. La disposition ne s’applique toutefois pas aux entreprises dont les revenus dépendent précisément des données. Cela signifie-t-il que la SNCB et Infrabel pourront demander une rétribution en l’échange de leurs données? À l’heure actuelle, une redevance est demandée pour les données de la Banque-Carrefour des Entreprises…”
Veli Yüksel (CD&V) embrayait: “Quelles institutions relèveront-elles de la notion d’“entreprises qui sont tributaires de leurs données pour leurs revenus”? L’Institut Royal Météorologique (IRM)?”
Réponse d’Alexander De Croo: “Le coût marginal est retenu en tant que règle générale. La notion de “retour raisonnable” peut être utilisée pour des institutions telles que l’Institut Royal Météorologique (IRM) et l’Institut géographique national (IGN).”
Et qu’en est-il en Flandre?
La législation flamande prévoit l’option de l’“indemnisation équitable”. Un concept qui se rapproche fort de celui que prévoit le fédéral puisqu’en Flandre cette “indemnisation équitable” devrait correspondre au “maximum des frais de collecte, de production, de reproduction et de diffusion, majorés d’un rendement sur investissement raisonnable.” Quand on vous disait qu’entre fédéral et Flandre, de ce point de vue-là, c’est du copié-collé…
… et en Wallonie?
Impossible de répondre à cette question, le Décret n’ayant pas encore été finalisé mais on semble oeuvrer dans le sens de la gratuité totale. Avec seulement trois types de licences, là où la Flandre en a prévu 5, dont deux autorisant ces “indemnisations équitables”. Mais à vérifier, donc, lors de l’entrée en vigueur du texte décrétal.
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