Impossible d’évaluer avec plus ou moins de précision les capacités et puissances qui seront nécessaires, et dès lors l’impact pour l’environnement – en termes d’extraction et transformation de matières premières (pour les “devices”), d’émission de CO2, de consommation d’énergie…
Aucune estimation précise n’a encore pu être faite pour les composantes technologiques qui sous-tendront les métavers: à savoir l’intelligence artificielle, la blockchain et les NFT (à des fins d’authentification) et bien entendu le calcul de réalité virtuelle ou augmentée. On sait déjà toutefois que les ressources nécessaires sont énormes. Et que les métavers combineront les trois – dans des proportions variables
Quelques évaluations “à la grosse louche” n’en ont pas moins déjà été formulées. Intel par exemple parlait, fin d’année dernière, d’une nécessaire multiplication par 1.000 (!) des capacités de datacenters existantes.
On perçoit déjà les premiers signes d’une nouvelle course à la construction de nouveaux datacenters pour faire face aux besoins futurs de ces métavers. Un exemple, un seul? L’annonce faite en début d’année par Meta que la société allait bâtir un nouvel infocentre dans la région de Toledo en Espagne. Budget: 1,1 milliard de dollars.
C’est que la puissance de traitement temps réel pour que les environnements réagissent aux actes et actions des utilisateurs/avatars est énorme: modélisation et animation d’avatars réalistes, personnalisés avec tout leur attirail, répondant à des comportements correspondant au profil choisi par l’utilisateur, calcul temps réel de l’interaction entre personnes physiques, avatars et environnements virtuels, suivi des injonctions de gestes et mouvements de ce dernier, interaction avec les objets et l’environnement du méta-monde… Avec une démultiplication en fonction du nombre d’utilisateurs immergés, de la finesse ou réalisme du graphisme et des simulations…
Les capacités de traitement et de stockage requises seront donc énormes.
Le passé, déjà, ne laisse guère de doutes…
Des chiffres circulent déjà par ailleurs sur l’empreinte environnementale d’un gamer invétéré: plus de 900 kilos de CO2 par an… Et cela ne concerne que la consommation de leurs PC…
Une étude du très sérieux Lawrence Berkeley National Laboratory datant de 2016 (une éternité vu l’explosion des usages) estimait que l’arrivée du phénomène du cloud gaming ferait bondir la consommation d’électricité des ordinateurs personnels utilisés de 40 à 60%, celle d’ordinateurs portables de 120 à 300%.
Pas mieux du côté des équipements de streaming puisque la hausse pourrait être de 130% à 260%. Et on ne parlait encore à l’époque que de jeux et d’environnements VR/3D relativement peu sophistiqués. Qui plus est sans la dimension de la multiplication des “joueurs”/utilisateurs qu’impliquera le métavers dont certains rêvent…
Evaluation similaire de l’université de Bristol: “Si 30% des gamers passent aux jeux dans le cloud, l’augmentation d’émission de carbone sera de 30%. Si 90% d’entre eux le font, l’augmentation sera de 112%”. Chiffres cités dans un article publié sur le site VentureBeat en ce début d’année 2022.
Quant à la blockchain et au “minage” de NFT, on entend chaque jour des estimations gargantuesques en termes de consommation d’énergie et d’empreinte environnementale. Même si certains, désormais, évoquent la possibilité de créer des solutions nettement plus frugales que celles existant jusqu’ici.
A simple titre d’exemple, une étude de l’université de Cambridge avait estimé, voici un an, que le minage de crypto-monnaies consommait 121,36 TWh (térawatts/heure) par an. A peine un cran en-dessous de la consommation totale d’énergie d’un pays comme la Norvège !
L’un des modèles économiques qui se dessine dans le monde des métavers est celui des NFT. Avec toute la dimension de surévaluation et de spéculation qui sont déjà leur “marque de fabrique”.
Les jetons virtuels non fongibles seront non seulement des “biens” dans les métavers mais aussi des moyens d’identification pour accéder à certains univers. Mais voilà, étant basés sur le principe de la blockchain, ils pèsent lourd en termes énergétiques.
Le processus de “minage” (production de jetons) exige des puissances de calcul importantes. Estimation du taux de consommation actuel: environ “91 térawattheures d’électricité par an, ce qui représente environ la consommation de la Finlande”. Source: Journal du Net, janvier 2022 – “L’impact écologique des NFT : une lourde empreinte carbone”.
Si, demain, le concept de blockchain, autrement dit de recours à de multiples ordinateurs (privés ou hébergés dans le cloud), se généralise pour toute une série de fonctions de validation de transactions en tous genres (même si la finalité de sécurisation et d’authentification est louable !), le “poids” de ces traitements en termes de consommation énergétique et d’impact environnemental risque d’exploser…
Des progrès sont-ils à nos portes? Sans doute si l’on en croit certains acteurs, tels le français Ubisoft qui avait envisagé, avant de la mettre au frigo, une solution basée sur la blockchain Tezos qui dit uniquement recourir à des énergies renouvelables pour la production de crypto-monnaies. La solution était certes présentée comme permettant de réduire drastiquement la consommation d’un jeu VR.
Selon la société, une transaction sur le réseau Tezos ne consomme “que” l’équivalent de 30 secondes de vidéo en streaming contre l’équivalent d’un an de streaming ininterrompu actuellement. L’amélioration est sensible mais la surcharge n’en demeure pas moins bien réelle… Et le passage aux énergies renouvelables ne résout en rien le problème sur le fond.
Du traitement local pour soulager le cloud?
Pour réduire le recours à des infrastructures centralisées dans le cloud et donc éviter de faire exploser leur impact environnemental, l’une des pistes dans lesquelles s’engagent certains chercheurs – et cela s’appliquera dans divers registres technologiques (intelligence artificielle, AR/VR, Internet des Objets…) – sera d’effectuer un maximum de tâches de (pré-)traitement, de filtrage et tri de données, sur le dispositif de collecte – qu’il s’agisse d’un capteur lambda, d’un casque de réalité virtuelle ou de tout autre dispositif sensoriel corporel. Mais la chose est complexe: capacité et puissance de traitement en local, bon dosage d’algorithmes et des réseaux neuronaux à intégrer par exemple dans les casques, autonomie des batteries – tout cela devant encore faire l’objet d’améliorations…
En âme et conscience
Même s’il y a progrès, on peut s’attendre, dans le même temps, à une explosion des usages et des utilisateurs. Comme toujours, les gains seront gommés par un inévitable effet d’emballement. Ce qu’on appelle l’“effet rebond”.
Le phénomène est bien connu, quasi pavlovien. Dès l’instant où le message est passé que telle solution est devenue moins énergivore, moins pénalisante pour les infrastructures, l’espace libéré a tendance a être occupé par un regain d’utilisation.
Combien de datacenters devront être construits pour permettre aux métavers de devenir réalité ? (Photo: Google – Site de Mons-Baudour)
Par ailleurs, on se trouve également confronté à une contradiction intrinsèque: l’attractivité des univers virtuels, simulés, sensoriels, immersifs est directement proportionnelle à la qualité visuelle des personnages, éléments de “décor”, au réalisme des interactions – en ce compris, à terme, sensorielles, tactiles…
Tout cela exige davantage de puissance et donc d’énergie… Les fournisseurs de solutions opteront-ils pour la frugalité ou pour l’hyper-show? L’utilisateur se contentera-t-il d’une “expérience” qui ne soit pas un saut quantique par rapport à ce que lui offrent déjà aujourd’hui des connexions visuelles 2D?
Le noeud du problème réside peut-être dans la conscientisation, la possibilité pour chaque individu de décider – en ce compris en termes d’empreinte environnementale – de la pertinence qu’il y a pour lui de recourir ou non, en telle ou telle circonstance, à un métavers ou à une réalité virtuelle ou augmentée. Le problème est que l’on n’a pas encore développé d’outil grand public permettant de calculer ou d’évaluer l’impact de ses utilisations des solutions numériques. Plusieurs de ces outils existent certes mais aucun n’est exhaustif, adapté à toutes les situations. Et fort peu sont conçus pour les besoins ou la simple information du citoyen lambda.
Reste également à démontrer si le recours à la VR et au métavers pour rendre le monde du travail hybride plus attractif et “performant” ne pèsera pas plus lourd dans la balance environnementale de la planète que la diminution de la consommation de carburant, d’électricité et de pollution qu’impliquent les trajets domicile-travail. Reste à démontrer que la conjonction des consommations électriques individuelles des employés et travailleurs plongés dans le métavers ne dépassera pas celle des bureaux actuels, en intégrant dans le calcul leurs devices, leurs équipements personnels et les ressources cloud qui turbineront en arrière-plan. A démontrer…
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