Dans l’article consacré à l’exposé des principaux chiffres du “Baromètre de maturité numérique des entreprises wallonnes” de l’AdN, nous expliquons pourquoi la simple lecture de la note globale obtenue par les entreprises wallonnes en termes de “maturité numérique” donne à penser qu’elles sont des candidates au bonnet d’âne.
21 sur 100, pour la note globale. Et des scores qui ne passent que rarement la barre des 30%.
Alors catastrophe généralisée? Circonstances atténuantes? Embellie en perspective? Echelle de valeur qui priverait toute société des “honneurs de la classe”?
Hélène Raimond, responsable de l’étude Baromètre à l’AdN, tempère la signification de ces mauvais résultats apparents.
“Le score obtenu doit être considéré comme un point de repère, pas un bulletin”, déclare-t-elle. “Un score de 100% est impossible tout simplement parce que, selon leur secteur d’activités, leur taille, les partenariats noués, les sociétés n’ont pas l’utilité de certaines technologies.”
Placer la barre à 50% et tenter de s’en approcher le plus possible serait donc plus réaliste. Mais au vu des scores atteints, on ne peut malgré tout que constater que les entreprises wallonnes sont encore loin de cet objectif plus raisonnable (à nouveau nous vous renvoyons vers l’analyse des chiffres, par taille d’entreprise et par secteur, que vous trouverez dans notre autre article).
Les scores qui inquiètent. Les PME wallonnes semblent comme figées, bloquées, au seuil de l’étape la plus importante de la transformation numérique: l’adaptation et automatisation des processus… Source: Baromètre Maturité numérique, AdN.
Commentaire d’Hélène Raimond? “On peut estimer que les sociétés wallonnes sont à mi-chemin. Le problème, c’est qu’il leur reste à franchir la moitié la plus dure, en l’occurrence l’automatisation et la réforme des processus et des services.
Elles ont acquis les outils [ordinateurs, équipements mobiles, connexion Internet, outils d’aide à la productivité, de gestion…] mais elles ne les ont pas encore réellement mis en place. Ce qui leur éviterait par exemple de devoir réencoder les données. Or, ce genre d’étape est essentielle et leur permettrait notamment de développer et de proposer de nouveaux services…”
Et elles semblent faire du sur-place…
“Les petites sociétés sont au seuil de la numérisation des processus et des services mais bloquent en raison de leur petite taille, parce qu’elles ne disposent pas d’un spécialiste IT en interne, ou encore parce que les logiciels de numérisation nécessaires sont trop onéreux par rapport à leurs moyens.”
Autre souci majeur et facteur de blocage: les (petites) PME n’ont pas encore réussi à comprendre les enjeux, comment appliquer concepts, outils et solutions à leur propre situation. “Elles ont fait développer un site Internet mais ne sont pas encore en capacité d’identifier qui le visite, s’il est performant, comment cela pourrait se traduire en clientèle nouvelle…”
La faute à qui ou à quoi?
Trois raisons majeures gèlent la progression des PME wallonnes vers et dans le numérique, estime Hélène Raimond: un manque de compétences internes, des moyens financiers limités, et des dirigeants trop submergés par le quotidien et trop peu versés dans la culture numérique (notamment en raison de leur âge).
Quel remède proposer?
Dans le cadre du Plan numérique et sous la bannière Digital Wallonia, de nouvelles initiatives seront déployées: des roadshows sectoriels, la mise à disposition d’outils de conscientisation concrète (notamment un Guide d’auto-diagnostic de maturité numérique), des recommandations (formulées sur base des résultats de l’auto-diagnostic) et des formations.
L’AdN sera à la manoeuvre, en collaboration avec des acteurs (privés) de terrain qui auront été embrigadés et sélectionnés pour déployer ces conseils et formations.
Mais il faudrait aller plus loin, estime Hélène Raimond. Elle en appelle à l’entrée en jeu des fédérations sectorielles. “Il serait utile qu’elles travaillent dans le sens d’une mutualisation des besoins et dans le développement de solutions (numériques) qui pourraient être utiles à tous leurs membres. Solutions mises à disposition moyennant par exemple une cotisation. Un peu à la manière de ce qu’a déjà fait le CSTC (Centre Scientifique et Technique de la Construction) qui, depuis quelques années, s’est engagé dans un processus de mutualisation des bonnes pratiques et d’assistance à la numérisation de certains processus. Il a par exemple développé une application de numérisation des devis pour les carreleurs et les chauffagistes…”
Les PME wallonnes, moins bonnes que d’autres?
Même si une comparaison chiffrée, entre études qui seraient similaires, n’est pas possible avec le score qu’obtiendraient les sociétés (petites ou grandes) bruxelloises ou flamandes, on sent – on sait – que les résultats wallons sont en retrait par rapport à ceux de leurs homologues belges.
Mais Hélène Raimond veut y voir des raisons objectives. “Si une étude similaire existait, les résultats seraient à coup sûr différents. Mais le tissu économique de Bruxelles et de la Flandre es moins industriel, plus tertiaire. L’industrie est plus jeune. Les entreprises de taille moyenne y sont plus nombreuses. Le résultat ne peut donc être que meilleur…
Les sociétés du tertiaire, les sociétés de services ont un intérêt manifeste à s’automatiser plus rapidement que celles du secteur de la construction ou du commerce de détail, par exemple.
Le “blocage” dont souffrent actuellement les PME wallonnes est-il une spécificité locale ou leurs homologues ne sont-elles pas mieux loties? “Un menuisier en Ardèche est tout aussi perdu qu’un menuisier local”, estime Hélène Raimond. “Tout simplement parce qu’une PME, où qu’elle soit, est confrontée aux mêmes problématiques: manque de personnel compétent en interne, manque de capacité à comprendre les offres du marché, crainte “de se faire avoir”. Les PME maîtrisent encore mal des concepts, comprennent peu les avantages et l’impact réel de la numérisation sur leurs activités. Elles achètent encore souvent sur base des arguments qu’on leur énumère. Le vendeur le plus convaincant emporte la mise. Mais sans que la PME obtienne un éclairage par rapport à ses propres besoins.”
Hélène Raimond: “ Si on ne les aide pas à se structurer pour pouvoir bénéficier d’offres mutualisées, les PME locales sont trop esseulées face au défi de leur transformation numérique.”
Certains secteurs tirent-ils leur épingle du jeu ou sont-ils mieux “positionnés” que d’autre face au défi de la numérisation?
“Certains secteurs ont un intérêt naturel à traiter automatiquement l’information. Dans l’horeca, on note par exemple une différence historique entre les hôtels et les restaurants. Les premiers ont un historique de réservation en-ligne plus probant tout simplement parce qu’ils ont eu très tôt le besoin d’offrir ce canal pour capter la clientèle.
Le poids de l’historique est donc important dans les résultats. Voyez le secteur bancaire, dont le numérique est devenu le core business. Ou encore la distribution et l’automobile, deux secteurs qui travaillent à flux tendus et qui sont donc très logiquement plus performants dans l’utilisation qu’ils font d’ERP et d’autres progiciels de gestion…”
La taille est-elle réellement une excuse? Ou au contraire un argument d’agilité et flexibilité?
On peut se poser la question. Certes, les obstacles et problèmes qui sont caractéristiques d’une PME (moyens financiers limités, manque de temps, manque de compétences IT internes) sont des réalités. Mais peut-on s’en servir éternellement comme excuse?
“Leur petite taille pourrait en effet être un atout parce qu’elles ont moins de choses à réformer, moins de processus à numériser ou à connecter en-ligne. Mais en faire un atout ne serait possible que si elles avaient le réflexe du partenariat et si elles étaient encadrées par des acteurs de stimulation économique.
Si on ne les aide pas à se structurer pour pouvoir bénéficier d’offres communes, mutualisées, les PME locales sont trop esseulées, ne disposent pas des ressources humaines pour réussir leur transformation numérique, ne disposent pas du temps pour se former ou de l’argent pour engager quelqu’un pour s’en occuper.”
Retour à l’idée des nouveaux outils à leur procurer et du rôle souhaité du côté des fédérations sectorielles. Ou autres intervenants…
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