L’AdN renoue avec sa tradition “barométrique”. En ce début d’automne, l’Agence du Numérique publie son Baromètre, autrement dit son état des lieux de l’informatisation (ou numérisation) de l’économie ou des utilisateurs wallons. Cette fois, les projecteurs sont résolument braqués vers le monde des entreprises.
Nouveauté pour cette édition du Baromètre 2016 (sur base de chiffres 2015): une toute nouvelle méthode d’évaluation de la “maturité numérique” des entreprises, élaborée par l’AdN au départ d’une douzaine de métriques utilisées par quelques grands cabinets conseil (Gartner, Capgemini, Roland Berger…) et adaptées aux spécificités du tissu économique wallon. Voir les détails dans l’encadré ci-dessous.
Inutile en effet de rappeler qu’il est essentiellement constitué de PME (97% des sociétés emploient moins de 10 personnes) qui passent “sous le radar” des grands noms de la consultance ou de l’analyse de marché ou pour lesquelles les canevas d’analyse de ces derniers ne sont pas très pertinents. Plus de détails sur la méthode “Maturité numérique” de l’AdN dans l’encadré ci-dessous.
L’élève Wallonie toujours en zone danger?
A la lecture de la note moyenne globale obtenue par les entreprises wallonnes à l’examen de maturité virtuel organisé par l’AdN, on pourrait conclure que le risque d’être recalées est plus que probable.
Le score global est en effet de … 21 sur 100. On frôle le bonnet d’âne. Mais l’échelle absolue de 100 est irréaliste, tient à souligner Hélène Raimond, responsable de l’étude Baromètre à l’AdN.
Tout d’abord, le score global n’est évidemment qu’une représentation en vue hélicoptère d’une situation nettement plus fragmentée, avec une grande diversité de secteurs, de taille d’entreprises (voir ci-dessous).
Ensuite, “l’activité de l’entreprise, mais aussi sa taille, déterminent le type de (nouvelles) technologies numériques dont chacune a besoin.” Rarissimes seraient les sociétés qui ont besoin de cumuler tous les outils et processus numérisés.
Selon Hélène Raimond, il serait plus logique – et équitable – de mesurer le score sur base d’une échelle s’arrêtant à 50. Ce qui ne règle pas le problème: la moyenne (ou le score global) est toujours inférieur à la moyenne.
D’où la nécessité de prendre le microscope pour analyser la composition de la cote globale, de disséquer axe d’analyse par axe d’analyse et, plus finement encore, taille d’entreprise par taille d’entreprise et secteur par secteur. Histoire de se rassurer malgré tout et de trouver quelques raisons de se réjouir ou d’espérer…
Un axe n’est pas l’autre
Voyons tout d’abord le score global décliné par secteur.
Le secteur qui s’en sort le mieux est, sans surprise, celui des sociétés actives dans l’ICT et les médias. Score: 32.
La méthode d’analyse
Au total, l’AdN a interrogé quelque 3.023 entreprises (petites, moyennes et grandes).
Pour réaliser son exercice, l’Agence du Numérique a regroupé ses critères d’analyse de l’état de “maturité” ou de “transformation” numérique des entreprises en 4 axes:
- la numérisation de l’infrastructure
- la numérisation de l’organisation du travail
- la numérisation des flux d’informations et des processus de travail
- la numérisation des activités de ventes et de services à la clientèle.
A noter que le modèle d’évaluation de maturité en 4 axes servira de base au Guide d’auto-évaluation dont toute société wallonne – de la plus modeste à la plus grande – pourra faire usage pour diagnostiquer son degré de numérisation ou transformation numérique, mesurer le chemin en parcourir et décider des étapes à franchir et moyens à mettre en oeuvre pour y arriver.
Ce “Guide d’auto-diagnostic” ne sera pas un seul et même document mais sera décliné par secteur. Cinq secteurs prioritaires ont d’ores et déjà été identifiés: commerce de détail, industrie 4.0, construction et agro-alimentaire. D’autres viendront s’y ajouter. Tous sont potentiellement concernés. L’AdN adaptera son modèle à la demande des secteurs demandeurs.
Suivent ensuite:
- le secteur financier: 27
- les services “intellectuels” (audit…) aux entreprises: 26
- la distribution: 25
- l’immobilier: 24
- l’hôtellerie et les services techniques (nettoyage…) aux entreprises: 23
Atteignent un score de 22 sur 100 : le secteur de la construction de machines et équipements, celui des transports et celui du commerce de détail.
Quelques autres secteurs-clé encore:
- santé : 18 sur 100 [note importante: tel qu’analysé par l’AdN, ce secteur “santé” n’inclut essentiellement que les professions libérales – médecins, dentistes et autres professionnels – à l’exclusion des hôpitaux (versés dans le secteur public en raison de leur structure de financement) et à l’exclusion également des pharmacies, intégrées au secteur du commerce de détail]
- industries alimentaires, chimie et plastiques : 21 sur 100
- garages : 20 sur 100.
Lanterne rouge: les cafés et restaurants: 12 sur 100.
Qu’en est-il selon la taille de l’entreprise?
– score global moyen d’une TPE (très petite entreprise – 1 à 4 personnes): 21 sur 100
– score d’une PME (5 à 249 personnes): 25
– score d’une grande entreprise (plus de 250 personnes): 48
Maturité numérique des entreprises wallonnes en termes d’infrastructure (matériels, équipements, connexions), par secteur d’activités Processus. Source: Baromètre 2016, AdN.
Passons ensuite en revue le score global segmenté par axe de numérisation.
1 – numérisation de l’infrastructure : score global moyen (tous secteurs et tailles confondus): 31 sur 100
TPE: 31 sur 100 – PME: 35 – grande entreprise: 61
2 – numérisation de l’organisation du travail : moyenne de 29 sur 100
TPE: 27 sur 100 – PME: 32 – grande entreprise: 58
3 – numérisation des flux d’informations et des processus de travail : moyenne de 16 sur 100
TPE: 15 sur 100 – PME: 20 – grande entreprise: 41
4 – numérisation de la stratégie commerciale, des activités de ventes et de services à la clientèle : moyenne de 12 sur 100
TPE: 12 sur 100 – PME: 18 – grande entreprise: 39
Constat général: quelle que soit la taille de l’entreprise, le score baisse quelque peu à mesure que l’on progresse dans l’enfilade des axes.
Les scores apparaissent clairement comme faibles à très faibles.
Mais l’échelle (100 étant la note maximale) est un mirage. Comme signalé plus haut, Hélène Raimont estime qu’il serait plus logique, réaliste et pertinent de la bloquer à 50. Lire, à ce sujet, notre autre article afin de découvrir les raisons qu’elle évoque.
Maturité numérique des entreprises wallonnes en termes de numérisation et intégration des processus, par secteur d’activités Processus. Source: Baromètre 2016, AdN.
Progrès parfois sensibles mais toujours insuffisants
Les domaines où les progrès furent les plus sensibles (par rapport au Baromètre antérieur qui, selon les critères d’analyse choisis, remonte à 2013 ou 2014) furent:
- l’utilisation de connexions mobiles Internet par les employés : moyenne globale de 48%, en hausse de 16 points par rapport à 2013
- le recours à la facturation électronique : 47% (+ 15 points par rapport à 2013) ; un pourcentage quasi égal côté TPE (47%) et PME/grandes entreprises (48%) – mais, attention, il y a un bémol de taille (voir plus bas)
Progrès également en termes d’utilisation d’au moins une application cloud (71%, + 4%) et en achats en-ligne (49%, + 4%). Mais là encore, on le verra, il faut largement nuancer ce qui semble être une bonne nouvelle.
Bilan toujours mitigé côté sites Internet
Seulement 15% des sites Internet des entreprises (40% d’entre elles disposent d’un site) ont été conçus de telle sorte à se comporter de manière optimale sur des terminaux mobiles. Le fossé entre l’offre et la demande reste donc béant puisque les Wallons comme le reste de la planète ont succombé à la mode mobile (3 Belges sur 4 disposent d’un smartphone).
Pourcentage de sociétés disposant d’un site Internet
Moyenne: 40%, soit un gain de 7 points par rapport à 2013
Situation dans les rangs des TPE: 39%, soit un gain de 8%
Dans la catégorie PME: 69% (+ 1%)
Côté /grandes entreprises: 99% (score stabilisé).
L’AdN a effectué une sous-segmentation supplémentaire afin de pouvoir comparer les chiffres wallons aux moyennes européennes (chiffres EuroStat). Dans la sous-catégorie PME de plus de 10 personnes, la proportion de sociétés wallonnes disposant d’un site Internet est de 75%, contre 78% pour la moyenne européenne. Nous n’avons donc pas à rougir dans ce domaine…
Si 40% des sociétés wallonnes se sont dotées d’un site Internet, seulement la moitié surveillent ses “performances”. Et encore le prisme d’analyse demeure basique. Ce que les sociétés tiennent surtout à l’oeil, c’est le nombre de visiteurs uniques, de pages vues. “Seulement 8% analysent le taux de conversion et 8% dressent le profil des visiteurs. Rares sont les sociétés s’intéressent au fait qu’elles figurent bien ou non dans les résultats de recherche, si le référencement naturel est efficace…”
Quid de la surveillance des performances “techniques” des sites (réactivité, disponibilité…)? L’AdN ne s’est pas penchée sur cette question, estimant que toute carence, de ce point de vue, ne peut que se répercuter sur le taux de visiteurs (découragés si le site n’est pas à la hauteur). Et cette fréquentation, elle, a été mesurée. Une chose toutefois dont Hélène Raimond est certaine: “rares, malheureusement, sont les PME qui sont tout simplement conscientes qu’il existe, sur le marché, des services qui permettent de mesurer les performances techniques d’un site” Par des acteurs pourtant locaux tels qu’InternetVista…
Souvent aussi les sites demeurent des vitrines figées, sans possibilité d’interaction (“seulement 22% des sites offrent une fonction de devis en-ligne et seulement 17% permettent de commander en-ligne”).
Souvent aussi, les sites sont figés (technologiquement) dans le temps: 42% n’ont eu droit à une mise à jour depuis… plus de 3 ans (on ne parle donc pas ici du contenu mais bien des outils et processus de publication).
Des processus trop peu modernes
La facturation électronique semble progresser (47% ; + 15 points en l’espace de 2 ans) mais ce n’est qu’une apparence dans la mesure où il ne s’agit pas réellement d’“e-factures”.
La méthode dominante reste en effet l’envoi de documents (par exemple en format PDF) par courriel (39% sur les 47).
Les envois de factures “nativement” électroniques, de système à système, n’atteignent encore que 8%.
Côté réception de facture, l’AdN relève le même phénomène: le canal reste essentiellement l’e-mail.
Les plus réfractaires semblent être les indépendants et les TPE, en raison d’un volume de factures (théoriquement) moindre.
Secteurs les plus en pointe? La construction (62%), la distribution (59%) et les transports (58%).
“Le manque de numérisation des processus (notamment des connexions électroniques entre partenaires), combiné avec une présence insuffisante des entreprises wallonnes à l’exportation (20%) et leur faible taille moyenne, constituent l’un des freins majeurs à la transformation numérique.”
La numérisation des processus est encore souvent dans les limbes. Peu d’intégration B2B, par exemple.
- 62% des “commandes électroniques” sont encore des documents “valant bon de commande) envoyés par e-mail, pas des “dialogues” de logiciel à logiciel
- 58% des sociétés doivent encore réenconder manuellement, dans leur solution comptable, les achats pourtant faits par voie électronique
- seulement 12% des connexions de flux opérationnels entre entreprises sont informatisés
- sous-utilisation de solutions CRM: seulement 18% des entreprises (en hausse toutefois de 7 points par rapport à 2013. Le taux de pénétration en TPE est de 17 % mais monte à 34 % du côté des PME et grandes entreprises
- l’utilisation d’ERP affiche encore des scores inférieurs: moyenne globale: 13% – soit seulement un boni de 2 % par rapport à 2013. Seuls 12% des TPE se sont équipées, tandis qu’un bon tiers (38%) des PME et grandes entreprises s’en sont dotées.
Conclusion?
Que peut-on dès lors retenir, en résumé? Que le processus d’embellie, en termes d’informatisation, continue de grignoter du terrain. Mais l’amélioration demeure modeste, souvent encore insuffisante – et c’est l’AdN qui le dit. Avec, certes, des signes un rien plus encourageants dans certains registres mais aussi nombre de faiblesses, lacunes et “retards au démarrage” qui s’expliquent essentiellement, selon l’AdN, par divers paramètres:
- des secteurs “peu technophiles” (notamment parce que leurs activités ne les obligent pas, pour des raisons de survie ou de compétitivité vitale, à une transformation rapide vers des processus informatisés, intégrés et/ou automatisés)
- la taille modeste des sociétés locales – mais est-ce une excuse ou, au contraire, une raison de prendre le taureau par les cornes? (nous en discutons dans cet autre article)
- leur rayon d’activités qui reste essentiellement local : “seulement 20% des entreprises wallonnes exportent. Or, une entreprise soumise à une pression forte de concurrents étrangers ou présente sur des marchés internationaux, va plus rapidement, et de manière plus intense, recourir aux technologies numériques pour consolider, développer ou transformer ses activités.”
- et, enfin, “un manque de culture du partenariat” – et ce, pourrait-on regretter, en dépit de tous les efforts déjà déployés pour instiller ce réflexe aux petites structures (clusters, pôles, réseautage…). De l’avis d’Hélène Raimond, il faut donc aller plus loin. Lire notre autre article où elle se livre à une analyse des carences, besoins et opportunités des PME wallonnes en matière de transformation (ou évolution) numérique.
En matière de “culture du partenariat”, une réflexion faite par Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie, lors du débat qui a clôturé l’événement “Innovation/Inauguration” co-organisé jeudi par le CETIC, Technofutur TIC et Computerland, apporte de l’eau supplémentaire au moulin de la réflexion. Selon lui, en effet, le tissu économique local est fait de PME wallonnes “de plus en plus interconnectées”. Dément-il dès lors le constat posé par l’AdN ? Pas vraiment… Il ajoute en effet: “Cette interconnexion croissante est une bonne chose parce que cela indique que l’on va dans la bonne direction. Toutefois, ce tissu n’a pas encore atteint un niveau de diversification aussi poussé que celui qu’on voit en France, en Allemagne ou en Flandre. Les acteurs locaux sont donc obligés de trouver des partenaires en dehors du territoire wallon.” Il faut donc continuer de progresser afin de revitaliser / redynamiser / re-densifier (à vous de choisir le terme qui vous semble le plus approprié…) le tissu local.
Plus il y aura d’acteurs positionnés dans tous les secteurs et aires de besoins, plus il y aura de chances que la demande trouve en local une réponse à ses attentes…
Les raisons d’espérer?
Présence d’un informaticien en interne?
TPE et PME de moins de 10 personnes: 14% des entreprises disposent d’un informaticien attaché à leur service
PME de plus de 10 personnes: 35%
Il y a, d’une part, la pression de la demande, l’attente qu’ont les collaborateurs ou encore les clients de disposer de services et produits que seuls des processus numérisés permettent d’obtenir dans des conditions optimales (tous critères confondus).
Il y a, par ailleurs, certains phénomènes à l’oeuvre, tels que la généralisation du BYOD (bring your own device) ou le concept de télétravail qui gagne du terrain – mais qui reste encore très limité. Ce dernier, estime l’AdN, a pour effet “d’impacter les méthodes de management et d’évaluation des collaborateurs.” C’est donc là, un moteur potentiel de transformation des méthodes et processus de travail et donc de “culture” d’entreprise.
A noter toutefois que le télétravail est surtout appliqué par les grandes entreprises (63% disent compter “au moins un télétravailleur” dans leurs rangs). Les PME ne sont pas de grandes fans (18%) et les TPE encore moins (9% d’entre elles seulement).
Autre espoir, pour les TPE et sociétés en formation: la possibilité de s’appuyer sur les services et l’infrastructure d’incubateurs, en nombre croissant sur le territoire.
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