Les Jeunes Entreprises: ne plus laisser les talents en jachère

Hors-cadre
Par · 08/03/2013

L’association Les Jeunes Entreprises (LJE) a pour leitmotiv de stimuler l’esprit d’entreprendre auprès des jeunes. Voire des très jeunes puisque les programmes qu’elle déploie commencent dès le primaire et se poursuivent jusqu’au supérieur. Voir notre sujet “4 programmes pour différentes tranches d’âge“

Face au concept d’“esprit d’entreprendre”, Thierry Villers, directeur de l’association, formule d’emblée deux mises en garde préliminaires. D’une part, l’esprit d’entreprendre ne se résume pas à une envie, parfois soudaine ou épidermique, de lancer une société. Autre perception erronée mais tenace chez certains: entreprendre n’est pas (simplement) gérer.

L’esprit d’entreprendre, rappelle-t-il, se construit aussi par l’apprentissage et la stimulation d’une série de goûts, d’aptitudes “tels que le travail en équipe, la créativité, l’esprit d’initiative, la confiance en soi. En France, on ajoute même à la liste la compréhension de son environnement. Nous sommes tous capables d’avoir ces capacités. Nous sommes tous capables de progresser mais nous ne sommes pas tous égaux devant ces possibles aptitudes. Nous ne pouvons pas tous progresser au même rythme.”

D’où l’intérêt de cultiver ces potentiels et de ne pas les laisser en jachère.

Qualités et compétences que les programmes et activités que la LJE tendent à cultiver auprès des jeunes? “En premier lieu, la coopération, l’interaction, qui sont favorisées du fait que les jeunes croisent, côtoient et collaborent avec d’autres jeunes venus d’autres classes ou d’autres écoles, et qu’ils ont l’opportunité de rentrer en contact avec le monde de l’entreprise.”

Le numérique pointe le bout du nez

Autre qualité essentielle: la “culture de l’innovation”. Et c’est là que le numérique et l’IT commencent à pointer leur nez. Jusqu’ici, en effet, une assez grande proportion des projets de “mini-entreprises” initiées par les jeunes étaient classico-classiques. Du genre: vente de T-shirts, de bougies, etc. Aujourd’hui, des projets plus “sérieux” se font jour.

Trois exemples relevés par Thierry Villers.

Booste Ta Page. L’idée (assez simple): “booster” sa popularité sur les réseaux sociaux (Google+, Twitter, Facebook…) par le principe de l’échange ou du “renvoi d’ascenseur”. Tu cliques sur ma page, je clique sur la tienne…

Quand le virtuel rencontre le réel: EasyMath. Un  livre de maths (FormulaMath), qui reprend la théorie des 6 années de secondaire, et qui est associé à un site Internet donnant accès à des compléments d’information et à des exercices.

Who Am I. Un projet visant à vendre des produits (t-shirts, par exemple) où figurent des QR codes personnalisés. Voici ce que les auteurs en disent sur leur site: il sera possible de personnaliser le QR code “pour y incorporer votre page Facebook, votre numéro de téléphone, ou simplement vos coordonnées! Pour découvrir ce qui se trouvera dans votre QR Code, il suffira de scanner le QR Code à l’aide d’un smartphone, via une application gratuite.”

Enrichir le concept

LJE a entrepris depuis quelques années un travail de “professionnalisation” de ses propres démarches. Les supports IT et Internet sont venus dépoussiérer les modes de communication et de promotion auprès des publics-cible: élèves, parents, écoles, entreprises.

Thierry Villers: “Etre un entrepreneur, c’est bien plus qu’être un manager. Il faut créer une entreprise avant de pouvoir la gérer…”

Les guides et fiches qui informent et accompagnent les jeunes au cours de leurs activités ont été numérisées et sont désormais exploitables via CD-ROM. Les jeunes y trouvent aussi des outils tels que des logiciels qui leur permettent de calculer ou de simuler automatiquement un prix de revient, des applications de comptabilité, de gestion des ressources humaines (y compris le calcul de l’ONSS, des précomptes professionnels…), de calcul des charges… Sponsor pour l’occasion: Sage.

Une plate-forme Internet a été développée qui répertorie toutes les mini-entreprises et leurs équipes. Elle permet aux équipes de se contacter virtuellement et aux coachs de les suivre. “L’utilisation de la plate-forme est encore purement administrative, se limitant au suivi des membres, à l’identification des écoles dont ils proviennent etc. Demain (en 2014 ou 2015), tout sera en-ligne: les comptabilités des mini-entreprises, les informations… Cela aurait notamment pour avantage d’assurer la continuité d’une mini-entreprise, qui n’aurait plus à craindre que le désistement d’un membre la prive de certaines informations. De même, et de manière plus fondamentale, les jeunes pourraient mieux apprendre à maîtriser des outils qu’ils côtoieront plus tard dans leur vie active.”

Prochains développements: une version numérisée de certains documents de référence qui pourront dès lors être consultés via smartphone ou tablette.

Evoluer avec son temps

Pour la LJE et le personnel d’encadrement, il est essentiel de recourir à des outils qui sont dans l’air du temps. Difficile de convaincre et d’aider les jeunes si on est taxé de ringardise…

Thierry Villers: “Il faut s’inscrire dans un processus où les jeunes, tout au long de leur développement personnel, peuvent se confronter à l’entrepreneuriat.”

Et l’accompagnement doit inclure de nouvelles dimensions. Telles que du conseil à l’utilisation efficace des réseaux sociaux: “beaucoup se contentent encore de ‘jouer’ avec ces outils alors qu’une utilisation professionnelle est importante pour la réussite de leur projet.

La LJE compte dès lors intervenir auprès d’eux afin de les aider à structurer la manière dont chaque mini-entreprise “existe” sur Facebook ou via son site Internet.”

Cet accompagnement passera par des conseils personnalisés mais aussi par l’organisation de séminaires thématiques: e-commerce, publier sur Facebook, utiliser un outil Web gratuit… “Certaines séminaires existent déjà mais nous devons développer davantage cet outil.”

Et pour motiver les jeunes, la LJE continuera d’organiser de petits concours. Du genre, meilleure vidéo ou meilleur site Internet de l’année.

“Mais là aussi, il nous faut nous-même progresser et nous intéresser davantage à des leviers tels que la gamification, le recours à des jeux sérieux pour former et informer les jeunes à des concepts tels que l’investissement, etc.”

Passer à la vitesse supérieure

A raison d’une dizaine d’étudiants par mini-entreprise, cette activité a touché environ 2.000 jeunes en Région bruxelloise en 2012.

“L’objectif est de passer à la vitesse supérieure afin d’atteindre les 10.000 jeunes, atteindre la dimension macro-économique et avoir un véritable impact”, indique Thierry Villers.

C’est que l’impact est en effet potentiellement intéressant pour l’entrepreneuriat. Une étude européenne montre en effet que “de deux à trois plus de jeunes se disent désireux de lancer une entreprise après avoir vécu l’expérience d’une mini-entreprise”.


Enquête 2012 menée par la LJE auprès de “mini-entrepreneurs”: 22% des jeunes qui sont passés par un projet de mini-entreprise se disent prêts à créer une entreprise dans les 5 ans qui suivent. “Ce qui n’est pas une garantie qu’ils le feront vraiment”, souligne Thierry Villers. Ils disent par ailleurs avoir acquis des compétences telles que sens des responsabilités, esprit d’initiative, travail en groupe et meilleure vision du monde de l’entreprise.

La volonté d’entreprendre semble en tout cas être quelque peu dopée par un passage par la case “mini-entreprise”. Car, en général, les Belges semblent peu enclins, comparativement à leurs voisins, à se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat. Voir à cet égard les résultats de plusieurs études internationales.


 

Thierry Villers note une tendance à la démobilisation de la part des établissements d’enseignement secondaire dans la mesure où les projets de mini-entreprises ont de plus en plus tendance à se dérouler en dehors de l’école.

“Ce qui, toutefois, est compensé par le fait que les jeunes qui se lancent dans l’expérience le font de plus en plus pour des raisons de motivation purement personnelle.”

Autre frein à l’essor du programme: le manque de moyens d’encadrement. En 2012, la LJE a dénombré 221 mini-entreprises (dont environ 120 dans la Région bruxelloise). Mais avec seulement… 165 bénévoles pour jouer le rôle de coach et d’encadrant. “Il nous faudra trouver un nouveau modèle. Nous avons besoins de plus de bénévoles venus du monde de l’entreprise.” L’une des pistes serait de mobiliser davantage les anciens porteurs de mini-entreprises. Une association (Be Next) existe certes mais pèche encore par manque de dynamisme. “L’association est encore jeune”, déclare Thierry Villers. “Au-delà des activités déjà organisées, elle doit encore se développer. On dénombre environ 50.000 anciens “mini-entrepreneurs” mais les liens ont été distendus…”

Un autre axe d’action serait de veiller à une meilleure continuité du processus d’apprentissage et de confrontation à l’esprit d’entreprendre. “Entre les programmes que nous mettons en œuvre et la suite [qui est en fait, souvent, l’entrée dans la vie active], il y a une étape de transition qui fait encore défaut. Il faudrait pouvoir informer les jeunes sur les organismes qu’ils peuvent solliciter une fois arrivés à l’université.” Manque donc encore ce relais vers des instances telles que l’ABE à Bruxelles ou d’autres opérateurs actifs dans le monde de la création ou de l’accompagnement des entreprises, start-ups et autres projets.

Il faudrait aussi renforcer et multiplier les interactions avec le monde de l’entreprise.